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Réponse à l’opinion « Citoyennes, féministes et musulmanes » : Choses vues et entendues

samedi 24 septembre 2016, par Amitié entre les peuples

DEBAT SUR L’ISLAM ET SES DIKTATS chez nos voisins belges

 Première contribution collective : « Citoyennes, féministes et musulmanes » sur La Libre.be

à lire sur : http://m.lalibre.be/debats/opinions/citoyennes-feministes-et-musulmanes-57dabba635704b54e6c338cc

 Contribution en réponse publiée le lundi 19 septembre 2016 sur La Libre.be

http://m.lalibre.be/debats/opinions/reponse-a-l-opinion-citoyennes-feministes-et-musulmanes-choses-vues-et-entendues-57e0086b357081f915d37c3d

Elle est reproduite ci-dessous intégralement :

Un garçon de mon école est agressé en dehors de celle-ci par le frère d’une de mes élèves. Mon élève est voilée. Le garçon a osé lui parler. Le grand frère, qui fréquente une autre école, est donc autorisé à lui casser la figure. Une carte blanche de Marie-Luce Bastin, citoyenne.

Toujours dans mon école, on organise en mai dernier un pain saucisse pour tous les élèves. Il y a des saucisses « belges » et des saucisses de volaille halal. Il y a aussi deux barbecues flambant neufs, pour cuire les saucisses sans qu’il y ait « contamination ». Toutes, je dis bien toutes, les élèves musulmanes de ma classe (voilées et pas voilées) refusent ce qui leur est offert – on ne sait jamais, on pourrait leur mentir, elles n’ont pas la preuve que les saucisses sont véritablement halal et puis qui sait, les mêmes pinces pourraient avoir touché les saucisses de porc et celles de volaille. Mieux, deux autres filles pas musulmanes pour un sou se solidarisent avec leurs camarades. Pourtant, il me semble bien avoir lu dans le coran que refuser ce qui vous est offert est plus grave que manger du porc (et il n’était pas question de leur en faire manger).

Une élève voilée, appelons-la Hakima, me dit un jour que je ne comprends rien, tant il est entendu qu’en tant qu’occidentale et professeur je ne comprends forcément rien, que son voile montre à tout le monde qu’elle est « pure ». Et moi de répondre, à son grand désarroi : « Donc, moi, je suis une p… ? Et les autres filles de la classe sont aussi des p… ? » Je ne dis pas qu’Hakima a une grande connaissance de la théologie, et je suis certaine que bien des historiens ou des théologiens de l’islam pourraient lui expliquer utilement en quoi elle se trompe. Mais elle est voilée depuis qu’elle a dix ans, âge évident du discernement, comme chacun sait.

On étudie en classe un texte de Voltaire racontant le destin du chevalier de La Barre, ce malheureux jeune homme brûlé tout vif à Abbeville en plein siècle des Lumières1 : il s’agit, tout en étudiant l’argumentation par l’ironie, de rappeler que la liberté d’opinion a été chèrement et tragiquement acquise. Une élève voilée de la classe trouve que « C’est normal, il n’avait qu’à pas insulter Dieu. » Rien de ce que j’ai pu dire ne l’a fait changer d’avis. Au contraire, elle m’a reproché le fait même de lui avoir fait lire ce texte.

Ma collègue de français, en rhéto, étudie le surréalisme. Elle a produit un PowerPoint bourré d’illustrations, de reproductions de tableaux, d’extraits de films, bref, tout ce que le ministère recommande. Arrive un tableau de Magritte, je ne sais plus lequel, mais une dame y est nue. Aussitôt, les exclamations fusent en classe : « Sheitan !2 » Expliquer dans ces conditions ce qui différencie l’art de la pornographie n’est pas aisé et d’ailleurs cela s’est révélé impossible.

Mes collègues d’éducation physique ne voient jamais certaines élèves, elles ont des certificats médicaux à l’année longue pour éviter la piscine – c’est dramatique la mauvaise santé qu’elles ont. Si elles sont en cours, elles n’ont jamais leur tenue de gym. La seule activité à laquelle elles consentent, c’est la patinoire une ou deux fois par an. Il est vrai qu’on y va tout habillé et qu’on ne leur demande pas d’y porter un tutu.

Je pourrais continuer longtemps et parler ce cet élève qui s’est converti pour pouvoir épouser la fille dont il est amoureux depuis la troisième, laquelle est arrivée un beau matin avec un hijab, sans que personne eût pu soupçonner cela la semaine d’avant. Ou de cette petite scène révélatrice dans la cour, quand une demoiselle voilée a sorti de son sac trois foulards pour les faire essayer à ses amies en me demandant de confirmer qu’elles étaient « bien plus jolies comme ça ».

Ce qu’il y a de tragique dans toutes ces anecdotes, ce n’est pas l’ignorance à la base de ces réactions, c’est le refus de seulement envisager autre chose que ce que dit l’imam de la mosquée du coin. Je me souviens avoir été très marquée, petite fille, par une remarque que m’avait faite la plus gentille des sœurs de mon école primaire, qui ne criait ni ne punissait jamais. Elle m’avait dit : « Ne mets pas tes mains dans tes poches, ne siffle pas, ça fait pleurer la Sainte Vierge. » J’avais six ans et heureusement une mère pourvue de bon sens pour m’expliquer que la Sainte Vierge avait bien d’autres raisons de pleurer que celles-là. Et que je n’avais qu’à éviter les mains dans les poches quand sœur Marie-Louise surveillait la récré, parce qu’elle était trop vieille pour changer, la pauvre, et que ça ne servait à rien de la faire se tracasser pour mon salut.

Ce qu’il y a de tragique surtout, c’est que je vois des gamines intelligentes, bonnes élèves souvent, se fermer délibérément à tout ce qui pourrait bousculer leurs certitudes et l’éducation qu’elles reçoivent. Et donc s’interdire toute une série de choix qu’elles ne poseront pas parce que ça ne sera pas compatible avec la religion. Il y a évidemment quelque chose de très rassurant dans la foi du charbonnier. Et je comprends que, quand on vous menace de l’enfer à toutes les deux pages dans le coran, on prenne des précautions.

Mais quand je lis (et je suis certaine que c’est écrit avec sincérité et bonne volonté, là n’est pas la question), quand je lis « ce foulard, celui de nos mères, de nos sœurs, de nos amies vous trouble », d’abord je me dis que la formule est audacieuse, parce que les mères et grands-mères de mes élèves ne l’ont pas toujours porté, ce foulard, et que mes amies et collègues d’origine musulmane ne le portent pas non plus, elles l’ont plutôt en horreur. Ensuite, je ne suis pas troublée, je suis révoltée. Quand, plus loin dans l’article signé par le collectif de citoyennes musulmanes, je lis encore « En particulier, aucun homme, père, frère ou mari ne pourrait se permettre de nous imposer une tenue vestimentaire contre notre volonté - même si nous savons bien que ce n’est pas une règle générale », j’apprécie la restriction parce que plus d’une élève m’a déjà avoué qu’elle portait le voile « pour avoir la paix ». Et il faut avoir une solide dose de mauvaise foi pour ignorer superbement le poids de la tradition, de l’éducation, le désir de l’enfant de se conformer à ce qu’attendent ses parents, et le fait que toute éducation est manipulation. Sans rien dire des gamines pré pubères et plates comme des planches à qui on l’impose dans mon quartier. Ou des mères d’élèves qui sortent si peu de chez elles qu’elles ne parlent pas français alors même que leurs enfants sont nés ici (et j’enseigne dans le secondaire supérieur, donc mes élèves ont quinze ans et plus). Ou des pères qui ne me serrent pas la main aux réunions de parents, ou des mères qui refusent de serrer celle de mes collègues masculins, tant il est évident que, si nous enseignons à leurs enfants, nous sommes tout de même d’effrayant mécréants et nous pourrions les « salir ». J’utilise ce verbe à dessein, c’est celui que j’ai entendu dans la bouche d’un garçon, un jour en classe, parce qu’une de ses camarades l’avait accidentellement bousculé (« Ne me touche pas, tu me salis ! » et ce n’était pas pour rire).

Et si, effectivement, le débat se focalise sur la burqa et le burkini, donc sur les tenues des femmes, il est regrettable qu’il ne vise pas tout autant les djellabas, les pantalons retroussés sur les chevilles, les calots, les turbans vissés à la tête des garçons sikhs, ou les perruques et les phylactères des juifs orthodoxes qui me dérangent tout autant. Je ne doute pas un instant que, sincèrement, le collectif « Citoyennes musulmanes » soit persuadé qu’on veut « [les] tenir à l’écart et de [les] contraindre ainsi au repli communautaire ». Mais le repli communautaire est déjà là, il préexiste aux déchirements et aux attentats actuels, et le voile en est le symbole le plus visible. Et je pense à ce que dit Fatiha Boudjahlat3 dans un article très éclairant : « Nous sommes bien dans le différentialisme – défendre la différenciation des droits en fonction de l’appartenance ethnique et religieuse. Le piège de l’assignation identitaire se referme. »

Mes élèves voilées sont effet assignées à leur identité religieuse. Elles sont, d’abord et avant tout, des musulmanes avant d’être des jeunes filles, et des femmes en devenir. Et, ne nous y trompons pas, les garçons aussi sont assignés. Cela me fend le cœur. Fatiha Boudjahlat dit aussi, dans le même article : « La pratique religieuse semble servir de base à la construction de l’altérité, qui dispenserait donc de l’application, non seulement de la loi, mais aussi de ce qui est considéré ordinairement comme juste ou idéal. Je ne veux pas du foulard pour moi parce qu’il est un signe d’asservissement de la femme, mais je défends cette possibilité pour les « autres » femmes parce que, étant « autres », ce symbole n’est plus connoté négativement : ce discours féministe est contaminé par le paradigme de la pureté, de l’authenticité ; c’est le retour du bon sauvage. »

Je pourrais citer bien d’autres auteurs, d’origine musulmane ou non4, pour parler du repli identitaire et de la nécessaire adaptation de l’islam aux pays qui l’accueillent et surtout au monde contemporain. Le collectif rappelle, à juste titre, le combat mené « contre l’emprise d’une Eglise dominante ». Je ne vois pas pourquoi on devrait épargner à l’islam cette même confrontation, surtout si on se proclame féministe.

1 « Lorsque le chevalier de La Barre, petit-fils d’un lieutenant général des armées, jeune homme de beaucoup d’esprit et d’une grande espérance, mais ayant toute l’étourderie d’une jeunesse effrénée, fut convaincu- d’avoir chanté des chansons impies, et même d’avoir passé devant une procession de capucins sans avoir ôté son chapeau, les juges d’Abbeville, gens comparables aux sénateurs romains, ordonnèrent, non seulement qu’on lui arrachât la langue, qu’on lui coupât la main, et qu’on brûlât son corps à petit feu ; mais ils l’appliquèrent encore à la torture pour savoir combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vu passer, le chapeau sur la tête. » Voltaire, Dictionnaire philosophique, article Torture.

2 Mot arabe signifiant « diable ».

3 http://www.mezetulle.fr/voilement-enjeu-feministe-fatiha-boudjahlat/

4 Abdennour Bidar, Catherine Kintzler, Rachid Benzine, Tahar Ben Jelloun, etc.

http://www.lalibre.be/debats/opinions/reponse-a-l-opinion-citoyennes-feministes-et-musulmanes-choses-vues-et-entendues-57e0086b357081f915d37c3d#.V-aa7NnE3KY.facebook