Un gouvernement facho-libéral à l’italienne - Raphael Pepe (Attac Italia)
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Un gouvernement facho-libéral à l’italienne
13 JUIN 2018 par Raphael Pepe (Attac Italia)
Ces 7 dernières années, en Italie, 4 gouvernements se sont succédés. En 2011, M. Monti, l’homme de la Goldman Sachs, formait un gouvernement technique pour “résoudre le grand problème de la dette”. La fable qui racontait que l’on avait vécu au dessus de nos moyens et que les politiques d’austérité étaient la seule solution, avait fait son effet. C’était le début d’une véritable boucherie sociale.
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En 2013, suite aux élections, pour pouvoir former un gouvernement en ligne avec les politiques de l’austérité voulues par l’UE et la BCE, le “centre droit” de Berlusconi et le “centre gauche” de Bersani formaient le gouvernement Letta, vite remplacé par le gouvernement Renzi.
Tandis que le gouvernement continuait à couper les robinets sur tout type de dépenses publiques, au détriment des droits sociaux, et ce par l’application du pacte budgétaire ; la droite de Salvini se réorganisait exploitant la rage et la détresse de la population.
La Lega (La Ligue) de Salvini, partenaire européen du Front national (aujourd’hui Rassemblement National) de Marine Le Pen, mais aussi alliée, en Italie, de mouvements néo-fascistes comme CasaPound, faisait passer la nouvelle vague d’immigration pour la principale cause de la crise et du chômage, et faisait des migrants les principaux bouc-émissaires.
Tout en critiquant Bruxelles et Merkel par slogan, sans jamais prendre de positions claires sur les politiques néo-libérales, la Lega - non plus “Lega Nord” (Ligue du Nord) - s’est peu à peu transformée en mouvement national, prenant comme modèle le Front National.
La fable de la dette est restée présente pour légitimer les politiques néolibérales, mais ces dernières années les médias ont surtout mis au centre du débat politique la question de l’immigration. Le Parti Démocrate de Renzi, plaçant au ministère de l’intérieur Marco Minniti, a su donné une réponse de droite aux demandes pressantes de l’opposition. La loi Minniti de 2017 prévoit la réouverture de centres de rapatriement dans toutes les régions, des centres qui avaient été créés en 1998, mais qui avaient disparu depuis quelques années. Bien que la loi ne soit pas encore totalement appliquée - peu de ces centres ont été ouverts à ce jour- aujourd’hui le nouveau ministre de l’intérieur Salvini dispose déjà d’une loi qui lui permettra la réouverture de centres de rapatriement, qui en Italie, ont toujours été simplement des centres de détention pour immigrés en situation irrégulière.
C’est dans ce contexte que nous sommes arrivés aux élections du 4 mars dernier, avec un “centre gauche” néolibéral qui joue à faire la droite, une droite raciste et xénophobe qui exploite la crise, et le Movimento 5 Stelle (Mouvement 5 étoiles) aussi populiste que la Lega.
Ce mouvement est né comme un mouvement citoyen contre la corruption, contre la “caste”, contre le “berlusconisme” et ses conflits d’intérêts. Il avait à coeur des thèmes comme la défense de la gestion publique de l’eau, l’environnement et la “démocratie participative”, bien que sur ce dernier point en particulier, il s’est révélé être un parti où les décisions sont toujours prises par les dirigeants. La participation populaire se limite à la possibilité des inscrits au mouvement de voter en ligne pour approuver certaines décisions.
Se qualifiant toujours comme “ni de droite, ni de gauche”, contre la “caste politique”, ce mouvement a su récupérer de nombreux votes des déçus de la gauche et du Parti Démocrate. Néanmoins, il a su comme la Lega, récupérer les voix de nombreux électeurs de droite en maintenant une forte ambiguité sur de nombreux thèmes.
Au sein du mouvement, les positions sur le thème de l’immigration sont assez variées : par exemple le nouveau président du Parlement, Roberto Fico, est beaucoup plus favorable aux politiques d’accueil des migrants, tandis que Di Maio a beaucoup insisté sur la nécessité d’agir contre le “business de l’immigration”, restant toujours vague sur ce qu’il entendait par là. Il a également attaqué les autres pays européens qui ont “laissé l’Italie seule” dans la gestion du problème, mais a surtout utilisé des arguments chers à la droite xénophobe : “on ne peut tout de même pas accueillir tout le monde”, “beaucoup ne sont que des migrants économiques et ceux-là doivent rentrer chez eux”, etc...
Dans le sud, là où la Lega a peu de soutien, étant donné son passé de parti ouvertement anti-méridional, c’est le M5S qui a exploité la “volonté de changement”, arrivant à dépasser les 50% de voix dans certaines circonscriptions.
Le 4 Mars dernier, aucun parti, aucune coalition n’est arrivé aux 40% nécessaires à la formation d’un gouvernement. Le M5S s’est arrété à 33%, tandis que la coalition de droite est arrivée à 38% (avec la Lega à 17%). Le parti démocrate, quand à lui, n’a pas atteint les 20%.
Nous avons assisté à deux mois où le M5S qui depuis toujours insistait sur un principe fondamental : “jamais de coalition possible”, a cherché par tous les moyens à trouver des alliés pour former un gouvernement. Ils ont regardé à gauche comme à droite excluant seulement Berlusconi.
Le résultat des courses, c’est une coalition entre la Lega et le M5S, avec la bénédiction de Berlusconi.
Pour y arriver, fin mai, pendant prés d’une dizaine de jours, les leaders des deux partis ont établi ce qu’ils ont appelé un “contrat de gouvernement”. Ce programme commun prévoit la Flat Tax voulue par Berlusconi, un impôt qui fait payer davantage les pauvres pour faire économiser les riches (Salvini a déclaré il y a quelques jours qu’il était juste que ceux qui gagnent plus, payent moins), et le fameux “revenu de citoyenneté” (point fort du programme des 5 étoiles) qui serait une sorte de RSA mais en moins bien !
Bien sûr un tiers du programme traite du problème principal à résoudre : celui de l’immigration.
Pour ce qui est des positions internationales, les deux partis rassurent tout le monde, l’OTAN en fin de compte c’est bien, dans l’Union Européenne on y reste quoi qu’il arrive… mais attention ça va gueuler !
En ce qui concerne les positions sur la sortie de l’euro, c’est de l’histoire ancienne.
Le M5S a fait valider en ligne le “contrat” d’une cinquantaine de page, en 24 heures de temps, ce qui a laissé peu de temps à la base du mouvement pour lire le texte (pour ceux qui en avait envie), et une fois achevée cette formalité, la nouvelle coalition est passée à l’étape suivante : former l’équipe.
Attention, à l’économie et aux finances, c’est sur le nom de Savona que Salvini et Di Maio sont tombés d’accord. Un ex dirigeant de la Confindustria (Medef) et le de la Banque d’Italie, oui c’est ça la grande alternative proposée par le “gouvernement du changement” pour un ministère de cette importance.
Sur ce nom proposé pour le ministère de l’économie, le président Mattarella a mis son véto, et il l’a fait par un discours en direct à la télé, où il annonçait que Savona inquiétait les marchés financiers et nos partenaires européens.
Le message est trés clair, l’Italie ne pourrait jamais avoir un Varoufakis à l’économie comme c’est arrivé en Grèce. Le message est poignant, les politiques économiques du pays ne sont pas discutables, les élections n’ont aucune valeur sur ce thème.
Si Salvini et Di Maio ne s’étaient pas pliés au jeu, mettant Savona à un autre ministère, celui des rapports avec l’UE, nous aurions eu un autre gouvernement “technique” pour continuer les politiques d’austérité jusqu’à de nouvelles élections. Suite à cet affront, les sondages éstimaient les intentions de vote à la Lega de Salvini à 27%, soit 10 points de plus qu’il y a deux mois. Un retour aux urnes l’aurait renforcée de façon considérable.
Depuis la formation du gouvernement, il semble presque que l’Italie n’a aucune législation anti-raciste, les déclarations se radicalisent de plus en plus. En ce qui concerne l’homophobie, on peut dire qu’elle a son propre ministère : celui de la famille (oui oui, Travail, Famille, Patrie… enfin travail pas trop !). Le ministre a déclaré que les familles qui ne sont pas composées d’une maman et d’un papa, “ne sont pas des familles !”.
Le soir du 2 juin, jour de la fête de la République, avec un gouvernement qui venait de jurer sur la constitution, nous avons eu en Italie le premier homicide raciste de l’ère Salvini. Soumaila Sacko, jeune ouvrier agricole, syndicaliste de l’Union Syndicale de Base a été froidement exécuté dans les campagnes calabraises. Suite à ça, aucune déclaration du ministre de l’intérieur. A ce jour, seul le président du parlement semble avoir l’intention de se rendre à Gioia del Tauro pour rencontrer la communauté des migrants ouvriers agricoles.
En ce qui concerne les arrivées de migrants par la Méditerranée, au moment où j’écris, Matteo Salvini et Danilo Toninelli (M5S), le ministre des transports ont interdit le débarquement du bateau Aquarius, géré par une ONG et à bord duquel se trouvent 629 migrants, dont 123 mineurs non accompagnés, 11 enfants et 7 femmes enceintes. Ils prétendent que c’est à Malte de les accueillir. Quelques jours sont passés et l’on assiste déjà à des décisions politiques inhumaines, qui vont entre autres contre le droit d’asile et les principes à la base de la Constitution italienne.
Il s’agira pour les mouvements sociaux de gauche d’organiser au plus vite l’opposition aux politiques facho-libérales qui nous attendent, en cherchant aussi à renforcer la solidarité entre citoyens et citoyennes, envers des personnes qui seront considérées “illégales” dans ce pays ; nous vivrons des années difficiles avec des politiques qui s’attaqueront aux plus faibles. Il faut aussi s’attendre à une forte répression voulue aussi bien par la Lega au nom de “l’ordre”, que par le M5S au nom de la “légalité”.
Dans la capitale comme dans d’autres villes administrées par le Mouvement 5 étoiles ou la Lega, l’attaque aux espaces auto-gérés et aux centres sociaux avait déjà commencé. On sait à quoi s’attendre au niveau national : l’heure est à la résistance.