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Le communautarisme est comme le cholestérol : il y a le bon et le mauvais - A Cordeiro

dimanche 18 mai 2008, par Amitié entre les peuples

05/03/2007 - par Albano Cordeiro

Introduction par Albano Cordeiro au débat sur les communautarismes qui a rassemblé 28 personnes le vendredi 9 février 2007 à la Teinturerie. Des compléments sur cet excellent « salon » seront publiés par ailleurs.

En introduction à ce débat je propose une incursion – rapide - dans l’histoire des idées des Sciences Sociales liés à cette problématique.

1. La question vue par F. Tönnies

Un sociologue allemand, Ferdinand Tönnies, publie, en 1887, un ouvrage intitulée « Communauté & Société ». Bien que le sujet n’était pas nouveau, ses définitions (des idéaux-type à la Max Weber) seront par la suite reprises pour expliquer des changements qui se sont opérés dans les nations européennes entre le XVIII et le XIXe siècle, en particulier, à la suite de la révolution industrielle et de l’expansion des villes au détriment des zones rurales.

Ainsi, nous allons vous donner quelques associations de notions qui se rattachent aux deux formes historiques du vivre ensemble.

COMMUNAUTÉ - SOCIÉTÉ

1 Ancien - Modernité

2 Cœur avant la raison - Raison prédominant sur le cœur

3 Hiérarchisation sociale - Égalité formelle

4 Loyauté - Choix individuels

5 Confiance. Liens avec des gens. Coopération. - Conflit Echanges monétisés (sans obligation inhérente dans le cas du don). Concurrence. Conflit. Intérêt. Calcul

6 Prédominance du modèle (paradigme pour d’autres formes d’organisation sociale). - Prédominance du modèle contractuel. familial

7 Liens avec des gens :(paradigme pour d’autres formes d’organisation sociale). - Liens volontaires, contractuels Conflit. Concurrence générant fidélité. Conflit. Liberté pour religieux et non religieux. Dans certains cas : partage de la même religion.

8 Volonté « organique »** Volonté réfléchie

9 Rôles sociaux rigides sous contrôle social (et/ou religieux) Division du travail changeante, aléatoire

10 Engagements collectifs. Normes comportementales codifiées Contrat (entre deux égaux), Loi (l’Etat protège et l’applique à tous avec égalité)

11 Dévouement, sacrifice, Honneur Respect, Dignité

12 Appartenances assignées (assumées par la suite) Appartenances volontaires (et/ou assumées librement)

13 Echanges entre gens qui se connaissent (fidélité) Echanges entre anonymes largement majoritaires. Concurrence

14 Domination seigneuriale. Esclavage Salariat. Liberté d’initiative entrepreneuriale

Il faut ajouter que pour F.Tönnies, les sociétés réelles combinent les traits de ces deux types.

*

2. La position d’Emile Durkheim, sociologue français

Ce thème de la définition de deux formes sociétales a été repris par le sociologue français, contemporain de F. Tönnies, Emile Durkheim, considéré par ailleurs comme le père de la sociologie française.

E.Durkheim constate lui aussi que les individus sont de plus en plus autonomes. Cela pose un problème de cohésion sociale qui doit passer par la solidarité. Dans son ouvrage « La division sociale du travail », publié six ans après celui de F.Tönnies, il distingue deux formes historiques des sociétés : celles de la « solidarité mécanique » et celles de la « solidarité organique ».

Chez Durkheim, les sens de « mécanique » et de « organique » se trouvent renversés, par rapport au sens que leur donne F.Tönnies. La première est caractéristique des société archaïques, étant fondée sur la similitude entre individus non spécialisés, partageant des valeurs et des croyances. Elle est plutôt fusionnelle. La deuxième, par contre, est le propre des sociétés complexes, où les individus sont conscients de leur interdépendance, dérivée de la division sociale du travail. Les différences sont grandes entre les individus, pris dans une division élargie du travail, mais ils se complètent grâce à la solidarité entre eux.

Pour Durkheim, les société modernes conservent des traits de la communauté ancienne, en particulier sa « conscience morale ».Le lien social est un lien moral parce que tout individu est, en quelque sorte, « forcé à compter avec autrui ». Cela crée une conscience collective qui est le ciment de la société. Dans ce sens, Durkheim écarte l’idée qu’un Contrat Social soit le fondement politique de la société. Il est ainsi en contradiction avec la rhétorique républicaine, et cela expliquerait par la même que ces idées sont peu divulguées dans les milieux intellectuels et politiques acquis dans leur grande majorité à cette rhétorique.

Dans « solidarité organique », ce dernier terme évoque, pour la société concrète concernée, l’intégration à une totalité englobante … qui pour certains, se pourrait être la Nation. Mais en tout cas, l’ « intégration » dont il est question chez Durkheim s’adresse à tous les éléments et composants de la société, et non pas à une partie seule de la société désignée comme intrinsèquement et originellement « à intégrer », comme l’on peut constater de nos jours, puisqu’elle ne concerne que la partie issue de l’immigration, et cela au delà même des générations arrivées adultes en France. Ce type de distinction est absent chez Durkheim :c’est toute la société qui a besoin d’intégration.

3. Les communautarismes

Si l’on accole le suffixe « isme » à communauté, cette notion prend une place privilégiée et nous sommes dans le domaine de l’idéologie. Et en tant qu’idéologie la connotation donnée, en générale, est celle de l’anti-universalisme. Il s’agît là toutefois d’une des interprétations possibles. Les interprétations et perceptions évoluent.

Bien qu’aux USA il y ait des communautaristes réactionnaires (retour de l’ordre, de la tradition, des « valeurs »), mais aussi des communautaristes avec une autre vision, celle de la communauté comme créatrice de lien social contre société d’individus atomisés, anonymes. Il reste que, à cette notion se sont accolées des connotations négatives. En France, vous dites « communauté » et vous imaginez une population régie par des lois qui n’émanent pas de la … de la République. Les « communautés » seraient des creusets de l’Anti-France ; elles attaqueraient les principes mêmes de la République, la mettant en danger, donc éveillant la nécessité de la défendre à tout prix.

Or, le fait qu’il existe une communauté quelque part, cela ne présuppose pas induit que les individus qui s’en revendiquent soient régis par des lois différentes de celle pour tous.

En fait, il y va des communautés comme du cholestérol. Il y a des bonnes communautés mais aussi des mauvaises.

Pour qu’il y ait communauté, il suffit que l’on y constate une réalité d’interactions sinon intenses du moins portant sur des domaines tenus pour essentiels dans la vie des individus. Une communauté dispose d’une multiplicité de réseaux internes ayant des connexions avec des réseaux « externes », qui sont nécessaires voire indispensables pour la vie normale en son sein. Ces réseaux sont de divers ordre (circulation de l’information, de solidarité, de projets répondant à des besoins »internes »,à des valeurs partagés, etc.), mais ils ne couvrent pas nécessairement la totalité de la vie sociale.

Le partage de valeurs et croyances n’est pas par contre une condition nécessaire. D’autant plus que, contrairement aux idées reçues, une communauté pour se reproduire se doit de « cultiver » activement une diversité interne, sociale, culturelle, économique, politique, voire religieuse qui multiple et démultiplie les échanges internes. Elle a besoin de conflits internes (« le conflit est une des formes du vivre ensemble », disait déjà Sartre). Ces conflits témoignent de l’importance des liens existant entre les individus et sous-groupes internes à la communauté. Il est certain toutefois que toutes les communautés sont un lieu de maints conflits. Certains peuvent être centrifuges, mais d’autres ont un rôle peut-être contradictoire, celui de devenir occasions d’un dévelpppement du rayon d’action et d’un renforcement de la cohésion interne.

C’est dans cette optique que l’on peut affirmer qu’il n’existe pas en France de « communauté maghrébine ». Ce terme est applicable aux tamouls de France, aux sikhs de France, et plus faiblement aux Portugais de France, à d’autres encore mais pas aux maghrébins. En parler, cela relève du fantasme. Certes, l’on peut déceler des « sous-communautés » maghrébines à appartenance régionale- mais dans leur globalité les Maghrébins ne forment pas une communauté en France.

Pourquoi, en France, bizarrement, le mot communauté suggère immédiatement « communauté maghrébine » alors que justement c’est le plus mauvais exemple de communauté ?

La même question se pose pour la soi-disant « communauté musulmane » qui n’existe pas

Pour faire succinct : le contentieux issu de la décolonisation délégitime l’appartenance des maghrébins à la nation française (qu’ils auraient refusé). Ceci étant de l’ordre du « non-dit-non-disable », cela surgit sous différentes formes dont la crainte qu’ils se « regroupent » en communautés que l’on aurait alors des difficultés à contrôler, se régissant par d’autres lois que celles de la République - ce qui transparaît dans la phobie que le mot suscite. Ainsi, la question de savoir si les Maghrébins constituent ou pas une communauté, ne se pose même pas. Ils « doivent » être une communauté parce que cela « légitime » les peurs de leur sabotage (« non-intégration ») de la République.


* Expression reprise de Pierre-André Taguieff (in « Communauté, communautaire, communautarisme, perspectives républicaines », contribution à l’ouvrage collectif « Les Enfants de la République. Y a-t-il un bon usage des communautés ? », 2004)

** Par « organique », F. Tönnies fait référence à ce qui est « vital » : des instincts, des pulsions. L’emploi du mot « réfléchie » est connecté à « décisions » par l’usage de la raison, et dans lesquelles le calcul a une place importante.

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