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Sujet alter : « Jalons vers un monde possible » de Thomas Coutrot.

jeudi 26 août 2010, par Amitié entre les peuples

Sujet alter.

Une lecture de « Jalons vers un monde possible » de Thomas Coutrot.

Quel est l’acteur social en capacité de réaliser la politique d’émancipation alter et/ou le projet de transformation sociale dans le dernier ouvrage de Thomas Coutrot ? Le co-président d’ATTAC France ne pense ni à la multitude ni au peuple-classe mais à la société civile. Un objet qui continue de faire question mais qui mérite d’être mieux connu.

Cette note portera que sur trois chapitres de l’ouvrage avec quelques incursions sur d’autres le cas échéant quand cela permet une meilleure compréhension de ce qui est explicité.

Les trois chapitres en question sont le 4 Peuple, prolétariat, société civile ? le 5 Démocratiser l’Etat : la socialisation de la politique et le 6 Démocratiser l’économie : la socialisation du marché. (Sont ici ignorés les chapitres 1 Régulariser la finance ou la socialiser ?, le 2 Peut-on repeindre en vert le capitalisme ?, le travail décent un bien commun, le 7 Réforme et révolution la longue marche de la société civile, le 8 Pour une relocalisation coopérative.)

1 - Démocratiser c’est socialiser.

Abolir l’Etat est aussi utopique que d’abolir le marché . Les deux institutions sont d’ailleurs différentes même si elles s’articulent au détriment des citoyens et des clients non solvables. Le projet de Thomas Coutrot est dans le droit fil de ses écrits antérieurs de démocratiser et même socialiser l’un et l’autre. Si la démocratie de l’Etat est concevable il est moins clair de vouloir démocratiser le marché . Et dire qu’il s’agit de le socialiser n’apporte pas à priori plus de clarté. Thomas Coutrot réfute ce point de vue.

L’idée de démocratiser l’Etat et de démocratiser l’économie peut se comprendre comme l’amélioration de l’intervention citoyenne dans l’appareil d’Etat et dans les structures productives. Mais l’économie ne se réduit pas aux entreprises car il y a ce que l’on nomme avec Marx la reproduction élargie du capital qui assure sa domination au-delà de la production et de la circulation des marchandises (cf A Bhir). Peut-on alors « démocratiser le marché » comme on entend démocratiser « l’économie non marchande ? » La chose apparait plus difficile. Quelle intervention sur les marchés ou la demande solvable seule est agissante au détriment de la délibération politique et citoyenne ?

2 - Quelle démocratisation ?

Vouloir socialiser le marché signifie faire plus de place aux acteurs de l’économie sociale et solidaire, aux associations, aux coopératives et mutuelles les plus dégagées des logiques marchandes. Le terme socialisation ne porte pas d’emblée sur un individu citoyen ou sur un mode démocratique direct .

Dans le même ordre de questionnement que signifie socialiser la politique ou socialiser la finance. On comprend intuitivement que la socialisation, terme important du livre, est un aspect lié à la démocratie. Si le capitalisme s’oppose frontalement à la démocratie dans et hors l’entreprise (ainsi que le développe un livre précédent de Thomas Coutrot ) ce serait la socialisation qui serait la réplique au capitalisme.

3 - La socialisation pousse vers un autre socialisme.

La conclusion de l’ouvrage porte sur le « socialisme civil » qui s’oppose au socialisme d’Etat comme la société civile s’oppose à l’Etat. On retrouve ici une conception de type anarchiste qui place l’Etat comme un organe unilatéral d’oppression à l’instar du capital. Il n’est nullement question de voir l’Etat comme un levier du changement.

Outre l’’Etat, c’est la démocratie élective représentative qui est radicalement critiqué. Qu’il faille critiquer les mécanismes de constitution d’une classe politique autonomisée au travers des élections est nécessaire. mais ici la critique est radicale à la façon des anarchistes. Rien de bon dans l’Etat, rien de bon dans la démocratie élective représentative. L’avenir est dans la société civile, qui n’est donc pas les individus, mais les organes non capitalistes de la société civile.

4 - Quelle société civile ?

Thomas Coutrot qui prend appui sur la « société civile » au titre de la démocratisation-socialisation écrit : « La »société civile« du jargon néolibéral désigne en fait les grands intérêts économiques et financiers, les lobbies et réseaux des milieux d’affaires, et les grandes ONG qu’ils ont créées ou cooptées, qui développent leurs régulations propres ( »soft law« ) pour s’émanciper des régulations publiques ( »hard law« ) ». Plus loin : " La société civile n’est spontanément ni progressiste ni démocratique : certaines associations sont racistes, sexistes, chauvines, militaristes... On lit bien que les difficultés du terme ne sont pas éludés.

L’auteur s’appuie aussi sur Castoriadis pour souligner que les associations tendent « à favoriser l’autonomie individuelle et collective de ses membres, et non leur soumission à des normes préétablies par une autorité sacrées ou une hiérarchie immuable. » Il s’appuie encore sur Gramsci pour introduire la société civile comme élément de construction d’une hégémonie contre celle de la bourgeoisie. Mais sa vision post-marxiste abandonne l’hégémonie contre le capital au profit d’une construction multiforme contre l’Etat et contre les autres pouvoirs patriarcat, racisme, colonialisme, etc.

"En effet la société civile est clivé par de multiples rapports sociaux plus ou moins contradictoires : locataires- propriétaires, travail-capital, campagne-ville, etc. On voit mal ces organes construire l’intérêt général de la société contre l’Etat et contre les entreprises capitalistes. Peut-on les voir se mettre d’accord pour contrôler la gestion des biens communs. Un bien commun est une ressource à laquelle chacun doit pouvoir accéder pour pour pouvoir vivre librement. A certaines conditions institutionnelles, la gestion collective d’un bien commun par ses usagers est parfaitement possible et rationnelle.

Il aurait fallu préciser la nécessaire appropriation publique permettant l’appropriation sociale par les usagers. Un usager se rapporte au service public et un client au marché et à une entreprise privée. Cela heurte la vision d’un Etat unilatéralement dominateur. Certes l’Etat défend le capital mais il ne fait pas que cela. Il est encore et toujours le moyen de construction des services publics.

5 - L’Etat est comme Janus : il a deux faces.

Il faut donc arriver à voir dans l’Etat deux faces d’une part une bureaucratie d’appui des logiques marchandes et capitalistes qui sont autant de dispositifs abstraits d’oppression et de domination des citoyens, et au-delà des la population sur le territoire mais aussi d’autre part un ensemble de dispositifs d’accès aux droits pour tous y compris les insolvables. Autrement dit l’Etat social assure encore face aux logiques capitalistes et marchandes le maintien du service aux usagers et non la vente marchande à une clientèle solvable. Pour le dire de façon sèche : le service public national ou décentralisé assure le déploiement de la valeur d’usage pour tous et ce de façon radicalement différente de la production privée et marchande pour le profit.

6 - Quel peuple ?

Le peuple européen n’existe pas mais il est à construire. Il ne suffit pas de se replier sur le peuple des nationaux qui n’est pas tout à fait fondé sur « un humain = une voix » (résidents sans citoyenneté) et qui de plus masque le fait que le vote est un mécanisme de formation d’une classe de grands élus autonomes face aux citoyens mais proche des capitalistes et des lobbies. Thomas Coutrot reprend à Bourdieu le terme de Noblesse d’Etat pour caractériser la haute fonction publique.

Il revient aux gauches résolument transformatrices allant vers le socialisme d’œuvrer à l’unification des peuples-classe d’Europe. Cette dynamique vient en complément des projets d’émancipation humaine portés par l’altermondialisme dont Thomas Coutrot exprime un orientation qui paraitra quelque peu « anarchiste » aux syndicats. C’est que l’articulation ne va pas toujours de soi entre transformation et émancipation.

7 - Transformation et/ou émancipation.

Une certaine tension demeure entre transformation des institutions politico-étatiques ou des entreprises publiques et émancipation humaine par la socialisation. Pour ma part, je ne crois plus à la disparition de l’Etat (abolition ou dépérissement) mais à sa transformation sous un mode nouveau. Dès lors évoquer les entreprises publiques ou les services publics signifie penser la double besogne de la démocratisation et de la démarchandisation. Ce qui reste au marché non dominant mais néanmoins existant sous le socialisme est à charge des coopératives ou des sociétés ne faisant pas appel public à l’épargne.

Christian DELARUE