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Quelques problèmes politico­-conceptuels – débats dans la QI

jeudi 13 février 2014, par Amitié entre les peuples

Quelques problèmes politico­-conceptuels – débats dans la QI

par Catherine SAMARY

Le processus de restauration capitaliste peut nous apprendre beaucoup ­ confirmer, préciser ou infirmer nos approches antérieures de ces sociétés, et du capitalisme.

On n’évitera évidemment pas des visions et bilans différents, la défense par chacun(e) de ses approches passées. Mais on dépassera la sclérose des débats antérieurs si l’on parvient au moins à mettre en évidence le « noyau rationnel » des divergences et les raisons profondes de l’absence de consensus entre marxistes sur la caractérisation de ces sociétés ­ autrement dit les vraies difficultés auxquelles nous sommes tou(te)s confronté(e)s.

Nous avons eu des débats de plusieurs ordres. Il est d’autant plus « périlleux » de les résumer qu’il existait (il existe) des chassés­croisés de sensibilité et des interprétations très différentes de « l’orthodoxie ». Essayons tout de même de cerner les principaux débats.

A) Dans le cadre supposé d’une « orthodoxie trotskyste » (EOBD) :

il y a eu (il reste) des divergences sur les degrés de cristallisation bureaucratique (nécessité de la révolution politique au Vietnam ? à Cuba ?).

Mais dans le cadre du dernier congrès mondial, le débat a porté
sur la caractérisation des réformes de Gorbatchev et des réformes de la bureaucratie

depuis Staline : s’agissait­il de projets restaurationistes illustrant le fait que cette bureaucratie était devenue (depuis Staline ?) l’instrument direct de la bourgeoisie mondiale ? Ou bien y avait­il dans toute l’histoire de ces pays des protagonistes distincts (bourgeoisie, prolétariat, bureaucratie des EOBD), une bureaucratie se polarisant entre les classes fondamentales, et un tournant historique actuel spécifique par rapport aux réformes antérieures ?

sur la dynamique des questions nationales et sur les mots d’ordre que l’Internationale devrait avancer : l’indépendance était­elle partout notre mot d’ordre (à l’image du mot d’ordre d’indépendance de l’Ukraine avancé par Trotsky de son temps) ? Cette conception se déduisait notamment de l’idée que cette indépendance favorisait la révolution politique (dynamique progressiste des mouvements indépendantiste à la condition qu’on en prenne la tête). La position majoritaire fut a)la défense du droit d’autodétermination, y compris la sécession, contre toute intervention militaire de la bureaucratie, même si la dynamique évidente de cette indépendance était la restauration capitaliste ; nous l’avons fait pour les républiques baltes ou pour la Slovénie... b) le refus de défendre en tant que IV une solution universelle d’indépendance ­avec un accent mis plutôt sur la souveraineté du contrôle au sein d’une union à redéfinir ; c) un jugement différencié sur la dynamique des questions nationales et des indépendances exigeant l’analyse concrète des formations sociales concernées : l’Ukraine d’aujourd’hui, industrialisée et russifiée, n’est plus l’Ukraine (les diverses Ukraine) agraire de Trotsky... ; l’indépendance ou les luttes nationales ne sont ni des préalables, ni forcément favorables à la révolution anti­bureaucratique (cf.la lutte des mineurs d’Ukraine et de Russie ; l’unification allemande favorisant la restauration capitaliste...).

B) Se mêlent aux débats récents les « vieux » débats sur la nature de ces sociétés : capitalisme d’Etat, nouvelles sociétés de classe, ou ­ « orthodoxie » trotskyste de l’EOBD (« Etats ouvriers bureaucratiquement dégénérés ou déformés). Mais il y a au sein de chacune des trois variantes des approches différentes : critères divers économiques ou politiques pour »capitalisme d’Etat«  ; notion de »classe parasitaire« au sein de la variante société de classe ; palette très différenciée d’ »orthodoxie« s’arrêtant ou non aux écrits de Trotsky, interprétant de façon différenciée les degrés de cristallisation bureaucratique et la notion de »défense de l’URSS"...

Les grands concepts recouvrent bien sûr des appréciations différentes de la bureaucratie (bourgeoisie, classe, caste ou couche sociale) se répercutant sur la caratérisation de l’Etat ­ mais la notion d’EOBD a une histoire évolutive et des façons différentes d’être interprétée (cf.dans le débat passé dans la Revue IV, avec le Cde Lequenne : « des Etats ouvriers anti­ouvriers »).

Les débats de concepts recouvrent aussi des désaccords sur la notion de « société de transition » (vers quoi ? transition post­capitaliste ?) appliquée à ces formations sociales.

Ceux qui défendant les positions hostiles à l’« orthodoxie EOBD » ont régulièrement voulu mettre un lien mécanique entre débats politiques et débats sur de concepts, l’orthodoxie étant à leur yeux porteuse de positions opportunistes : s’il y a quelque chose d’« ouvrier » à défendre, cela déboucherait selon eux fatalement sur un soutien critique à la bureaucratie, sous couvert de « défense de l’URSS » : la position initiale de la IV sur l’Afghanistan (ne mettant pas en avant le mot d’ordre de « retrait des troupes soviétiques ») ilustrerait cette dynamique opportuniste. Les jugements « positifs » sur les sociétés concernées seraient également porteurs d’aveuglement sur « les acquis » ­ donc de mauvaises appréciations sur la dynamique de restauration capitaliste : il n’y aurait en fait rien à perdre (donc tout à gagner) et rien à défendre... Les autres concepts (capitalisme d’Etat ou nouvelle société de classe) marqueraient de ce point de vue un rapport de conflit de classe, donc plus tranché censé donner la « bonne ligne » parce qu’exprimant une position de critique plus radicale contre la bureaucratie.

Et pourtant :
des positions « orthodoxes EOBD » minoritaires puis majoritaires ont défendu le mot

d’ordre de « retrait des troupes » ­ autrement dit, le « concept » n’implique rien ou alors il faut expliquer pourquoi il a conduit à une position majoritaire... de retrait des troupes soviétiques. Il serait plus intéressant de discuter les préoccupations politico­sociales qui, au­delà des débats de concepts, étaient sous­jacentes aux hésitations de la majorité sur la question de l’Afghanistan (on peut mesurer aujourd’hui la dynamique régressive épouvantable qui a envahi l’Afghanistan après le retrait soviétique)…

plus généralement, il y a eu convergence de positions politiques entre camarades défendant divers concepts, contre toutes les interventions de la bureaucratie (en 56 en Pologne et Hongrie, en 68 en Tchéco, en défense de Solidarnosc en Pologne, puis dans la crise en URSS ou en Yougo...). On peut prévoir qu’il n’y aurait aucune divergence dans l’Inter sur un mot d’ordre de « retrait des troupes russes de Tchétchénie ».

Inversement, avec les mêmes concepts EOBD il y a eu dans les « mouvement trotskyste » des approches complètement divergentes de Solidarnosc (ou de bien d’autres événements politiques majeurs à l’Est)...

Enfin, quant au radicalisme, deux remarques : 1) quoi de plus « radical » qu’un appel à une nouvelle révolution (ce qui est lié à l’orthodoxie du concept EOBD) ; 2)le « radicalisme » n’est pas suffisant pour définir une ligne politique adéquate (notamment sur les questions nationales)...

Bref : menons les débats à fond là où ils se situent. Il y a une autonomie relative des débats conceptuels et des analyses politiques. C’est vrai dans le cadre de sociétés capitalistes et d’Etats appréciés par tous comme « bourgeois ». C’est vrai aussi dans les sociétés dites socialistes. Un certain nombre de débats politiques ne sont pas réductibles à des débats de concepts ­ et n’en sont d’ailleurs pas moins importants ou intéressants. Citons­en quelques uns qui sont régulièrement marqués par des déformations polémistes stériles :

a) Les interventions militaro­bureaucratiques contre des mouvements indépendantistes sont contre­productifs pour une quelconque logique d’internationalisme et d’union entre divers peuples ­ que l’on considère l’URSS ou la Yougo comme EOBD ou pas... C’est pourquoi (pas par « humanisme », ou « sous pression » de visions adverses, mais pour des raisons politiques profondes), nous sommes contre de telles interventions.

b) Même s’il y a des « acquis sociaux » à défendre en URSS, on ne peut pas bien les défendre en soutenant l’ordre ancien ou la politique de la bureaucratie défendant son pouvoir. La « défense de l’URSS » (contre une intervention impérialiste) n’a jamais signifié « défense de la bureaucratie », de sa politique, de son pouvoir, de son type de planification, etc... Par contre le dogmatisme peut se nicher chez les hétérodoxes si, au nom de leur rejet conceptuel de ces sociétés, ils sont aveugles à leurs acquis... Il est très important de savoir concrètement pas sur la base de défense dogmatique des concepts quels qu’ils soient, si oui ou non il y a quelque chose à perdre dans la restauration capitaliste... Et d’ouvrir les yeux sur ce qu’un peu de recul permet de percevoir mieux : qu’en disent aujourd’hui les populations intéressées ? Pourquoi était­ce si difficile à percevoir avant de faire pratiquement l’expérience des privatisations et du marché.

On ne comprend rien des désillusions populaires actuelles et des résultats électoraux, si l’on pense que les gens n’ont rien perdu... On perd notre raison d’être si on s’oppose à la restauration capitaliste en défendant tel qu’il était l’ancien système : il y a une lutte sur deux fronts... Les concepts doivent aider à le faire comprendre... Là il peut y avoir, en dernier ressort, retour sur la pertinence des concepts.

Mais encore faut­il reconnaître de réelles difficultés.

Quelles difficultés ?

1) Trouver le bon « espace­temps » pour élaborer les « bons » concepts.

Un exemple : pour comprendre la nature de l’URSS (d’aujourd’hui, ou disons à la veille du processus restaurationniste), faut­il
* se situer seulement sur l’espace soviétique ­ ou intégrer à l’analyse l’ensemble des autres pays dits socialistes ­et la révolution nicaraguayenne ?

* arrêter le temps de l’analyse à la période stricte du règne de Staline ­ ou bien englober en amont la révolution elle­même et en aval les transformations de la société soviétique (de toutes les sociétés analysées, avec leurs réformes) ?

La variante la plus large est la plus éclairante pour comprendre les processus actuels (différenciés) de la restauration capitaliste. Dans ce cadre, on mesure mieux les différents niveaux de rupture avec le capitalisme qui ont été expérimentés ; on mesure mieux aussi les effets des divers degrès de cristallisation bureaucratique sur l’objectif de départ commun : la transformation socialiste. Au lieu de nous enfermer dans certaines phases spécifiques de l’histoire, elle nous permet mieux de les replacer au coeur du débat principal : quelles sont les contradictions générales de la transition au socialisme ? C’est­à­dire aussi, quelle est la place du marché et du plan ? Du secteur privé et public ? Du protectionisme et du libre échange vis­ à­vis d’un environnement capitaliste durable ? Quelle démocratie directe et indirecte, quels droits individuels et collectifs (quelle forme d’Etat) pour résoudre ces questions ? Quels stimulants et critères d’efficacité ?

2) Tout le monde n’a pas la même connaissance, ou la même interprétation. De notre « orthodoxie », riche sur ces questions (les débats des années 20 en URSS, La révolution trahie et ses critiques de la suppression des mesures marchandes, les débats Bettelheim/Mandel sur les catégories marchandes dans la transition...) Les difficultés des questions économiques s’ajoutant à celles de la transition, et au poids du stalinisme, les réponses dominantes des révolutionnaires dans le passé était : la surenchère vis­à­vis des réformistes et staliniens sur les nationalisations, et bien sûr la démocratie dans le plan. Qu’importe le caractère inapplicable (heureusement non nécessaire) d’un plan généralisé à tout et d’un système de votes (par qui ?) sur le moindre boulon ou la couleur des chaussures à produire !

Pour certains camarades, il était tout simplement incongru (pire, le signe d’une trahison de nos idéaux) de vouloir simplement étudier les contradictions des réformes marchandes de la bureaucratie : cela ne nous concernait pas. Toute réintroduction du marché étant exclue dans la transition au socialisme. Que faire, dès lors au Nicaragua, au Brésil si l’occasion s’en présentait ? Et quelle était la portée réelle de la NEP ?

Autre conséquence de ces débats­là, dans l’immédiat : toute réforme marchande était­ elle identifiable à un projet restaurationiste ? L’autogestion yougoslave des années 50, 60 et 70, la Hongrie des années 60, les réformes de Krouchtchev et de Gorbatchev... tout cela doit­ il, devait­il être analysé de la même façon que les projets restaurationistes actuels ?

3) Qu’entend-­t-­on par « sociétés de transition » bureaucratisées ­ ni capitalistes, ni socialistes ?

Le mot « transition » a toujours fait débat et soulevé des difficultés dès lors qu’on suppose un sens assuré à la transition (transition vers quoi ?). Le problème se repose d’ailleurs (sommes nous sûr de ce que sera le point d’arrivée ?). La difficulté ne pouvait (ne peut) se résoudre que par une analyse concrète des dynamiques à l’oeuvre. Sous le règne des partis uniques, il y avait des dynamiques contradictoires : car la cristallisation bureaucratique consolidait d’un côté des aspects anti­capitalistes (suppression de la propriété privée capitaliste, supression de l’argent comme capital, suppression d’un régulateur marchand) ; mais de l’autre, elle fragilisait le système aux pressions restaurationistes (creusement des écarts de productivité, aliénation des travailleurs, réformes marchandes partielles). Qu’est­ce qui l’emportait entre les deux ? Cela a évolué dans le temps. Mais nous parlions d’une « transition bloquée » (ce qui ne signifiait pas sans réformes) pour indiquer l’essentiel : l’absence d’une démocratie socialiste comme unique facteur suceptible d’assurer de réelles avancées vers le socialisme.

Les transformations mondiales de la décennie 70 et 80 (crise capitaliste, offensive libérale, révolution technologique à l’ouest) ont dramatiquement accentué les écarts avec les pays capitalistes développés ­ alors qu’ils s’étaient restreints jusque vers le milieu de la décennie 70. Le conservatisme de longue durée et les impasses des réformes ont profondément détérioré « les acquis » et fragilisé ces sociétés. Le cadre de pouvoir a changé, la destruction de l’ordre ancien a commencé et il y a désormais une dynamique de restauration capitaliste qui s’exprime non seulement par des pressions objectives mais par un but plus ou moins affiché ­ volontairement ou sous pression des créditeurs.

4) Mais le concept de « société de transition » peut être entendu d’une façon plus fructueuse, non pas à partir d’une dynamique (transition vers) mais en fonction de caractéristiques spécifiques. Bettelheim l’avait abordé en considérant que les sociétés de transition étaient caractérisées par une « non correspondance entre rapports de production et forces productives » (le niveau de développement économique de la Chine, par exemple, empêchait qu’on y trouve de réels rapports socialistes). On peut discuter ce point de vue mécaniste ou économiste qui avait en partie une fonction de couverture idéologique de pratiques staliniennes. Mandel insistait quant à lui sur l’absence de « mode de production » stabilisé. Pour la transition entre le capitalisme et le socialisme, il faut pousser ce débat dans le sens du « ni, ni » (ni capitaliste, ni socialiste), qui peut recouvrir des situations différentes, quant à la dynamique prédominante : avancées vers le socialisme, restaurations capitalistes… ou situations qui tendent vers une cristallisation de classe de la bureaucratie quand aucune des classes fondamentales (bourgeoisie et prolétariat) ne domine...

L’intérêt de cette autre approche est de mettre l’accent sur l’« impureté » des catégories juridiques (rapports de propriété) et économiques (les concepts marchands du capital ne « fonctionnent » pas bien).

Faut­il (peut­on ?) élaborer une théorie générale des sociétés de transition entre grands modes de production ? On peut en tous les cas pousser le débat comparatif sur les conditions d’émergence du capitalisme (à partir des sociétés pré­ou non­capitalistes) et les conditions d’émergence du socialisme.

Une telle approche souligne la particularité de la position socio­culturelle et politique du prolétariat et de la paysannerie pauvre en position dominée, alors que la bourgeoisie commence à être dominante avant sa propre révolution (et n’a d’ailleurs pas toujours eu besoin d’une « révolution » pour assurer la suprématie de son mode de production). Les problèmes spécifiques de la transition au socialisme font partie de notre « patrimoine » de réflexion : problèmes et risques liés à la délégation de pouvoir dans la défense des intérêts des classes dominées ; tâches de la « révolution permanente » recouvrant en fait toute la période historique de la transition : dimensions internes (dépérissement des classes, de l’Etat, du marché comme régulateur, croissance des forces productives en même temps que transformation des rapports sociaux) et internationales (extension de la révolution permettant aussi d’autres rapports d’échange internationaux). Mais, outre ces aspects classiques de nos analyses (plus ou moins bien « collectivisées »), il faut une réflexion plus large sur les questions des rapports de production et de l’Etat dans la transition au socialisme. Comment conceptualiser une situation où le marché et la propriété privée capitaliste existent mais ne dominent plus, où la bourgeoisie existe mais ne domine plus (sinon on serait encore dans une formation sociale capitaliste), où le prolétariat n’est plus dominé par la bourgeoisie, mais où il existe encore un « prolétariat » ?

Le constat de Boukkarine pour les catégories économiques est sans doute de portée très générale dans une société de transition marquée par les incertitudes du « déjà plus/pas encore » :

« Dans cette situation (...), les anciens concepts de l’économie théorique refusaient immédiatement de servir (...). Les anciennes catégories de l’économie politique restaient la forme de généralisation pratique de la réalité économique vivante, en continuel mouvement. Mais en même temps, ces catégories (n’offraient) aucune possibilité de pénétrer au­delà de la »surface des phénomènes« (...). Ces rapports élementaires dont les catégories de marchandises, du prix, du salaire, du profit, etc. constituent l’expression idéologique, existent réellement et en même temps n’existent pas ». (Boukharine, « Le débat soviétique... » p.172).

Si la nature de classe de l’Etat reflète quelle classe est dominante, Trotsky a aussi souvent souligné les aspects « bourgeois » de l’Etat soviétique pour évoquer son caractère d’institution séparée de la société. On peut encore ajouter au tableau le fait que cet Etat défend une articulation conflictuelle et évolutive entre diverses formes de propriétés : il n’y a pas encore de « mode de production » et de distribution « socialiste », il existe encore des classes sociales... Peut­on dans ce cadre imaginer (même en dehors de l’expérience historique du stalinisme) un Etat « ouvrier » pur dans la transition au socialisme ? Etant donné la situation socio­économique de départ du prolétariat et les objectifs de la révolution « prolétarienne », le paradoxe de l’Etat ouvrier est connu : un « vrai » Etat ouvrier est ... un Etat qui a dépéri comme institution séparée de la société. De même que la fonction historique de la transition au socialisme est non pas d’assurer la « dictature du prolétariat » mais la disparition des classes...

L’intérêt (l’avantage majeur) du concept d’EOBD, n’est­il pas, (si on ne l’affadit pas on omettant tout ce qui évoque une contre­révolution bureaucratique), d’exprimer cette situation contradictoire, hybride socialement ?

5) Quid des concepts « capitalisme d’Etat », « nouvelle classe », « Etats ouvriers, etc. »... ?

Les concepts pour analyser ces sociétés ­lorsqu’ils rejettent l’appellation de « socialiste »­ ont tous en commun de désigner une société où les travailleurs restent dominés et exploités. Et c’est ce qui fait notre approche commune, indépendamment des divergences.

La théorie marxiste de l’Etat des sociétés de transition est à faire et il faut être conscient du fait que les mots utilisés sont souvent plus jugés sur leur portée « descriptive » que conceptuelle.

51) Les défauts de l’EOBD. Le principal reproche fait à la notion « d’Etat ouvrier bureaucratiquement dégénéré ­EOBD­ ou déformé » (outre qu’elle est d’usage lourd...) est justement qu’elle prêtait à croire que les ouvriers étaient au pouvoir. D’une façon descriptive, les Bolsheviks ont pu l’utiliser pour évoquer un Etat où le pouvoir était, via le Parti communiste, au prolétariat (avec une conception en partie substitutiste du parti à la classe). Le défaut évoqué plus haut est réel ­ et s’est évidemment agravé avec la cristallisation bureaucratique.

Mais Trotsky, pas plus que nous, ne voulions pas dire par ce concept que les travailleurs avaient le pouvoir puisque nous en appelions à une nouvelle révolution prolétarienne ; EOBD s’entend correctement avec cet appel à la révolution. C’est dire qu’il s’agissait de rendre compte d’un contenu contradictoire de ces Etats ­ du fait que la contre­ révolution stalinienne n’avait pas restauré le capitalisme, et n’avait pas non plus mis en place un « mode de production » bureaucratique cohérent, cristallisant la bureaucratie en classe. Mais Trotsky pendait qu’une telle situation ne serait pas durable.

52) Les erreurs de pronostics de Trotsky. De ce pronostic est né un débat ultérieur à trois voix :

a) La bureaucratie instrument direct de la restauration capitaliste. Certains camarades (cf. dans le débat du dernier CM, Socialist Action et les Cdes qui ont fait tendance avec eux) ont rejeté à partir de ce pronostic toute analyse concrète des transformations du mode de domination de la bureaucratie après Trotsky. Leur refus d’analyser dans leurs spécificités les réformes « bureaucratiques » de la bureaucratie était lié à la peur de laisser entendre qu’une autre voie était possible distincte de la révolution politique et de la restauration capitaliste. La bureancratie n’était donc porteuse, dans toutes ces réformes que de la restauration capitaliste (puisqu’il allait de soi qu’elle bloquait les avancées vers le socialisme...). Toute idée soutenant que tout ou partie de la bureaucratie puisse bloquer la restauration capitalisme ­ sans pour autant défendre les intérêts ouvriers ­ était exclue du raisonnement. Symétriquement, les travailleurs ne peuvent que défendre une logique de révolution politique (anti­capitaliste)... Les rapports de connivence conflictuelle de la bureaucratie et des travailleurs sont gommés dans ce type d’analyse.

b) Un mode de production d’une classe bureaucratique.
Les Camarades défendant l’idée d’une cristallisation de classe de la bureaucratie, se sont appuyés sur l’erreur de pronostic manifeste de Trotsky : le règne de la bureaucratie s’est étendu et a duré plus longtemps que prévu. Mais il en ont déduit une cohérence de classe, une indépendance de la bureaucratie dans un mode de production spécifique capable de se consolider. Ceci s’appuyait sur des tendances réelles à la reproduction de la bureaucratie sur elle­même (avec le système d’une nomenklatura où les fils de bureaucrates devenaient bureaucrates eux­mêmes la plus part du temps). Ce fut une tendance conservatrice réellement à l’oeuvre, notamment à l’époque de Brejnev.

La notion de nouvelle société de classe a par ailleurs l’avantage majeur ­ par différence avec celle de « capitalisme d’Etat » de coller davantage à la spécificité des sociétés dites « socialistes » et de laisser l’esprit ouvert à l’analyse de leur transformation.

c) Une actualisation du concept EOBD...
Une troisième variante (défendue par la majorité au CM) intègre une partie de chacun des deux autres : avec la première, elle considère qu’il n’y a pas d’autres voies cohérentes que la révolution socialiste anti­bureaucratique ou la restauration capitaliste. Mais avec la seconde elle soutient que l’histoire a donné à la bureaucratie des marges de manoeuvre pour étendre ses capacités de réformes. Elle n’accepte pas pour autant l’idée que ces réformes ont stabilisé le règne de la bureaucratie. Elles ont au contraire accentué les polarisations sociales affectant une catégorie sociale qui ne s’est pas rendue indépendante des classes fondamentales...

Autrement dit, le concept d’EOBD peut ne pas être dogmatique et figé... Il n’empêche nullement d’analyser et décrire les formes d’exploitation subis par les travailleurs, ni de se préoccuper d’analyser concrètement ce que furent les réformes de ces sociétés, leur histoire...

53) Les concepts à l’épreuve du processus de restauration capitaliste

A la lumière de la crise actuelle, ce sont toutes les spécificités de ces sociétés ­en tant que sociétés non capitalistes ­ qui remontent à la surface.

a)Le concept de capitalisme d’Etat n’y prépare pas.
L’émergence d’une bourgeoisie comme classe dominante implique un contexte

nouveau (même si nous avons toujours analysé dans les réformes marchandes les différenciations sociales traversant la bureaucratie, une partie tendant à se transformer en bourgeoisie). Comment expliquer les difficultés que rencontre le processus restaurationiste sans montrer que l’essentiel (le capital, une bourgeoisie, des contraintes marchandes...) manque ?

Pendant des décennies ces économies se sont protégées de la pression externe de la loi de la valeur (contrairement à ce qu’affirme Tony Cliff dans son approche du « capitalisme d’Etat »). On peut d’une certaine façon le constater par la situation inverse qui se produit aujourd’hui ­ et qui détruit ces mêmes économies.

Le terme de « capitalisme » a en réalité pour intérêt dans l’analyse de ces sociétés, de dire qu’il existe une exploitation des travailleurs, et que la bureaucratie règne sur leur dos. Mais on peut le dire aussi avec le concept d’EOBD. Il n’empêche pas non plus de montrer avec quelle facilité, dans certaines circonstances histotiques et économique, des pans de cette bureaucratie « ouvrière » peuvent se transformer (ou vouloir se transformer) en bourgeoisie (Cf. le texte du dernier CM et celui d’Inprecor, février 1995).

b) Une nouvelle classe ?

L’intérêt de la théorie de la bureaucratie comme nouvelle classe est de chercher à mettre en évidence ce qui est spécifique, nouveau, dans ces systèmes. Il est aussi de dépasser d’une certaine façon les difficultés de la notion de transition : ces sociétés ne vont ni vers le capitalisme, ni vers le socialisme. Elle s’oppose aussi aux visions figées de ces sociétés à leur étape spécifiquement stalinienne en montrant qu’elles ont eu une certaine capacité d’évolution, d’extension, de réforme. Mais sur tous ces points il peut y avoir convergence avec les analyses utilisant les notions d’« Etats ouvriers bureaucratiquement dégénérés »(EOBD). Rien ne nous a empêché d’analyser les réformes et leurs contradictions.

Par contre, justement : ces réformes n’ont pas stabilisé un « mode de production bureaucratique ». Elles ont accentué les polarisations sociales au sein de cette bureaucratie. Et elles ont préparé le cours restaurationniste en affaiblissant les capacités d’auto­organisation des travailleurs et en étant incapables de paser à un mode de développement intensif. La bureaucratie régnait au nom des travailleurs, sur leur dos. Elle n’était donc pas un véritable propriétaire des entreprises et n’a jamais été capable de dépasser cette limite.

c) L’avantage d’un concept hybride ­EOBD : La notion de nouvelle société de classe incite ses partisans à supprimer les aspects contradictoires de ces sociétés (de leurs gains sociaux) et des politiques au pouvoir. Elle gomme les liens conflictuels bureaucratie/travailleurs (ce qui est justement la difficulté principale pour l’émergence d’un mouvement ouvrier indépendant). Elle ne rend pas compte des liens de ces pouvoirs avec le mouvement ouvrier mondial. Elle insiste à juste titre sur la tendance de la bureaucratie à se stabiliser comme classe ­ mais elle n’en montre pas les limites. Le but de la restauration capitaliste, pour la partie de la bureaucratie qui compte en bénéficier, est précisément de stabiliser les droits de propriété, de transformer des privilèges de pouvoir en privilèges de l’argent et de la propriété privée...

54) Et les acquis ? On mesure mieux, face à la restauration elle­même, ce qu’il y avait à perdre dans ce processus­là. Cela devrait permettre de clarifier les débats sur ce plan : la notion « d’acquis » est toujours porteuse de faux débats ­ nous ne l’identifions pas à la défense d’un système. Pervertis, jamais pleinement réalisés par le système, les « acquis » (ce qui est perçu comme tel) étaient le droit au travail, au transport, à la santé, aux biens de base, à la culture pour tous, les droits des femmes... Ils n’étaient pas de simples abstractions, puisqu’ils sont suppprimés... Y être attaché ne veut pas dire qu’on est capable ... de les défendre ­ surtout lorsqu’on croit que le changement de système les conservera en les améliorant...

La cause profonde de la dynamique restaurationiste est précisément que la bureaucratie n’était plus en mesure de défendre et d’étendre ces acquis ­ qui ne faisaient pas de son système un « socialisme », pas qui n’étaient pas indépendant de la suppression des mécanismes capitalistes d’accumulation...

6) Que dire donc des trois niveaux où opère la restauration capitaliste (gouvernement/Etat/économie) ?

+ Même si la restauration est difficile les gouvernements qui affichent et mettent en oeuvre un objectif restaurationiste sont « bourgeois ».

+ Et là où ils ont largement entamé les transformations des lois et appareils d’Etats pour détruire l’ordre ancien et ouvrir le pays au capitalisme, on est déjà au­delà du simple changement de gouvernement. Il peut donc se justifier de parler aussi d’Etats bourgeois ­hybrides et instables­ là où il y a déjà subordination de l’appareil d’Etat à l’objectif « d’incursion violente dans l’économie » : les proclamations d’intention ou les programmes électoraux ne suffisent pas. Un changement de nature de l’Etat implique des mesures concrètes (changement des lois, de l’appareil d’Etat visant à la restauration capitaliste).

+Mais, à l’exception de l’Allemagne unifiée, l’économie des sociétés d’Europe de l’Est est toujours en transition vers le capitalisme. Le critère n’en est pas la quantité de privatisation, mais la logique d’accumulation et de gestion dominante dépendant sans doute d’une « masse critique » de « vrais » propriétaires capitalistes. Il n’y a pas de « mesure » très précise du seuil ­ et on peut évidemment se tromper dans les évaluations : il faudra en débattre régulièrement avec plus de recul et des tests liés à des luttes ­ en sachant que nous aurons de toutes façons un capitalisme très barbare, bureaucratique, mafieux... Il est probable qu’il faudra des formes gouvernementales très dictatoriales pour aller plus loin dans le sens d’une discipline marchande.

Par ailleurs les frontières conceptuelles seront dures à établir entre a) un pouvoir d’Etat russe (dominé par un parti bourgeois) qui ne parvient pas à transformer son économie dans un sens capitaliste ; et b) un pouvoir d’Etat chinois dont l’objectif global n’est pas (encore) la restauration capitaliste, où le Parti communiste contient encore ses probables polarisations de classe internes, et qui ne maîtrise pas ses réformes marchandes... Cette difficulté s’éclaire si on souligne que dans les deux cas, on est dans une société « de transition », « ni capitaliste, ni socialiste », où le prolétariat ne domine pas ­ mais la bourgeoisie non plus...

Mais est­il bien nécessaire de trancher ce débat conceptuel ?

Il n’est ni nécessaire ni sans doute prudent de le faire tant l’épreuve de confrontations sociales majeures liées aux restructurations encore nécessaires, servira de test.

Il serait en tout cas dommage de se laisser emporter par un débat de concepts « achevés » face à une réalité « impure », et qui nous empêcherait d’évaluer ... l’inédit (l’indicible ?), le chaotique.

Soyons en tout cas convaincus que l’inédit n’est pas forcément moins barbare que le capitalisme... Il ne facilite pas forcément les luttes ouvrières... Bref, il n’implique aucun « optimisme ». Notre objectif doit être de comprendre ce qui se passe : les difficultés d’émergence d’une alternative cohérente...

Notre difficulté conceptuelle principale, n’est­elle pas là. Et n’y a­t­il pas une tendance profonde à ne pas être capable de penser les situations « incohérentes », intermédiaires ?

7) Et la « révolution politique » ?

71) Ce n’est pas la « révolution politique » anti­bureaucratique qui a renversé le stalinisme... Le débat sur notre « optimisme » dans les pronostics mérite d’être mené de façon systématique et approfondie ­ pas seulement sur l’effondrement à l’Est (seule la révolution socialiste était censée permettre la chute du franquisme, celle de l’apartheid, etc...).

Concernant les pays dits socialistes, notre optimisme se fondait sur l’expérience passée : jsuques et y compris en 1980 avec Solidarnosc, la dynamique des crises de l’appareil d’Etat/parti avait été d’ouvrir des brèches vers l’auto­organisation ds travailleurs. La perception du fait que la bureaucratie n’était pas un véritable propriétaire, qu’elle régnait au nom des travailleurs, facilitait une dynamique spontanée de contrôle ouvrier sur la production, de conseil ouvriers, d’autogestion ­et ce, en dépit d’une impossibilité de s’organiser syndicalement et politiquement entre ces crises... Même encore aujourd’hui, les formes de « privatisation de masse » proposées sont une façon de « faire passer la pilule » dans un système où la propriété est perçue comme « à tous et à personne ». Toutes les transformations juridiques, culturelles, idéologiques visent à gommer toutes les dimensions de classe antérieures...

Concernant la crise à l’Est, on avait en réalité analysé tous les ingrédients qui allaient précipiter un bouleversement majeur (épuisement des formes de croissance extensive, crise politique et morale, contradictions des réformes...). Pourtant la chute tant attendue du système de parti unique ne prit pas la dynamique escomptée dans le sens d’une démocratie socialiste : sous­estimation des dégâts profonds du système ? C’est sans doute partiellement vrai, mais secondaire. Optimisme dans une issue progressiste ? Sans doute, d’autant que cet optimisme avait valorisé la force de Solidarnosc en minimisant toutes ses faiblesses. Mais surtout il y eut conjonction historique de plusieurs crises à dimensions mondiales multiples (cf. texte du CM et d’Inprecor, février 1995).

72) Le débat sur la « révolution politique » doit être clarifié, bien qu’il soit déjà dépassé : le cadre global d’offensive restaurationiste impose des dimensions anti­capitalistes à la lutte. Mais il n’est pas inutile de revenir sur le fond, car il demeure bel et bien des dimensions (explicatives et concrètes) de lutte contre l’ancien système.

Le terme « révolution politique » prétait souvent à faux débats ­« politique » impliquerait superstructurel seulement ? Et certaines formulations pouvaient laisser entendre qu’il n’y avait rien à changer dans les « rapports de production ». Nous devrions pouvoir faire définitivement progresser ce débat­là : notre critique des mécanismes sociaux­économiques de la planification bureaucratique doit être radicale. Nous avons depuis longtemps mis l’accent sur l’auto­organisation (auto­gestion à divers niveaux), la transformation des rapports humains (hommes/femmes, droits nationaux), le refus d’un productivisme destructeur des êtres humains et de l’environnement, etc... Et c’est pourquoi la « révolution anti­bureaucratique » a des dimensions sociales, économiques, culturelles, féministes, nationales essentielles : c’est le contenu que nous donnons à une démocratie socialiste dans la production et la vie quotidienne.

8) Retour sur bureaucratie/bourgeoisie/travailleurs ?

Le texte du congrès mondial parlait d’un combat sur deux fronts. Mais nous avons aussi eu des discussions sur une lutte « triangulaire » (bureaucratie/bourgeoisie/prolétariat). La première formulation exprime une difficulté majeure qui subsiste : les courants néo­staliniens existent (jusqu’à quel point sont­ils encore au pouvoir en Bulgarie, en Roumanie, dans certaines républiques de l’ex­URSS...?) et sont capables de capter les désillusions nées de l’expérience libérale ­un discours ouvriériste peu se combiner avec un nationalisme d’extrème­ droite... Les courants de la gauche démocratique et autogestionnaire sont bel et bien confrontés à une lutte sur deux fronts ­ même si elle n’est pas symétrique.

La formulation de la lutte « triangulaire » peut renvoyer partiellement à ce même problème. Elle recouvre aussi l’idée que l’ancienne bureaucratie de l’Etat ouvrier défendait à sa manière des rapports de production non capitalistes ­ et qu’elle s’opposerait à la restauration capitaliste. Cette formulation­là ne rend pas compte du basculement d’une partie substanciel de la bureaucratie « du côté de l’ordre bourgeois » : s’il demeure un triangle, il a changé de base. Mais si l’on admet ce changement majeur de cadre, il reste vrai que les purges dans les nouveaux appareils, les difficultés de la restauration capitaliste elle même, laissent une proportion non marginale des anciens bureaucrates intéressés à maintenir autant que possible l’ancien ordre social. Il n’y a là aucune « idéologie » : tous ceux qui peuvent consolider leurs privilèges par la privatisation et le marché le font. Mais si c’était facile et possible pour tous, la restauration serait rapidement ... achevée.

Quant aux travailleurs du triangle, ils ont bien entendu des intérêts opposés aux deux autres catégories. Et notre « raison d’être » est de développer leur indépendance de résistance aux deux logiques qui les piègent. Mais la principale difficulté actuelle est qu’ils cherchent d’abord à « s’en sortir » au plan de leur entreprise ­ ce qui peut signifier soutenir un courant libéral (si l’entreprise semble en bonne position de marché ou susceptible d’être rachetée par un investisseur qui la modernise) ; ou au contraire faire front avec la direction d’entreprise contre une privatisation réelle. Le développement de syndicats indépendant des nouveaux pouvoirs est et sera une étape décisive dans l’apprentissage de cette indépendance de classe. Ils proviendront (comme c’est déjà visible) en grande partie d’une reconversion des anciens syndicats, alors que les premiers syndicats ’indépendants’ et « anti­communistes » sont largement devenus des courroies de transmission des politiques libérales... Mais là aussi des différenciations et regroupements s’opèreront avec l’expérience des luttes.

9) Les questions nationales :

On ne peut faire une synthèse brève satisfaisante des nombreux débats et de la multitude des situations qu’elles recouvrent. Au moins faut-­il souligner quelques grands traits : ­Face à la multiplicité des conflits dits « inter­ethniques » on rencontre deux approches dominantes : soit la thèse des « manipulations d’identités factices », soit à l’opposé la transformation de l’« ethnicité » en catégorie politique au­dessus de toute autre réalité. La « face d’ombre » des questions nationales l’emporte aussi dans le contexte où des nationalismes réactionnaires, exclusifs dominent les conflits. Tend alors à s’y opposer un « universalisme » du marché libéral sans frontières et d’une citoyenneté bien abstraite.

Nous devons rester attachés à une analyse des questions nationales inscrites dans leurs contextes socio­économiques et politiques. Et c’est pourquoi elles sont profondément ambivalentes. Porteuses de revendications démocratiques antibureaucratiques ­ et utilisées par la bureaucratie pour maintenir son pouvoir. Porteuses de résistance à la restauration capitaliste ­ et facilitant cette restauration dans d’autres circonstances...

Les manipulations populaires (par le biais des propagandes mensongères et des actions terroristes) sont certaines. Et nous devons montrer l’utilisation des questions nationales à des fins de pouvoirs sans véritable consultation des populations concernées. Mais cela doit conduire non pas à nier la réalité des questions nationales et identitaires, mais à distinguer les motivations de « ceux d’en haut » et de ceux « d’en bas ». Si des manipulations « marchent » à un niveau de masse, c’est qu’il y a des bases pour cela, qu’il faut découvrir : globalement le refuge dans un communautarisme exclusif est le produit de peurs réelles, renforcées par des traumatismes historiques.« En haut », l’ethnicité légitime des conquête de pouvoir, de propriété sur des ressources et donc de territoires. « En bas » elle est l’espoir d’une meilleure protection. Bien des votes populaires indépendantistes ont été attachsé à l’espoir que, séparé, l’Etat assurerait mieux la modernisation, la sortie de crise escomptée. Les retournements se font sur le constat inverse.

L’articulation des questions nationales et sociales est compliquée. Dans le monde dit socialiste surtout, car les questions économiques n’y obeissaient pas à une logique « colonialiste » : les Russes (les Serbes) pouvaient être majoritaires dans les institutions, sans que les mécanismes économiques soient nécesssairement favorables à la Russie (à la Serbie). La base sociale du nationalisme serbe radical (mais aussi des courants nationalistes extrémistes croates, musulmans...) est une paysannerie pauvre ­ et l’on retrouve très souvent cette caractéristique paysanne opposée aux mélanges des régions urbanisées. C’est pourquoi d’ailleurs les questions nationales ne se posent pas de la même façon en Ukraine aujourd’hui, avec une classe ouvrière russifiée, et hier dans une formation sociale principalement paysanne. Elles ne se posent pas non plus de la même façon selon les différentes régions d’Ukraine ­ et de Bosnie... La cohésion d’ensemble de pays ethniquement mélangés (plurinationaux) dépend d’abord de gains socio­économiques et d’un système politique qui permette l’affirmation (ou le dépassement libre) des différences. Dans l’actuel contexte de crise et d’éclatement des anciennes fédérations, les nouveaux pouvoirs indépendantistes sont pratiquement tous répressifs par rapport à leurs minorités. On trouve donc à la fois « en haut » une course au partage des richesses et territoires, et « en bas » l’angoisse de ne pas se retrouver à l’intérieur des « bonnes frontières » pour garder sa terre, son travail, sa sécurité sociale... En Russie, des conflits se jouent à plusieurs dimensions ­ des minorités opprimées localement pouvant se tourner vers les pouvoirs russes qui les exploitent à leurs fins contre les nouvelles indépendances...

Comment traiter (respecter) le droit d’auto­détermination dans de tels contextes aux territoires mélangés ? Et s’agit­il d’une auto­détermination des peuples (communautés ethnico­ nationales) ou des Etats (républiques) ? Là où les frontières intérieures ont été établies non pas avant mais sous le règne d’une fédération ­ et encore là où elles sont le produit de traités de paix perçus comme injustes et oppresseurs, il est évident que cette question se pose centralement ­ avec la dynamique de « retrouver » des frontières ethniques généralement mythiques.

Nous restons quant à nous fidèles aux droit du sol. C’est dire que notre défense du droit de se séparer (contre toute intervention militaire imposant une union forcée) ­ est en conflit radical avec la construction d’Etats « ethniquement purs ». Mais partout où les identités nationales (ethnico­culturelles) existent comme résultat d’une histoire elles demandent des réponses politiques pour être protégées. Il faut donc combiner citoyenneté, choix identitaires libres et individuels et garanties politiques de protection des droits collectifs (formes de représentation dans les pouvoirs d’Etat avec droits de veto sur les questions spécifiques). Cette question (droits individuels/droits collectifs) est celle qui nous distingue soit de l’ethnicisation de l’Etat, soit de la citoyenneté abstraite. Elle est essentielle aussi pour les questions relevant des droits des femmes et des travailleurs.

Pratiquement prôner la séparation soulève généralement plus de problèmes qu’elle n’en résoud et recouvre. Défendre au contraire l’union ne signifie pas défendre ses formes et son contenu ancien. Nous mettons l’accent sur les questions de la démocratie socio­ économique, culturelle, politique ­ protection des identités et langues minoritaires ; mais aussi contrôle socio­économique et politique des ressources et de leur usage contre un pouvoir et des formes de planification hypercentralisateurs ­ et contre les logiques libérales creusant les écarts entre régions riches et pauvres.

10) La superposition de deux axes de débats d’actualisation nécessaires :

a) La révolution d’OCTOBRE a forcé à introduire la notion de société de transition au socialisme ; les débats soviétiques des années 20 sur la loi de la valeur étaient une première approche marxiste sur la place du marché et les rapports au capitalisme mondial dans ce cadre. Le stalinisme et l’hypercentralisme, la suppression généralisée de la propriété privée, l’autarcie ont, malgrè tout marqué des générations de militants.

Il faut donc reprendre le débat sur les caractéristiques des sociétés de transition : diverses formes de propriété, articulation plan, marché et démocratie ­ et rapports au capitalisme mondial. Il faut de ce point de vue actualiser les débats des années 20, sur la base du bilan critique de l’expérience des pays dits socialistes et de leurs réformes.

b) Mais un deuxième débat se greffe sur le premier : l’ère des révolutions socialistes était associé au monde des guerres impérialistes menées entre Etats­nations. Le socialisme ne pouvait certes pas à nos yeux se consolider « dans un seul pays ». Mais la rupture avec le capitalisme pouvait commencer à l’échelle d’un pays et s’appuyer (de façon certes conflictuelle) sur l’existence de l’URSS ­ d’où une relative autarcie « régionale ».

Quelles sont les conséquences stratégiques de l’effondrement des pays dits socialistes et de la globalisation capitaliste ? Comment résister aux pressions de l’environnement capitaliste tel qu’il est ­ avec ses marchés mondialisés et ses institutions ? Comment éviter le repli nationaliste/protectionniste ou l’écueil suicidaire d’une insertion sans protection dans ce capitalisme­là ? Il y a le besoin d’une articulation plan/marché et démocratie (contrôle social) sur une échelle de plus en plus directement mondiale...

http://csamary.free.fr/articles/Publications/Pays_dits_socialistes_files/2000_Concepts&QI.pdf