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Les quatre points cardinaux du populisme – M Wieviorka | Carnet de recherche

mardi 9 mai 2017, par Amitié entre les peuples

Les quatre points cardinaux du populisme – Michel Wieviorka, sociologue | Carnet de recherche

source : http://wieviorka.hypotheses.org/794

Dans le débat public, comme dans les sciences humaines et sociales, le populisme a mauvaise presse. Ce n’est plus ce qu’il a pu incarner, par exemple, dans la deuxième moitié du XIXe siècle en Russie, quand la jeunesse urbaine, éduquée, par milliers, faisait le choix de rejoindre le peuple et d’aller dans les campagnes, ou quand des intellectuels s’efforçaient, tels Alexandre Herzen, de conjuguer appel à la justice sociale, et référence aux traditions et à culture russes. Le mot « populisme » est devenu une formule pour rendre compte avant tout de logiques non, pré- ou anti-démocratiques qui, sans aller jusqu’à l’autoritarisme ou au totalitarisme, n’en relèvent pas moins de tendances inquiétantes, vite décrites comme nationalistes, racistes, xénophobes et portant en germe, comme un vers dans le fruit, l’extrémisme et les dérives violentes.

En fait, s’il n’existe aucune définition vraiment satisfaisante du populisme, il est possible d’en décrire les traits les plus centraux, et les plus courants. Comme son nom l’indique, le populisme se réfère au peuple et le pare de toutes les vertus. Il entend assurer une liaison directe, sans intermédiaires, entre ce peuple et ses dirigeants, sautant au-dessus des médiations que constituent les partis politiques et les institutions parlementaires. Une telle liaison confère généralement à un leader s’imposant au-dessus de tous un pouvoir charismatique, et incarnant à lui seul le pouvoir et le peuple.

Le populisme se présente comme anti-système, le contraire du « système », et des forces organisées qui le structurent. Il fonctionne sur le mode du mythe, c’est-à-dire qu’il concilie, en son discours, ce qui dans la réalité est hautement contradictoire, il relève à certains égards de la pensée magique. C’est pourquoi il n’est pas embarrassé par ses contradictions, il peut dire une chose et son contraire, d’un même mouvement, ce n’est pas un problème pour ceux qui s’y reconnaissent. Il a sa morale, son sens de la justice, mais si ses dirigeants se font rattraper pour des affaires de mœurs ou de corruption, ils n’en sont pas nécessairement discrédités.

Sociologiquement, le populisme trouve un espace dans les situations historiques de changement, quand un vieux monde se défait et que le nouveau tarde à se mettre en place, et que des acteurs se constituent pour en appeler à conjuguer les charmes de l’un, et les espoirs de l’autre, quand les systèmes politiques classiques entrent en crise, que les repères se défont, que le sens des choses devient confus, ou se perd.

C’est précisément ce que nous vivons aujourd’hui, à l’échelle de la planète : chacun sent bien que nos sommes entrés dans une ère historique nouvelle, mais personne ne sait vraiment ce qu’est ou sera l’avenir. Dès lors, le populisme a beau jeu de proclamer à la fois la continuité, et le changement : ses acteurs promettent à chacun de changer tout en restant soi-même.

Mais il n’y a pas un modèle, une formule unique de populisme, et dans le monde contemporain, il est possible de dessiner l’espace du phénomène, qui s’organise autour de quatre points cardinaux.

 Le populisme peut d’abord être de droite, ou de gauche.

A droite, et c’est la tendance principale, il est nationaliste, raciste, xénophobe, anti-intellectuel, il en appelle à la fermeture de la société sur elle-même, en même temps qu’il plaide pour une nation homogène, pure culturellement. Dans toute l’Europe prospèrent ce que les spécialistes appellent parfois des national-populistes, avec presque toujours un leader charismatique et des discours anti-systèmes qui accompagnent le désir de s’installer au cœur du système, d’accéder au pouvoir.

Et à gauche, le populisme fonctionne là aussi sur un mode démagogique et charismatique, promet de mettre fin au système. Et s’il prône lui aussi la société fermée et un certain nationalisme, il n’est pas raciste ni anti-intellectuel. Ce populisme est moins fréquent, on le rencontre néanmoins lorsque la gauche classique se décompose et donne naissance à des variantes radicales qui s’en accommodent.

 Le populisme peut ensuite être d’en bas, ou d’en haut et alors sans être marqué à droite ou à gauche.

En bas, il est populaire, il emprunte des éléments de discours de façon plus ou moins surréaliste aussi bien à la droite qu’à la gauche classique, il donne l’image de l’incohérence, et se caractérise, là aussi, par des promesses intenables, des contradictions innombrables et un soutien sans faille à un leader charismatique. Ce populisme d’extrême-centre, si on peut dire, peut être illustré par le mouvement Cinq Etoiles de Beppe Grillo en Italie.

Et en haut, le populisme est là encore un discours mythique, qui prétend dépasser toute distinction entre la gauche et la droite, et mettre fin au « système ». Il s’adresse à des électeurs éduqués, qui ne veulent plus des partis classiques, il rassemble des penseurs de droite comme de gauche. En France, le mouvement « En Marche » d’Emmanuel Macron s’apparente à certains égards à un tel populisme.

Dans certains cas, deux, voire trois de ces populismes coexistent. Il en est ainsi, en France avec les variantes de gauche (Jean-Luc Mélenchon), de droite (Marine Le Pen) et d’en haut (Emmanuel Macron). Dans d’autres cas, il est intégré, associant des éléments très différents, quitte à se fragmenter dans certaines conditions historiques, avec des éléments entrant entre eux en conflits parfois violents. C’est ainsi que le péronisme, en Argentine, a connu des phases de grande unité, derrière Juan Peron, mais aussi a pu donner aussi l’image d’une forte déstructuration, notamment à partir des années 70.

Il existe donc d’autant moins un populisme unique, mais une assez grande diversité, qu’un même mouvement populiste peut conjuguer plusieurs composantes, et évoluer dans le temps. En dessinant l’espace qu’il peut occuper, en précisant ce que peuvent être ses quatre points cardinaux, on se donne les moyens d’avoir une image des difficultés qui peuvent caractériser les démocraties libérales contemporaines –et annoncer dans certains cas de graves tensions et problèmes. Car si le populisme, en lui-même, n’est pas violent, autoritaire, dictatorial, radical, il précède souvent, dans l’histoire, des phases particulièrement dangereuses. Quand les mythes ne tiennent plus, en effet, quand les contradictions deviennent intenables, par exemple du fait de la situation économique, le populisme laisse la place à des logiques de déchirement et de rupture.

Tribune parue dans La Vanguardia, le 6 février 2017