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La duplicité de Tariq Ramadan - Roger Evano

dimanche 5 novembre 2017, par Amitié entre les peuples

La duplicité de Tariq Ramadan - Roger Evano

Si nous devons rester prudents en attendant les suites judiciaires aux deux plaintes pour viol contre Tariq Ramadan, nous pouvons cependant nous interroger sur les faits déjà révélés.

L’absence de réfutation claire et nette de T.R. permet d’affirmer qu’il a eu des relations sexuelles avec les plaignantes. Ses pratiques étaient bien connues de son entourage. Ainsi Bernard Godart, conseiller de J.P. Chevènement, N. Sarkozy, B. Hortefeux et M. Valls, connaissant bien T.R., répond à un journaliste de l’Obs :« Il (T.R.) avait beaucoup de maitresses, consultait des sites, des filles étaient amenées à l’hôtel à la fin de ses conférences, il en invitait à se déshabiller, certaines résistaient et il pouvait devenir violent et agressif, ça, oui. Mais je n’ai jamais entendu parler de viol. J’en suis abasourdi »( cité par Marianne du 3 novembre).

L’adultère n’est pas un crime et ne relève pas des tribunaux, dans notre société. C’est une question de vie privée, dont nous n’avons pas à nous mêler en tant que citoyens. Mais le cas de T.R. est différent. Depuis des décennies, il bat les estrades pour défendre, au nom de l’islam, une morale rigoriste, il déclare que les relations sexuelles hors mariage sont « une énormité, une erreur énorme » que les piscines mixtes « ne sont pas saines, pas islamiques » et en interrogateur obsédé « il se porte où ton regard, hein ? ». Tout le monde se souvient que, lors d’un débat avec Sarkozy, il avait défendu l’idée d’un moratoire sur la lapidation des femmes adultères.

Ainsi, sous son discours aseptisé ou alambiqué, sous son apparence « d’intellectuel brillant, beau, parlant bien et plaisant aux jeunes » transparaît la duplicité, l’hypocrisie . « L’habit ne fait pas le moine » dit-on. Les actes du pourfendeur d’adultère contredisent ses paroles.

A plusieurs reprises1 j’ai été amené à mettre en doute ses prises de position., lui qui manie la rhétorique pour camoufler le fond de sa pensée. Il est nécessaire de le relire attentivement. Ainsi lorsqu’il énonce sa position sur l’égalité des hommes et des femmes, point central du discours religieux, il nous dit : « Pourquoi dans la tradition chrétienne, par exemple, la conception de l’Homme est-elle liée à une considération morale : nous sommes certes tous égaux, mais la femme fut tentée et elle est la tentatrice ? Question centrale quant à la conception de l’Homme : commence-t-on par la qualification morale de l’être humain afin de déterminer qui est coupable et de quoi il est coupable ou part-on de l’innocence de l’Homme afin de déterminer quelle est sa responsabilité ? Nous ne sommes pas sortis de cette problématique, de cette idée que nous avons certes la même dignité, mais pas forcément le même type de rapport à la moralité, au bien ou au mal2.Si nous lisons bien la femme est la tentatrice, elle n’a pas le même rapport à la moralité.

Dans « L’islam en questions » Tariq Ramadan formule différemment sa position : « L’islam offre un cadre de référence dans lequel se dessine une conception globale de l’être humain, de l’homme, de la femme, et de la famille. Deux principes sont essentiels : le premier fonde l’idée d’une égalité entre l’homme et la femme devant Dieu, le second celui de leur complémentarité sur le plan social. Selon cette conception, c’est l’homme qui est responsable de la gestion de l’espace familial mais le rôle de la mère y est central ». Egalité devant Dieu, cela ne porte pas à conséquence, mais dans la société c’est l’homme qui est le chef. La place de la femme n’est envisagée que comme épouse et mère. Tariq Ramadan dessine ainsi la hiérarchie des sexes traditionnelle, celle qui est mise en œuvre dans les pays musulmans, celle que rappelait récemment le président Erdogan soutenu par les Frères Musulmans. Il se refuse a reconnaitre une égalité des hommes et des femmes, qui soit politique, sociale et juridique. Le parti Ennardha en Tunisie (parti des Frères Musulmans) a défendu le principe de « complémentarité » des hommes et des femmes contre celui d’égalité.

Plusieurs auteurs dont Caroline Fourest ont montré le double discours de TR. Il est ici manifeste.Sa pensée réelle se révèle lorsque l’on compare ses pratiques aux valeurs qu’il affiche en public. Il nous faut lire T.R. avec en arrière plan sa volonté de transmettre, sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, des principes archaïques de l’islam, ici, de fait, une inégalité des hommes et des femmes.

Ce n’est pas le seul domaine ou le double discours est reconnaissable. Celui qui se prétend démocrate présente sa filiation avec son grand-père Hassan Al-Bana fondateur des Frères Musulmans, comme n’étant pas uniquement génétique mais surtout de pensée : « J’ai étudié en profondeur la pensée de Hassan al-Banna et je ne renie rien de ma filiation. Sa relation à Dieu, sa spiritualité, son mysticisme, sa personnalité en même temps que sa pensée critique sur le droit, la politique, la société et le pluralisme restent des références pour moi, de cœur et d’intelligence.(…) Son engagement aussi continue de susciter mon respect et mon admiration."3

Or Hassan Al-Banna définit l’islam comme “à la fois religion et État, Coran et sabre », « une organisation complète qui englobe tous les aspects de la vie. C’est à la fois un État et une nation, ou encore un gouvernement et une communauté. C’est également une morale et une force, ou encore le pardon et la justice. C’est également une culture et une juridiction, ou encore une science et une magistrature. C’est également une matière et une ressource, ou encore un gain et une richesse. C’est également une lutte dans la voie d’Allah et un appel, ou encore une armée et une pensée. C’est enfin une croyance sincère et une saine adoration. L’islam, c’est tout cela de la même façon ». Définition sans ambiguïté d’une théocratie totalitaire. Il n’est pas possible de défendre la pensée de Al-Bana et se dire démocrate.

Nous verrons plus tard, lorsque la justice aura fait son travail si, en plus d’être un imposteur, il est un pervers sadique décrit par ses accusatrices. Il fait partie de cette cohorte de prêcheurs de haine qui parlent de paix mais fomentent la guerre, de ceux qui prônent la défense des opprimés mais recourent aux bienfaits d’États qui traitent comme des esclaves les émigrés qui y travaillent : 1 500 000 Népalais, Pakistanais, Afghans... sont exploités pour des salaires de misère, cloitrés dans des camps de travail et sont privés de leur passeport au Qatar. La situation est semblable en Arabie Saoudite. Rappelons que T.Ramadan est président du « Centre de recherche sur la législation islamique et l’éthique » installé à Doha. Il le dirige avec Y. Al-Quaradawi le prêcheur islamiste de la chaine Al Jazeera. Sa chaire universitaire à Oxford a été créée et est financée par le Qatar.

Cette affaire aura le mérite de lever le voile sur sa personnalité et ouvrira les yeux de ceux qui ont pu, de bonne foi, se laisser abuser. Le courage de celles qui permettent cela mérite notre admiration et notre soutien.

1 Roger Evano, La démocratie face au défi de l’islamisme, ed. L’Harmattan, 2016

2 Edgar Morin et Tariq Ramadan, Au péril des idées, Presses du Châtelet, 2014, p. 38

3 Alain Gresh et Tariq Ramadan, L’Islam en questions, Sindbab, 2002, pp. 33-34

source

https://blogs.mediapart.fr/roger-evano/blog/031117/la-duplicite-de-tariq-ramadan