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Cultures différentes : la dialectique de l’intégration inégale et combinée. Conf fin 2005 C Delarue MRAP - JP Dubois LDH

dimanche 25 octobre 2015, par Amitié entre les peuples

IL Y A 10 ANS, après les révoltes de l’automne 2005

Cultures différentes : la dialectique de l’intégration inégale et combinée.

Christian DELARUE (*) Intervention pour le MRAP à côté de Jean-Pierre DUBOIS (LDH) lors d’une conférence dans une ville de banlieue parisienne .

De la révolte des banlieues de l’automne 2005 resurgit - outre les propos marginaux mais délirants sur la polygamie - la question ancienne de l’intégration. Le terme d’intégration apparaît dans la bouche de François MITTERRAND en 1955 année de la Conférence de Bandoeng qui annonce non seulement la « fin des colonies », la naissance du « tiers-monde », le début de l’impérialisme sous couvert de coopération mais aussi - ce qui est moins connu - la naissance, ici, de la postcolonialité.

Qu’en est-il 50 ans après, en 2005 ? On sait que les habitants des « quartiers difficiles » ou des banlieues ouvrières sont massivement victimes des inégalités et surtout du chômage, victime de stigmatisation et de discriminations, qu’il y a cumul du handicap social au sein d’une même famille . La répression de l’Etat pénitence, sécuritaire et policier est source de vives tensions . Mais le reste de la population française subit également le chômage quoique moindrement .

En fait, la politique libérale actuelle s’attaque à tout ce qui est solide et fait la promotion de la précarité et de l’insécurité sociale. Elle le fait en divisant le peuple, en divisant les salariés : les fonctionnaires s’ils sont eux aussi victimes des politiques libérales (perte de salaires, individualisation, harcèlement...) mais ne sont pas victime du chômage, pas encore . La tendance lourde est à la régression sociale . Le néolibéralisme ne frappe pas pareillement ni en même temps.

Voilà pour la stratégie de conquête du néolibéralisme. Après avoir posé rapidement le cadre, j’en viens à mon propos central qui porte sur « la dialectique de l’intégration culturelle » tout d’abord de quelles cultures différentes (1) et ensuite de quelle processus social d’intégration parle-t-on (2) ?

I - L’objet de la « dialectique d’intégration » : le « choc des cultures ».

Que sont ces cultures pour que leurs contacts fassent choc et provoque ségrégation, exclusion, discrimination et finalement dynamique de contrôle policier ?

A - Détermination du champ culturel .

Définition de base : Vue de façon statique la notion de culture englobe les façons de se vêtir, de se nourrir, de travailler, de se distraire, de rencontrer l’autre non seulement par le langage mais aussi dans la vie sexuelle. La culture ne peut être réduite à l’activité supérieure de l’esprit, la fameuse « culture générale » . La culture définie ainsi comme « l’ensemble des manières de vivre » forme un champ plus restreint de ce que l’on désigne sous la notion de civilisation qui intègre des éléments du champ politique et économique . En terme de processus, la culture signifie socialisation et acquérir une culture, c’est s’intégrer dans un groupe social.

Problèmes d’une définition élargie : Entre culture ainsi définie stricto sensu et civilisation des auteurs intégrent le temps long donc l’histoire et notamment la part du religieux et des religions. Cela fait débat ne porte guère sur le constat des effets culturels qui perdure mais plus le fait de l’existence d’invariants que l’on retrouverait aujourd’hui. Il a existé selon Pierre Fougeyrollas de multiples religions ethniques qui avaient en commun le culte des ancêtre et le culte de l’unité cosmo-vitale qui ont succédé aux religions à vocation universaliste qu’elles soient polythéistes ou monothéïstes.

B - Le contact des cultures.

Constat :

Oppositions : Si le multiculturalisme ou la mixité sociale sont évoqués ici ou là, le plus souvent il ne s’agit non pas de présenter un mélange harmonieux des cultures mais d’une présence en opposition : on parle ainsi de culture occidentale (notamment de son rapport distancié à la nature) et de culture orientale ; de culture nationale et de culture régionale (cf Suzanne CITRON), On évoque alors un conflit de cultures sur fond de « choc des civilisations » (on élargit alors la comparaison aux questions politiques -le gouvernement séparé du religieux, la démocratie - et aux questions économiques -cf. au système de production et d’échanges marchands) .

Culture et communauté : Même si les spécialistes déterminent des « invariants » il importe aussi de remarquer qu’aucune culture n’est restée immuable dans le temps, comme fermée aux autres cultures . D’aucuns distinguent cependant une culture atavique (à identité unique) et une culture composites (cf Guechi DALILA à propos d’Edouard GLISSANT) .

Exemple hors champ de l’immigration : La culture d’entreprise relève d’une communauté particulière qui est non seulement sensible à son environnement mais de plus elle connaît comme la nation ou la famille des conflits d’intérêts et de pouvoirs.

Par rapport aux groupes sociaux on évoque la culture ouvrière. Plus largement on évoque aussi la communauté d’intérêts des salariés actifs et non actifs, avec ou sans papiers.

Questions (non exposées)

Est-elle spatialisée ? Peux-t-on la délimiter sur un territoire donné ? Ou se réfère-t-elle aux groupes sociaux d’appartenance des individus ?Est-elle une notion autonome ou est-elle nécessairement produit de l’histoire ? La culture ainsi spatialisée est-elle un bloc ou est-elle traversée par des conflits idéologiques ou politiques ?

Deux notions :

L’idéologie est un ensemble de représentations sociales englobant, à la fois des idées et des sentiments et consistant, par là, en phénomènes inséparablement intellectuels et affectifs. Toute culture est traversé par de l’idéologie.

L’ethnocentrisme serait alors l’incapacité à comprendre les cultures différentes, à admettre la diversité culturelle . L’ethnocentrisme n’est pas nécessairement le fait d’une culture dominante .Le contraire de l’ethnocentrisme est le relativisme culturel. La prise en compte de certaines valeurs ou de certains droits ou la critique d’une idéologie au sein d’une une culture donnée amène à des positionnements intermédiaires.

II - Repenser la « dialectique de l’intégration » .

Intégration de qui ? Cela concerne aussi bien les immigrés « extracommunautaires » qui veulent circuler et d’installer librement que les résidents fils de colonisés sans parler d’une demande paradoxale s’adressant à des binationaux. Intégration à quoi ? à quelle société ? (, métissée ? multiculturelle ?) à quelle nation française ? (citoyenneté de résidence ?) à quelle République ? (la conservatrice ? la progressiste ?) à quel modèle européen ensuite (une europe blanche et chrétienne ?) ? Le flou est variable selon les époques mais il y a des constantes . Reste que l’’intégration prend rapidement le sens de l’acculturation des immigrés . Ce sont les immigrés de l’Empire qui doivent changer . La loi de novembre 2005 sur la maïtrise de l’immigration, le séjours des étrangers en France et la nationalité prévoit un faisceau d’indices pour juger que le candidat remplit les conditions du contrat d’acceuil et d’intégration . Le mythe assimilationiste antérieur perdure donc.

Vous avez dit « Dialectique » ? Pour vivre ensemble selon la perspective de la « dialectique de l’intégration », telle qu’évoquée dans le rapport du HCI, chacun doit faire un pas, le migrant et la société d’accueil . L’effort doit être partagé dit-on. Mais cette dialectique doit être inégale dans le sens inverse du sens commun . Autrement dit, les migrants et « ceux d’en bas » en général sont créanciers de droits même s’ils ont, dans certains domaines, des efforts à faire .

En somme, ce n’est pas à celui venu d’ailleurs ou censé l« être de faire l’intégralité du trajet, ce serait un ordre d’assimilation. Le gros du travail doit provenir de la société d’accueil, du gouvernement avec une politique d’insertion et d’égalité des droits. »Vivre ensemble avec nos différences" Le slogan du MRAP des années 80 fit débat au travers de deux objections : la première objection dès les années 80 apporte une exigence d’égalité , la seconde est plus contemporaine reprend la question du commun et des différences.

A - L’exigence d’égalité : vivre ensemble oui, mais dans l’égalité .

L’acceptation de la différence ou de la diversité - thème repris par le patronat - peut faire bon ménage avec l’acceptation des discriminations et des hiérarchies celles de l’entreprise ou celles traditionnelles étouffantes de certaines communautés. Or la tendance lourde historique et planétaire pousse à l’égalité des droits (de vote notamment pour les résidents étrangers) et à l’égalité des conditions (dynamique d’insertion économique et sociale face au chômage et à la précarité, face à la crise du logement, face à la police, face à l’école).

La revendication d’égalité permet de répondre aussi à déstructuration du tissu social issue de la crise de l’Etat social qui dégénère en Etat d’exception (cf A Berho) et plus globalement de la mutation du système capitaliste mondialisé .

Le mouvement pour l’égalité constitue une réponse à la crise de la socialité, à la perte du lien social mais aussi à la crise culturelle générée par la marchandisation généralisée (A Bihr) . Deux précisions donc :

Sur la crise de la socialité observons que la perte du lien social n’est pas nécessairement attribuable aux quartiers et banlieues. (cf Michel Kokoreff ) Le maintien d’un ancrage culturel avec une certaine composante religieuse permettrait même de parler de résistance culturelle à la « colonisation du monde vécu » par la consommation marchande généralisée . Ce maintient d’un ancrage culturel fournit lien et sens.

Sur la crise culturelle observons que la marchandisation généralisée fait la promotion de nouveaux fétiches (non religieux cette fois-ci : la technologie, la nation...) . La liste est longue : il ne s’agit donc pas d’évoquer seulement l’impérialisme de Coca-cola !

A propos de cette crise culturelle une contradiction mérite d’être soulignée : Le capitalisme contemporain sous l’égide de cette valorisation sans frein du marché ferait à la fois place :

1 - à une démythification du monde porteuse d’un fort potentiel d’esprit critique et citoyen sur lequel s’appuie les mouvements anti/altermondialistes.

2 - mais aussi à un « retour du religieux » du fait :

 d’une part de la crise du sens comprise soit un « non sens généralisé » (car le marché est incapable de donner un ordre signifiant), soit de multiples significations présentes sans critères de hiérarchisation (« foire aux sens » d’ Alain Bhir)

 d’autre part du reflux des idéologies de libération et d’émancipation comme le marxisme fortement diffusé dans le court XX ième siècle.

Le mouvement alter me semble au coeur de cette contradiction . Comment dès lors peut-il unir « ceux d’en bas » ?

B - Unir en-bas avec les immigrés mais dans le débat voire le conflit.
car toutes les différences ne sont pas partagées

Il ne s’agit pas ici de la différence biologique, de la différence de la couleur de peau . Il ne s’agit pas non plus de hiérarchiser des cultures ou des civilisations : certaine, occidentale en l’occurrence, étant compatible avec la démocratie libérale hautement valorisée (car compatible avec le marché et les droits de l’Homme) et d’autre - orientale ou islamique - étant incompatible . Ce discours de Samuel Huttington ressemble fort à celui de l’extrême droite.

Déjà contre l’extrême droite l’idée unilatérale de demande d’assimilation des populations exogènes a été refusée, d’autant que l’extrême droite assez rapidement déclarait ces populations comme inassimilables, comme radicalement différentes. L’extrême droite retourna alors le discours de la différence contre une certaine gauche. Patrick TORT problématisa l’exigence d’égalité par rapport aux questions d’identité (ressemblance et différences) et ce en lien avec le colonialisme (cf Etre marxiste aujourd’hui et site rennes-info.org rubrique contribution)

Ce qui fait débat dans le mouvement social et altermondialiste c’est l’idée que la « différence culturelle » à forte composante religieuse n’est pas toujours assimilable à d’autres différences culturelles et ce à cause de certaines symboliques et de certaines idéologies qui renvoient à la critique des oppressions tant sur le volet laïcité que le volet droit des femmes . Il y a là travail pour créer l’unité du mouvement dans la perspective de la dialectique de l’intégration inégale et combinée (à de l’insertion économique-sociale).

Au nom de l’universalité des droits et du respect d’un ordre social laïque ou d’un ordre républicain (pour la France) sont invoqués la prééminence de certains droits, celui des femmes, de la laïcité, de la critique, de la liberté individuelle dans l’égalité et la mixité sociale. Mais répondra-t-on l’universalité elle même peut masquer par son abstraction une domination d’un groupe sur un autre . L’enjeu de la solidarité serait de tenir compte de l’ensemble des questions .

Pour le MRAP, la dynamique de l’intégration se comprends comme étant inégale mais dans le sens d’une faible demande d’intégration culturelle aux populations d’origine immigrée (exemple : des moyens pour l’apprentissage de la langue française ) et comme étant combinée - c’est-à-dire liée - à une offre de la part de la société d’accueil . Le pendant du faible éffort demandé consiste en une forte composante d’une politique d’insertion économique-sociale et d’égalité citoyenne promu par le gouvernement en place . Une telle dynamique semble constituer un compromis pour unir ceux d’en-bas.

A l’égard des migrants l’alternative d’insertion et d’intégration passe par la défense de la liberté de circulation et d’instalation .

Christian Delarue

Secrétaire national du MRAP

Délégué cofondateur d’ATTAC France

Membre du CA chargé de « la mondialisation »

http://archives.rezo.net/archives/sanspap-rennes.mbox/42NRBZMFEBW7S7HMQRN6OR35VXGFH3VP/