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Le militantisme est surtout une oeuvre -C Delarue

vendredi 6 mars 2009, par Amitié entre les peuples

Le militantisme est surtout une œuvre.

Par delà la vision machiavélique des constants rapports de pouvoir entre militant(e)s, il importe de voir aussi que chaque activité militante participe de l’œuvre et qu’à ce titre elle est respectable, surtout si les rapports de pouvoirs sont évités ou circonscrits. Pour juger de la qualité de l’œuvre il faut aussi examiner son contenu (de droite ? de gauche ? etc...). Une activité fasciste, texte ou tâche plus concrète ne sera pas perçu comme une œuvre par les antifascistes. Pourtant il s’agit d’une œuvre (pas nécessairement un chef d’œuvre). Ce qui n’enlève rien au fait qu’une activité fasciste est nuisible et se combat. On pourrait en dire autant pour des activités politiques plus proches. L’écrit d’un social-libéral fut-il techniquement irréprochable sera peut-être vue comme un abandon de la perspective collective à affermir et donc critiqué à ce titre.

Il est bon face à l’habitude critique des militant(e)s de souligner que chaque activité est une œuvre. Cette critique n’est pas en soi mauvaise puisqu’il n’y a pas de texte fétiche, d’activité non criticable. Simplement le goût avéré de la critique mène à deux gros défauts : le sectarisme et l’acrimonie voire le mépris. Ce n’est pas le sectarisme qui constitue le pire défaut même si d’ordinaire il pousse vers les rapports de pouvoir. Le sectarisme n’est pas le pire défaut car la fermeté de critique sur le fond peut s’accompagner du respect pour « l’oeuvre » de l’autre sans même parler du respect humain du à la personne en tant que tel.

*L’amour, le travail, l’œuvre.

Trois grandes activités sont déterminantes pour le développement humain : l’amour, le travail, l’œuvre. Déjà Freud estimait que l’être humain devait se réaliser en se confrontant au réel dans deux grands domaines, le travail et l’amour . Hannah Arendt proposait, elle, de désigner trois activités humaines fondamentales : le travail, l’œuvre et l’action. Conservons d’Arendt le thème de l’œuvre mais sans suivre nécessairement sa définition.

L’amour entre humains (ou même l’amour de Dieu pour les croyants) participe d’une dynamique contradictoire mais il est néanmoins source de « vie intérieure ». Car, de nos jours, une vie sentimentale et relationnelle riche fait sortir peu ou prou l’individu moderne de l’appauvrissement intérieur celui généré par son immersion dans la société de consommation, dans le monde des objets. La marchandisation du monde réifie les humains et la vie amoureuse constitue à l’inverse un des facteurs constitutifs d’une « vie intérieure ». Mais la sphère amoureuse n’a qu’une porté émancipatrice réduite si elle ne s’accompagne pas d’une ouverture au monde, à la chose publique . Avec Arendt mais de façon moins ferme on pourrait dire que l’émancipation ne se réalise pas principalement dans la sphère privée mais dans la sphère publique. Dans ce champ-là, on peut distinguer l’activité libre ou oeuvre et l’activité contrainte ou travail.

Avec Jacques Freyssinet on peut concevoir le travail (salarié) comme une « invention du capitalisme », une invention marqué de l’ambivalence des effets, avec un côté intégration sociale et un côté exploitation, domination, oppression issu de la nature antagonique des rapports sociaux de production. D’un côté tout un chacun, par nécessité, pour vivre, doit vendre sa force de travail . Et il s’agit en outre d’une activité subordonnée et très contrainte . Le travail n’a donc rien à voir de ce point de vue avec l’œuvre, ici l’activité militante libre. D’un autre côté on peut - et même on doit - voir le travail comme une tâche à laquelle « nul n’est exempt de participer » . En effet, chacun doit participer à la production de l’existence sociale. On aimerait sans doute vouloir le faire hors des contraintes et des violences issues des rapports sociaux de production capitaliste. Mais c’est là autre chose.

*L’œuvre, complément du travail salarié non marchand : le « privilège » (théorique) des fonctionnaires.

L’oeuvre, entendu comme activité militante libre de transformation du monde en vue d’améliorer les conditions de travail et de vie peut venir compléter le travail (salarié) lorsque celui-ci dispose d’une forte composante d’utilité mais aussi lorsqu’il se réalise hors sphère marchande, donc en vue de l’intérêt général et pour la satisfaction des besoins sociaux. Cela suppose un cadre de mission de service public et un régime juridique spécifique celui de la fonction publique . En effet le statut de la fonction public peut être considéré comme un bien commun de la société pour peu qu’il s’agisse bien de penser le fonctionnaire comme citoyen et non pas comme sujet soumis et silencieux tel que défendu jadis par Michel Debré . Pour ce faire le statut de la fonction public doit montrer qu’il préfère la loi aux contrats, la fonction au métier, l’efficacité sociale globale à la performance individuelle surtout lorsqu’elle est calée sur des critères bureaucratiques rigides et source de contrôle hiérarchique obsessionnel. Le statut et les mesures prises pour son application doivent permettre de mettre le fonctionnaire « à l’abri des pressions politiques, économiques ou idéologiques. Anicet Le Pors précise que »L’administration est sous la dépendance du pouvoir politique pas le fonctionnaire".

En fait le travail des fonctionnaires quoique théoriquement sous le plein régime de la valeur d’usage et hors de la valeur d’échange se voit ramener aux même modes contraints et violents des rapports de travail du privé avec sa subordination à divers dispositifs lourds d’individualisation, de contractualisation, d’efficacité, de rentabilité. A tel point que le harcèlement moral est aussi très implanté dans la fonction publique. La théorie qui veut que le statut offre des rapport sociaux de production plus « civilisés » ne s’observe plus dans le réel de l’univers administratif contemporain. Outre l’importation des méthodes managériales issues du privé il faut accuser la réduction drastique des effectifs. Du coup le travail prend la forme de la surcharge pour le fonctionnaire-travailleur et pour l’usager celle du service non fait.

*Souvenons-nous que le militantisme est surtout une œuvre.

Ce détour rapide nous ramène à l’œuvre comme étant la seule activité libre qui permet de réaliser l’individu comme être social surtout si l’on pense l’œuvre sous le prisme de l’activité militante. Il ne s’agit pas de l’embellir excessivement mais de saisir sa valeur intrinsèque en comparaison à d’autres activités. Pour que cette activité libre soit réellement épanouissante elle doit s’inscrire dans des rapports de démocratie, de transparence et de respect. Il ne s’agit pas de fuir les grandes organisations, les organisations nationales ou internationales vues comme étant « hiérarchiques » mais de peser pour leur démocratisation.

Christian Delarue

Rennes le 5 mars 2009

Avec Jean-Paul Sartre on peut parler de banalité de l’œuvre. Mais pour Sartre la perspective est limitée : il s’agit seulement d’un « sauvetage » individuel, personnel.

« Ce que j’aime en ma folie, c’est qu’elle m’a protégé, du premier jour, contre les séductions de « l’élite » : jamais je ne me suis cru l’heureux propriétaire d’un « talent » : ma seule affaire était de me sauver - rien dans les mains, rien dans les poches - par le travail et la foi. Du coup ma pure option ne m’élevait au-dessus de personne : sans équipement, sans outillage je me suis mis tout entier à l’œuvre pour me sauver tout entier. Si je range l’impossible salut au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui ».