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Choisir son peuple - Christian Delarue

vendredi 1er décembre 2023, par Amitié entre les peuples

Choisir son peuple

Cette affirmation peut surprendre : elle se comprend dès lors que l’on sait que le terme « peuple » est polysémique (1).

Il s’agit là d’un point de vue syndical doublé d’une longue relation à l’objet « peuple » du fait de son appartenance au MRAP ainsi que des études (lointaines certes ) en droit international public avec référence au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Point de vue syndical, donc d’un acteur de mobilisation populaire face aux exploitations du salariat mais aussi des autres oppressions et dominations, dont le classisme (non réduit à une discrimination ou un mépris).

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Si l’on ne veut pas « abandonner le peuple », comme on le répète de tout bord, encore faut-il savoir de quel peuple il s’agit ? On voit d’emblée que le peuple peut être aussi bien « objet » (institutionnel ?) que « sujet », sujet c’est à dire acteur collectif mobilisé, bien différent de la foule ! Un peuple peut faire révolution et devenir nation !

Tous et toutes ne font pas - à l’évidence - référence au même « peuple » : Entre le « retour du peuple » ces dernières années et la « peur du peuple » (peuplo-phobie) , entre une stratégie de front populaire à la simple référence à un peuple compris comme nation les écarts idéologiques et politiques sont immenses. Peuple nation ou autre peuple : quelle cohésion interne ? Ou quelle coupure peuple-élite ? Et quelle « irruption des peuples » contre les « démocratures » ? Quelle part importante et croissante des travailleurs et travailleuses salarié-es ? Allons plus loin : Quelle « trahison des élites », (Raoul Marc Jennar 2004) élites démocratiques et a-démocratiques (hors contrôle) dans l’actuelle démocratie, surtout représentative et parfois de « gouvernance » supra-nationale ? Quel classisme et - peut-être - quel « populisme » en réponse ? Un bon et un mauvais ? Quel accaparement aussi de la notion de peuple par l’extrême-droite nationaliste ? A toutes ces questions et d’autres encore, toute réponse suppose de savoir d’abord, en quelque sorte, reconnaitre « son » peuple de référence. Cela apparait essentiel même si c’est parfois compliqué, surtout quand on procède a des assemblages théoriques !

Trois types de « peuple » - avec des variantes internes - seront ici évoqués - dans un premier texte qui en appel un autre - : le peuple identitaire, le peuple-classe, le peuple souverain. Nous les avions déjà mobilisés jadis : cf CADTM sur peuple-classe (2).

1) Le peuple-IDENTITAIRE (Volk ou ethnos jadis).

Il s’agit là désormais plus de culture (langue, religion, vêtements, alimentation, etc ) que de « race » ou de nature biologique. Encore que...

Il faut rappeler que bien après la Marche pour l’Egalité et contre le racisme de 1983, il y a eu, en France au moins, dans les années 90, un « engouement pour le concept d’ethnicité » (cf. Jacqueline Costa-Lascoux) et donc une ethnicisation des liens sociaux, des rapports sociaux (3). Il y a eu aussi le retour des religions, et notamment des intégrismes religieux.

Par ailleurs, le peuple identitaire est aussi celui de tous les nationalismes (Travail, Famille, Patrie pour la France), de tous les communautarismes, notamment religieux, de chez nous ou d’ailleurs. Cet identitatisme ou ce communautarisme pousse volontiers au fétichisme de la différence identitaire et à la clôture communautaire et in fine à l’exclusion de l’autre, et même à la guerre identitaire par des groupes violents ou fascistes comme on le voit périodiquement , guerre contre l’autre car autre, contre l’étranger réel ou supposé, contre toute altérité de tradition, de langue, de religion, etc La haine et l’intolérance l’anime.

Il peut d’ailleurs produire ce qu’il cherche, à savoir une guerre identitaire chez l’autre qui va lui aussi s’arcquebouter sur sa différence identitaire ou communautaire ! Ce qui n’est pas mieux ! Il existe des différences culturelles et identitaires qui sont à relativiser sans les nier - usage de la langue d’origine est à maintenir et non opprimer - pour mieux vivre ensemble . D’autres « différences » sont surtout des fétiches identitaires mobilisés par les intégristes religieux particulièrement réactionnaires contre les femmes (sexyphobie et sexoséparatisme) !

Ce peuple-identitaire mobilisé au lieu et place de la lutte des classes exploite la tendance à l’ethnicisation des rapports sociaux. Ce n’est assurément pas « notre peuple », pour nous qui sommes opposés aux fascistes, aux nationalistes et aux intégrismes religieux ! Nous qui sommes tout à la fois du peuple-classe (des 99%) et du peuple démocratico-citoyen. La rue et les urnes en quelque sorte.

2) Le peuple-CLASSE (plèbe jadis).

Là on change de registre en passant du peuple totalité à un peuple fraction mais aussi en passant dans le champ social ou économico-social mais la référence peuple subsiste du fait de le très large spectre d’individus concernés : peuple-masse ou peuple comme très grand nombre.

Le peuple-classe au sens moderne, différent du XIX siècle, rassemble, par définition, ceux et celles d’en-bas largement compris (et pas que la classe ouvrière ou les couches sociales pauvres), un « en-bas » sous les classes sociales dominantes, soit sous le 1% (les 70% + les 29%) . Ce peuple-classe est posé comme montant du « sous-sol » de la hiérarchie sociale (ou l’on trouve les « sans-papiers » et autres discriminé-es ) jusqu’au 99%, et ce depuis le fameux « Nous sommes les 99% » du mouvement Occupons Wall-Street de 2011 (mouvement qui s’est étendu ensuite à d’autres villes nord-américaines puis aux peuples arabes en protestation contre leurs élites autoritaires et classistes). Le peuple-classe n’est donc pas un « peuple-totalité » (expression d’Irène Temba), soit une sorte de « peuple tout entier » .

On peut et on doit aussi poser que ce peuple-classe n’est évidemment pas homogène et n’a pas les mêmes intérêts catégoriels secondaires ni les mêmes idées ou valeurs (sexisme, racisme, homophobie, xénophobie, etc pour les uns contre les autres) - ce qui entraine des débats politiques sans fin à gauche - mais que toutes ses couches sociales internes sont économiquement et socialement dominées et qu’elles subissent ce qu’on nomme (trop rarement selon nous) un CLASSISME, entendez une domination de classe ou une lutte de classe menée par ceux d’en-haut voire la guerre de classe, "dont on sait qui l’a gagné dit Warren Buffett... (cf classisme sur wikipedia) .

Ce qui fait que, malgré son hétérogénéité, le peuple-classe est aussi en quelque sorte le peuple préféré des acteurs de la mobilisation anti-classiste et donc le « peuple » des syndicats (intersyndicale française de 2023), des altermondialistes, des gauches écosocialistes ou , etc... et de tout ceux et celles d’en-bas qui mobilisent les classes dominées autours de revendications communes mais aussi de valeurs émancipatrices : non racisme, non sexisme, non classisme ! Ce qui positionne ces mobilisations à gauche du côté des résistances voire de l’émancipation sociale et politique.

3) Le peuple SOUVERAIN (ou demos) .

On retourne à un peuple posé comme un tout (ou presque car les résidents étrangers ne sont pas citoyens) mais il n’en fut pas toujours ainsi : le suffrage masculin et censitaire a produit un peuple citoyen réduit). Ce peuple démocratique des citoyen-nes est composé de presque tous les habitant-es d’un pays ou de plusieurs pays (Europe politique) .

Ici la plus grande vigilance s’impose car il est très souvent phagocyté - soit directement par les classes dominantes ou les élites proches qui entendent le représenter en insufflant un fort inégalitarisme à leur profit, - soit par l’évocation d’un « peuple-nation » identitaire qui cache lui aussi très souvent le point de vue des classes dominantes comme étant celui de l’intérêt général donc encore un classisme.

D’ailleurs quand le peuple « démos » vote mal les classes dirigeantes rectifient le vote : le référendum du 29 mai 2005 avait vu le « non » à la constitution européenne l’emporter, ce qui n’a pas empêché, trois ans plus tard, la ratification du même projet sous la dénomination de Traité de Lisbonne, en 2008, et ce sans passer - évidemment - par une nouvelle consultation des français (4). Les bourgeoisies ont repris la main.

Le NON au TCE a marqué un enracinement d’un malaise socio-économique (quid du social rabougri ?) mais aussi politique (Europe oligarchique et classiste) à l’encontre de l’Union européenne, sans pour autant valider un positionnement national dans un monde globalisé. C’est la particularité de cette contestation . Les défaillances fortes de la pratique démocratique comme la faiblesse des réformes écologiques et sociales au sein de espace européen sont patentes. Il faut signaler encore la collusion de la domination de classe des élites économiques avec les élites politiques.

« Au-delà des réformes institutionnelles destinées à encadrer le suffrage, la bourgeoisie en France, en Europe et plus généralement dans l’espace occidental, cherche depuis longtemps des substituts au peuple et à ses représentants. Les citoyens sont sommés de se reconnaître dans une société civile où se mêlent associations progressistes et lobbies de toutes sortes (patronaux, sectaires, etc.). Les institutions européennes représentent la caricature de ces dérives aristocratiques avec une Commission expansionniste, des gouvernements irresponsables et des parlements européen et nationaux réduits à des lieux d’expression plus ou moins contrôlés. » Citation d’ André Bellon en 2020 prise sur un texte portant sur la haine du peuple

ll s’agit depuis bien longtemps d’une guerre de classe tant au plan national que continental et même mondial, qui passe notamment par la « casse de l’Etat social » (HUSSON 2003).

« Un après du capitalisme » est possible et nécessaire. Ce sera la suite de ce texte. La suite car ce sera le peuple-classe ci-dessus, en solidarité avec d’autres peuples contre les classes dominantes, du Nord ou du Sud global, qui sera mobilisé pour une alternative systémique, tant sociale, qu’écologique que politique avec des droits humains mieux garantis. L’internationalisme et l’altermondialisme sont ici complémentaires.

Christian D- et Monique D-

1) Renvoi possible à de nombreux livres dont celui d’Yves Meny et Yves Surel « Par le peuple, pour le peuple - le populisme et les démocraties » qui fait référence au peuple-classe, plutôt oublié chez d’autres. Livre cité par Warren, J.-P. (2017). Les peuples des populismes. L’Inconvénient, (68), 14–16 sur :
https://www.erudit.org/en/journals/linconvenient/2017-n68-linconvenient03033/85375ac.pdf

2) Sur site du CADTM en 2021 :
Penser l’oligarchie, la classe dominante et le peuple-classe
https://www.cadtm.org/Penser-l-oligarchie-la-classe-dominante-et-le-peuple-classe

mais bien avant en 2012 dans la revue Mouvements
Classe dominante et oligarchie contre peuple souverain et peuple-classe.
https://mouvements.info/classe-dominante-et-oligarchie-contre-peuple-souverain-et-peuple-classe/

3) Lire de Jacqueline Costa-Lascoux "L’ethnicisation du lien social
dans les banlieues françaises" ’REMI 2001) sur
https://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_2001_num_17_2_1781

4) TCE 2005 : 62 % des cadres supérieurs et des professions libérales votèrent « oui » contre seulement 26 % des ouvriers et 38 % des employés. Le vote Non ne fut pas qu’un non de gauche pour autant et notamment pro-social

https://www.humanite.fr/monde/-/lelysee-a-impose-sa-constitution-bis

https://www.youtube.com/watch?v=IeNhooXWH6M