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Une triple critique du peuple : peuple-souverain, peuple-nation, peuple-classe. C Delarue

lundi 27 juin 2011, par Amitié entre les peuples

Une triple critique du peuple : peuple-souverain, peuple-nation, peuple-classe.

De quelques enjeux de la référence au peuple (*)

Source image : Marc Lafontan

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La référence au « peuple » est constante dans les sociétés non théocratiques qui se réclament de la démocratie. A la suite des « révolutions arabes » elle revient en force notamment avec le mouvement des « Indignés ». Mais chacun y va de son peuple.

Derrière l’étiquette indéterminée du mot « peuple » il importe d’aller voir de quel peuple il s’agit. Les libéraux ne font pas appel au même peuple que les identitaires ou que les Républicains ou que les socialistes. Le mot peuple a aussi donné lieu à populisme qui peut avoir une fonction stigmatisante tantôt à raison tantôt à tort ce qui ne facilite pas les clarifications.

A suivre Yves MENY et Yves SUREL la référence au peuple serait « démocratique » lorsqu’il s’agit du peuple-souverain. La référence serait populiste lorsqu’il s’agit du peuple-nation ou du peuple-classe. Ces deux auteurs conviennent pourtant que le terme « populiste » ou « populisme » ne donne de moins en moins lieu à usage scientifique. Leur livre « Par le peuple et pour le peuple » (1) a été écrit en 2000 mais Yves Meny use encore du mot dans Ouest-France en juin 2011. Le discours scientifique peut se mélanger au discours idéologique disait Patrick Tort. Le discours de la rénovation sans contenu précis est typique d’un discours idéologique (2) Il revient à la vertu critique de la science de lever le voile sur les notions ambiguës qui donnent tout particulièrement lieu à des instrumentalisations politiques néfastes (3).

1) Le peuple-souverain questionné : Quel rapport démocratique ? Quel périmètre « citoyen » ?

Le peuple-souverain n’est pas le peuple tout entier et le peuple-souverain n’est pas hors de tout rapport social. Le peuple-souverain est en rapport « démocratique » (faible) avec des élus, et notamment des « grands élus » quasiment constitués en caste du fait du système de cumul des mandats horizontaux (types de mandat) et verticaux (nombre d’années). De plus le citoyen brille beaucoup mais peu de temps, celui du vote. Hors des urnes et parfois de la rue, il n’est que peu de chose !

Le peuple-souverain peut se trouver largement dépossédé par des mécanismes de délégations qui attribuent un pouvoir excessif aux grands élus qui ainsi se trouvent constitués en castes politiques relativement fermées et même en ploutocratie soucieuse de satisfaire sous couvert d’intérêt général les intérêts de la classe dominante et secondairement de ses couches d’appui. Le phénomène est patent au niveau européen mais il se constate aussi au plan national et même au plan local ou la démocratie de proximité n’a pas toujours, loin de là, les vertus qu’on veut bien lui prêter. La décentralisation des années 80 a produit des « notables » locaux qui n’ont rien à envier aux grands élus de la République.

Le peuple-souverain montre un citoyen sans détermination sociale et cela est parfois vu comme une protection contre un risque de totalitarisme du collectif que le mot peuple pourrait induire. Ce citoyen abstrait sans histoire ni appartenance sociale cache pourtant une division entre le citoyen ordinaire et le citoyen VIP très avantagé par ses positions de pouvoir dans la société civile (médias, entreprise, etc...) ou dans l’Etat (pantouflage, etc...). Cette critique-là peut être faite en un sens élitiste ou en un sens populiste (ici sans connotation péjorative).

Enfin, autre critique, le périmètre du peuple souverain est défini par l’Etat comme membre de la communauté nationale. Et la définition donnée peut être réductrice notamment à l’encontre des résidents étrangers exclus quoique durablement installés sur le territoire national.

2) Populisme et peuple-nation.

Il existe bien un populisme de droite qui s’appuie sur le peuple-nation mais aussi un populisme de gauche qui fait de même mais sous couvert de République. Le fait de faire intervenir la République et les institutions politiques publiques chargées du bien commun et du « vivre ensemble » a cependant pour fonction de délester la référence à la Nation de ses pesanteurs ethniques historiques. On sait que les identitaires français mettent l’accent sur la culture française ancestrale pour défendre un peuple identitaire menacé par un islam inassimilable. La subculture chrétienne caractérise alors le peuple ethnos français très attaché à ses églises bien que largement devenu athée. Pour les Républicains populistes la référence ne sera plus ethnique et identitaire dans la société civile mais républicaine dans l’ordre politique. Mais ici le politique recouvre la société civile notamment si l’on prend le thème de la laïcité dans un sens proche de sécularisation. Cela facilite des rapprochement entre ces républicains catho-laiques et les identitaires « français de souche ».

3) Populisme et peuple socio-économique.

Il y a toujours eu une notion socio-économique du peuple (4) et aujourd’hui deux notions sont invoquées : l’ancienne la plèbe dite « couches populaires » (grosso modo les ouvriers et employés du privé et du public) et la nouvelle à savoir le peuple-classe de format plus large qui constitue de 90 à 98 % de la population d’un pays en rapport de subordination ou de domination face à la classe dominante (vs marxisme) ou face à l’oligarchie (vs science politique) selon les conceptions.

Le populisme réactionnaire s’appuie plus sur les revendications de la populace, des individus-masse plus que sur les revendications des plus larges composantes du peuple-classe qui élèvent le niveau de vie de tous en diminuant celui de la bourgeoisie. Il est aisé pour les politiciens réactionnaires de profiter des divisions socio-professionnelles internes du peuple-classe pour avancer des positions clientélistes. Ceux-là excitent auprès des professions indépendantes surtout le ressentiment contre les plus pauvres et les plus faibles sur fond d’antifiscalisme, de travaillisme (5) ou de nationalisme. Un populisme progressiste, si l’on accepte le terme, tâchera, sans forcément y parvenir, d’élever globalement sans distinction le niveau de vie des plus défavorisés (les sous-smics, les smicards, les prolétaires de façon générale) sans prendre sur celui des couches moyennes alors que le populiste réactionnaire prendra tantôt aux couches moyennes pour donner aux pauvres (populisme de type misérabiliste) ou prendra aux pauvres qui trichent avec les allocations pour donner aux pauvres qui travaillent.

On peut même dire qu’un « populisme de gauche » d’orientation socialiste et « redistributiste » doit s’appuyer implicitement ou explicitement sur les besoins sociaux du ou des peuple-classe. Cela implique la volonté de promouvoir une autre démocratie plus participative tournée vers la construction d’un Etat social profitant réellement au peuple-classe dans toutes ses composantes. Cela suppose une autre fiscalité comme une autre police et une autre justice. Nos institutions publiques respirent trop leur nature « de classe » : Elles punissent trop les couches populaires, elles ponctionnent de trop les couches populaires. L’Etat n’est plus au service des besoins sociaux mais au services des grands possédants, de la finance, des firmes multinationales. D’ou une indignation montante.

Christian DELARUE

*) Défendre le peuple-classe : ni populisme, ni élitisme.

http://www.alterinfo.net/Defendre-le-peuple-classe-ni-populisme-ni-elitisme_a59019.html

1) in Fayard Coll L’Espace du politique 2000

2) A propos des conseils d’Yves MENY au PS.

http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=49037

3) La notion d’« islamo-fasciste » par exemple a un sens plus idéologique que scientifique.

4) Lire : Yves MENY et Yves SUREL : le peuple comme peuple classe.
http://www.legrandsoir.info/yves-meny-et-yves-surel-le-peuple-comme-peuple-classe.html

5) Le travaillisme refuse la RTT au profit de l’intensification du travail et du « travailler plus pour gagner plus que son voisin » il est fondé sur l’individualisme et la société du mérite. Notion fort critiquable qui réhabilite l’exploitation de la force de travail dans le privé et dans le public. La critique du travaillisme ne signifie pas abolition immédiate du travail salarié mais défense du « travailler sobre », du travail pour tous et toutes, donc d’une nouvelle RTT hebdomadaire.