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La démondialisation : anatomie d’une controverse. T Coutrot

lundi 11 juillet 2011, par Amitié entre les peuples

La démondialisation : anatomie d’une controverse

Thomas Coutrot, membre du conseil scientifique d’Attac

(paru dans Politis du 7 juillet 2011)

La perte de légitimité du néolibéralisme stimule le débat sur les alternatives à la mondialisation néolibérale. La « démondialisation » pourrait bien être un thème important du débat électoral en 2012, et c’est tant mieux. Au sein de la gauche critique, une controverse s’est récemment développée. Les participants partent du même constat : les dégâts sociaux et écologiques de la mondialisation néolibérale imposent de réorganiser l’économie mondiale autour d’espaces régionaux homogènes et relativement fermés sur le plan commercial et financier. Il faut réduire les flux commerciaux et financiers internationaux, arracher la monnaie des mains de la finance, relocaliser la production : on pourrait dire « démondialiser l’économie ».

D’autre part tous les participants au débat jugent nécessaire une forte coopération internationale pour un système commercial et monétaire international régulé politiquement, pour une politique de R&D et une redistribution des richesses favorables à la transition écologique, pour une maîtrise collective des questions écologiques et climatiques. La mondialisation économique est réversible et doit être défaite, mais il n’en va pas de même d’autres mondialisations : celle des aspirations à la démocratie et aux droits humains, celle des réponses à la crise écologique, celle des communautés scientifiques ou du logiciel libre, celle des cultures – c’est-à-dire non pas l’abdication de sa culture propre, mais l’appétit pour la culture et l’art venant d’autres sociétés, qui à condition de bannir toute hégémonie enrichissent en retour notre propre vie culturelle. (C’est ce qui rend à mon sens dangereux l’usage du terme générique de « démondialisation »).

Les interdépendances entre sociétés humaines font qu’il est devenu impossible d’imaginer une démocratie confinée dans un cadre national ou régional, qui ne se développerait pas aussi au niveau mondial. Le « pouvoir du peuple » doit s’emparer aussi bien des questions locales que globales. La démocratie ne saurait prospérer dans des pays ou dans un bloc régional en guerre avec d’autres blocs géopolitiques pour l’accès aux ressources naturelles. A cet égard le développement de mouvements citoyens mondiaux, comme le mouvement altermondialiste, est d’une grande importance.

En même temps, chacun s’accorde à dire que la transformation des rapports de forces sociaux nécessaire pour rompre avec le néolibéralisme ne sera pas d’emblée mondiale, ni même paneuropéenne. La rupture sera le fait de quelques pays, voire d’un seul. En Europe, si la Grèce et l’Espagne tiennent la corde en ce moment, les processus restent tout à fait imprévisibles. Le(s) pays concerné(s) devront transgresser les règles actuelles : réglementer et taxer les mouvements de capitaux, dénoncer la partie illégitime de leur dette publique, recouvrer une capacité de création monétaire (en euros !) sous contrôle social.

Alors le débat ne serait-il que sémantique, autour de l’opportunité d’un mot ? Il n’en est rien. Il y a bien un clivage majeur, d’ordre purement politique : la priorité stratégique doit-elle être de renforcer la dynamique internationale de la rupture ou de restaurer les conditions d’une souveraineté nationale ? Ce dernier choix se justifie si l’on considère que le seul espace démocratique possible aujourd’hui est la nation : la priorité est alors de protéger cet espace national par la sortie de l’euro, la dévaluation et le protectionnisme, c’est-à-dire une politique commerciale tournée contre les pays trop compétitifs (Chine, Japon, mais aussi Allemagne, Belgique...). Le risque est de favoriser des dynamiques régressives et identitaires déjà puissantes. Mais le premier choix – de l’internationalisation - est légitime si l’on estime possible, sous l’impact de la crise de la dette et de l’hyperaustérité, des convergences entre mouvements sociaux européens qui commencent à construire un peuple européen de fait. Toute politique protectionniste unilatérale pourrait constituer un sérieux obstacle à cette émergence, en favorisant les rivalités entre nations au détriment des solidarités entre peuples. Il faut alors des mesures pour rompre avec le néolibéralisme sans diviser les peuples : des taxes kilométriques appliquées tant aux exportations qu’aux importations, un contrôle social sur les délocalisations, ou un recours à de la création monétaire en euros. Désobéir aux règles de l’Union européenne, oui, mais pour instaurer d’autres règles, coopératives et facilement appropriables par les autres peuples. Là se trouve sans doute le vrai débat.