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La démocratie participative peut ne pas être un concept marketing

samedi 21 juin 2008, par Amitié entre les peuples

(première partie)
mardi 11 décembre 2007
par Eric Litot

Les Municipales approchent. L’occasion de revenir sur une très intéressante conférence conduite par un spécialiste de la démocratie participative [1]. David CHIOUSSE, chargé de mission à la mairie d’Aubagne, en explore les principes et leur mise en pratique en s’appuyant — ou non — sur l’exemple de sa ville.

Ce premier article brosse le contexte de la (re)naissance du concept de démocratie participative et énumère les conditions nécessaires (mais pas forcément suffisantes) de son déploiement.
LA (re)naissance de la démocratie participative

Comment définiriez-vous la démocratie participative ?

Avant toute chose, je voudrais préciser que toute expérience dans ce domaine doit intégrer l’environnement et l’histoire spécifiques de chaque commune. Aucune expérience ne peut être reproduite in extenso.

Je rappellerai ensuite que la démocratie participative n’est ni un concept récent ni une idée neuve. Ainsi, l’article 21.1 de La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme stipule que « toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ». On constate que le terme « directement » évoque déjà le concept de démocratie participative.

Deux conceptions de la démocratie participative s’affrontent aujourd’hui :

1. celle adoptée lors de la dernière campagne présidentielle par Ségolène Royal, qui consiste à utiliser la démocratie participative pour légitimer ses positions : « j’écoute les gens, ils me disent que ce que je dis et pense est bien et j’ai donc plus de pouvoir pour mettre en oeuvre mon projet ». C’est de la concertation.
2. celle que je défends, qui travaille sur des valeurs d’émancipation, de responsabilisation de chacun et de parité dans le processus (à Aubagne par exemple, 3 composantes majeures clairement identifiées travaillent ensemble : les élus, les citoyens, et le service public communal) et qui fait de la démocratie participative une des conditions de la transformation sociale.

La démocratie participative n’est donc pas un concept neuf. Mais quelles sont les conditions de sa résurgence ?

Les 25 dernières années ont vu l’échec du modèle léniniste et communiste soviétique, la théorisation de la Fin de l’Histoire [2] qui a profondément modelé les esprits dans les années 80, la montée d’une nouvelle forme du capitalisme, incarnée par M. THATCHER et R. REAGAN, l’avènement de l’idéologie néo-libérale qui affirme qu’il n’y a qu’une manière de concevoir les rapports sociaux, de faire de la politique et de s’engager (c’est l’économie de marché et la recherche du profit [3]), les nouvelles technologies qui ont précipité la dématérialisation de l’économie et la mondialisation, la montée en puissance des institutions internationales telles que le FMI, la banque mondiale et l’OMC [4], la fin de l’Etat providence dans tous les pays d’Europe [5] au profit d’une mondialisation basée sur la concurrence [6].

En parallèle et face à cette mondialisation libérale, ont émergé de nouvelles formes de contestation qui échappaient aux structures classiques : mouvements sociaux contre la casse des retraites en 1995, création de coordinations, du syndicat SUD, de la FSU, montée en puissance des ONG sur la scène internationale, convergence progressive vers un mouvement altermondialiste comme première forme organisée de la contestation antilibérale, apparition de pratiques et de thèmes nouveaux (justice économique au niveau international, la question de l’autonomie des peuples, de la protection de l’environnement) qu’on a vu enfin apparaitre dans les campagnes présidentielles.

A partir de là des formes nouvelles d’organisation du champ politique sont apparues : le fonctionnement en réseau rendu possible par les nouvelles technologies et la démocratie participative à travers l’organisation du processus délibératif (on participe au processus qui crée la décision). Ces formes émergent assez vite dans les années 90 (naissance d’ATTAC en juin 98 [7], premier forum social mondial de Porto Alegre en janvier 2001).

Oui mais pourquoi la démocratie participative ?

Le premier forum social s’est tenu à Porto Alegre, ville qui, après avoir été conquise par le parti des travailleurs, a décidé de construire un autre rapport à la décision publique et a mis en place la première expérience de budget participatif. Cette expérience a été présentée pendant le forum social et a fait quasiment consensus parmi les intervenants. Ceci dit, même si ce processus est souvent portée aux nues, il ne faut pas oublier qu’il s’est développé dans un environnement particulier : la situation institutionnelle au Brésil n’a rien à voir avec ce que nous pouvons connaître ici. Par exemple au Brésil, le maire et son premier adjoint sont élus au suffrage universel alors que le conseil municipal est élu par les quartiers avec un système très complexe de proportionnelle qui a fait qu’il n’a pas eu la majorité au conseil municipal. Il a donc été obligé de mettre en place le budget participatif, non pas avec un objectif idéologique d’associer les gens mais pour construire un rapport de force avec l’opposition et donc imposer les décisions qui allaient transformer la manière de gérer la ville.

Depuis lors, certaines ONG altermondialistes se chargent de diffuser les expériences sur les budgets participatifs. Des textes et des idées circulent et dès 1999/2000, quelques villes en France se lancent dans cette expérience. C’est de là qu’est née la coupure entre ceux qui considèrent que la démocratie participative doit strictement renforcer la démocratie représentative, et ceux qui s’engagent sur un projet de transformation sociale et de dépassement des limites.
La démocratie participative ne se décrète pas

Si une expérience de démocratie participative ne peut être transposée d’un environnement à l’autre, existe-t-il tout de même des pré-requis qui conditionnent le succès ou l’échec de la démarche ?

8 pré-requis permettent de dessiner le cadre d’une démarche de démocratie participative :

1. la conviction et la sincérité. Cela est très difficilement mesurable. Par exemple à Aubagne, jamais la population n’a manifesté son désir de voir se développer la démocratie participative. L’impulsion est toujours venue des élus. Il faut donc se méfier de l’élu qui s’empare d’un concept à la mode pour en faire un nouvel outil marketing. Mais cela se détecte généralement très vite. En effet, une décision validée collectivement qui n’est pas mise en oeuvre au bout d’un certain temps réflète, soit de nouveaux problèmes qui nécessitent de se réunir à nouveau, soit que l’élu n’a pas envie de mettre en oeuvre la décision. La conviction et la sincérité doit aussi être du côté des citoyens qui quittent un fonctionnement clientéliste — ma petite subvention ou mes 2m2 de trottoir — pour s’associer et faire émerger des solutions pour le bien commun et l’intérêt général.

2. accepter la complexité. On est plus dans un fonctionnement binaire mais dans des projets qui demandent du temps, de la réflexion, beaucoup de travail et d’information. Par exemple en France les temps administratifs sont très longs. Pour construire une école, il faut 10 ans, un collège, 7 ans. Le citoyen doit donc appréhender un échéancier à moyen et long terme, et doit aussi accepter pour l’élu et lui-même le droit de se tromper de bonne foi.

3. la démocratie participative doit être ancrée dans des valeurs et dans un projet politique. Aubagne est une municipalité d’union de la gauche ou communiste depuis 40 ans, avec des élus qui ont ces valeurs. Si par exemple demain quelqu’un demande à ce que soit créé un groupe de démocratie participative sur la suprématie de la race blanche, que fait-on ? C’est bien entendu hors de question. On est sur des valeurs, sur des engagements qui fondent l’action politique. Cela ne se discute pas. Si les Aubagnais veulent en mars prochain changer d’orientation politique, ils ont les élections pour cela. Après, en fonction de leurs valeurs, les élus construisent collectivement des projets qui correspondent à ces engagements. C’est particulièrement vrai sur une question très importante chez nous, celle du logement social. Qui est très contestée par l’opposition municipale, la droite locale, et qui est un des points forts de l’action municipale : respecter la loi SRU, c’est à dire avoir 20% de logements sociaux dans la ville et même un peu plus. Là dessus on ne transige pas. En revanche, quand il y a un projet de construction sociale, on peut discuter avec les riverains des conditions de la réalisation, des aménagements à imaginer, la forme urbaine que cela peut prendre... Tout cela est négociable et discutable. Mais le principe de construire des logements sociaux, cela n’est pas discutable.

4. savoir que cette démarche va produire des transformations fortes que l’on ne peut imaginer au départ et qu’il faudra accepter. Par exemple à Aubagne, pendant 2 ans les décisions issues de la démocratie participative avaient du mal à être mises en oeuvre. C’était validé, mais on n’arrivait pas à trouver le bon outil pour que les décisions soient prises et les travaux engagés ou les nouveaux services à la population déployés. Cela a suscité une réorganisation complète des services administratifs de la ville. Cela a été très compliqué car comment demander à une organisation qui en général fonctionne de changer ?

5. ne pas craindre de passer de l’expérience à la généralisation. On commence souvent par des expérimentations limitées, des conseils de quartier, des débats sur certains thèmes. Il y a à Aubagne des élus qui sont en désaccord avec le principe de démocratie participative qu’ils perçoivent comme un hochet inoffensif. Mais si cela marche et qu’il est décidé de le généraliser à tous les conseils de quartier, à tous les projets et au budget de la ville, cela coince ! Il ne faut pas craindre de passer de l’expérimentation, même imparfaite, à la généralisation. Ceci afin d’éviter qu’une part des décisions soit collective et une autre dédiée aux élus.

6. ne pas avoir de fantasmes sur la représentativité. La démocratie participative ne vise pas à la représentativité qui concerne les élections et le suffrage universel. On n’a pas à être représentatif, à avoir des quotas de quartiers, sexe, ou autres. C’est sur la base d’un engagement citoyen, volontaire et individuel. On a entre 500 et 2000 personnes engagées dans le processus à différents niveaux : un premier cercle de 300 à 400 vraiment militants, un deuxième cercle de 500, 600 personnes qui pratiquent de façon éloignée et un troisième cercle, plus large, de personnes qui pratiquent occasionnellement. 2000 sur 43000, ce n’est pas représentatif mais ce n’est pas grave : ils ont la légitimité de l’action. Il faut l’entendre et la respecter dès le départ car on ne peut être représentatif de la ville, c’est impossible. La représentativité se construit petit à petit en sortant de l’intérêt individuel du mètre carré de trottoir devant chez soi pour passer au bien commun et à l’intérêt général.

7. trouver l’articulation entre la démocratie participative et la démocratie représentative. Les élus ont un rôle fort. En général ils donnent l’impulsion mais il faut penser ce lien. C’est toujours le conseil municipal qui prend les décisions. On reste dans un cadre légal, on vote un budget dans les limites de temps qui nous sont fixées, on a des règles mais on n’est pas du tout dans une substitution de la démocratie représentative. On est dans une jonction entre les deux.

8. la démocratie participative doit construire un pont avec le monde. On ne doit pas s’enfermer dans une forteresse et dans des préoccupations étroites. C’est ce qui a fait grandir le mouvement altermondialiste : l’idée du local au global. Le protocole de Kyoto a par exemple un impact sur la gestion d’une ville. Quand l’entreprise multinationale Nestlé décide de fermer le site de Saint-Menet, cela a un impact sur la ville d’Aubagne (970 salariés de Nestlé habitaient Aubagne). Il faut accepter d’être traversé par ces mouvements-là et il faut y participer. C’est pourquoi la ville d’Aubagne s’est engagée dans les mouvements altermondialistes et participe aux forums sociaux en créant les conditions pour que les associations et les syndicats de la ville soient représentés et transmettent la modeste expérience d’Aubagne. En retour, ils glanent de nouvelles idées qui sont ensuite étudiées et soumises au débat.


Voir en ligne : http://www.cuverville.org/article43...