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Le « tomber amoureux », une chute et un point de départ. C Delarue

mardi 1er août 2023, par Amitié entre les peuples

Le « tomber amoureux »

source : chrismondial (Eté 1998 - 25 ans).

Une « chute » certes mais qui peut être, plus qu’une aventure, le point de départ d’une élévation, d’un amour véritable, sublime et durable.

Contre la solitude, solitude réelle ou « solitude dans le couple » (ou la famille), certains ou certaines cherchent un(e) partenaire. D’autres non . Ils ou elles préfèrent la surprise de la rencontre amoureuse et donc le « vivre en solo ». Mais peu importe ici. Mon propos est le « tomber amoureux » (et secondairement sa transformation en amour durable).

 Voir le positif

Je vais l’aborder positivement car le « tomber amoureux » a été critiqué notamment par E Fromm au nom du concept spinozien de la passivité. Il est des individus, hommes ou femmes, hétéro ou homo, jeunes ou vieux, qui ne sont jamais vraiment « tombés amoureux » conjointement, ensemble . Il n’ont donc jamais connu cette expérience partagée de transcendance, cette surabondance de joie et de bonheur, ce surcroît de vie autant que de « plus-jouir » (Lacan) . Et celles et ceux qui l’ont connu n’ont pas toujours pu ou su le faire vivre, ce qui est autre chose. L’amour n’est pas un long fleuve tranquille.

 Freud et non à Misrahi

Cela va peut-être étonner mais c’est à Freud et non à Misrahi (cf Amour et Désir) que je recours pour expliquer cette avantageuse émotion fusionnelle qui, si elle perdure, va se métamorphoser en amour . En effet la référence à la tendresse est présente dans toute l’œuvre freudienne. Mais la tendresse n’est qu’un élément de la « love map » (ou « sexual-maps » selon Money) traduit en « carte du tendre » par Jean-Didier Vincent. Un texte de Freud, en 1912, « Deuxième contribution à la psychologie de la vie amoureuse. » distingue à ce propos nettement deux courants dans la psycho-sexualité, le courant tendre et le courant sensuel et érotique . Si l’amour ne se réduit pas à la sensualité, il ne peut pas non plus totalement l’éliminer. On ne peut tout sublimer.

 De l’émotion aux sentiments / du passif à l’actif.

Le temps opère passage de la passivité du « tomber amoureux » à l’amour actif (« se tenir dans l’amour » selon Fromm). Si l’émotion relève de formes explosives de l’affectivité , les sentiments participent eux de phénomènes affectifs plus tempérés, plus stables (J Maisonneuve) . Mais les premiers états affectifs perdurent, et la passion s’inscrit alors dans la durée . L’émoi initial est entretenu, par des rites notamment (Neuburger), portant sur les deux désirs amoureux (R Barthes) le pothos, désir de l’amant absent et l’himeros désir plus ardent pour l’amant présent.

 La magie des deux « cartes du tendre »

Revenons alors à l’émoi initial . « Par quels indices ténus, subliminaux, les deux partenaires sentent-ils la correspondance ? » La magique rencontre amoureuse se traduit par la rencontre de deux « cartes du tendre ». C Chiliand précise que « la sexualité de chacun a des particularités idiosyncrasiques, que nous appelons » cartes du tendre « . Elles incluent les particularités de l’excitation sexuelle, de sa montée et de sa résolution finale, le choix du partenaire et la formation du couple » La rencontre amoureuse opère l’ajustement, si difficile bien souvent, des deux ordres de la psycho-sexualité de chacun(e), homo ou hétéro, celui du désir érotique et celui de la tendresse. Car, comme l’écrit Pasini « pour certains la tendresse est la »rampe de lancement de l’érotisme« pour d’autres elle ressemble à un doux somnifère. Elle entre alors en conflit avec l’érotisme qui implique non seulement jeu et communication, mais aussi surprise et transgression ».

 La fusion réconcilatrice

La rencontre amoureuse favorise donc au travers du plaisir sexuel « une synthèse du corps et de l’esprit » (R Misrahi) d’une part par une confluence paradoxale tendresse/animalité et d’autre part par fusion réconciliatrice ou même parfois régénératrice . Une confluence paradoxale car la sensualité ne peut se manifester qu’à l’égard de personnes rabaissées dit Freud et les cliniciens qui le suivirent . Ainsi tel homme est puissant avec des prostituées et impuissant avec des femmes estimées . Fusion réconciliatrice de « la mère et de la putain », de l’estime et de la vulgarité et même relativement régénératrice car les problèmes « sexuels » éventuels liés à la dissociation de la tendresse et de la sensualité peuvent disparaître.

  Alors rédemption de la rencontre amoureuse ?

Si « la passion amoureuse implique un investissement corporel et fantasmatique total dans un sensualité libéré de la peur, de la possessivité, des scrupules perfectionnistes et de la volonté de dominer » alors il ne faut pas attendre de la rencontre amoureuse un miracle. Mais G Tordjman met-il peut-être la barre un peu haut ? Reste que la rencontre amoureuse n’efface pas tout le passé et ne peint pas nécessairement « en rose » l’avenir . Ce que les psychanalystes entendent trop souvent, notamment P Babin, c’est la blessure « de femmes bafouées, de femmes violées, de violences sexuelles faite par les hommes sur les femmes » Mais il ne s’agit plus là d’amour, mais d’invitation au combat féministe pour l’émancipation et pour l’égalité des sexes.

Christian DELARUE


Erich Fromm « L’art d’aimer »

Colette Chiliand « Le sexe mène le monde » Calman Lévy

Robert Neuburger « Nouveaux couples » O Jacob

Robert Misrahi « Qui est l’autre ? » A Colin
Une lecture personnelle : Amour et Désir (et non désir)

Docteur Gilbert Tordjman « Le couple : réalités et problèmes » Hachette

« Eloge de l’intimité » Willy Pasini Payot

« La fabrique du sexe » Pierre Babin Textuel