Peuple-nation et peuple-classe : identité et appartenance . Christian Delarue (2008 ATTAC Fr)

mardi 11 juin 2013
par  Amitié entre les peuples
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Peuple-nation et peuple-classe : Identité et appartenance.

Avant d’engager des distinctions qui permettent d’expliciter des enjeux de luttes collectives (§ 2 et 3) il me semble utile de faire un détour par la distinction identité-appartenance qui doit beaucoup à Philippe Zarrifian.. Zarrifian contre Régis Debray , celui de l’un et du multiple de la raison politique.

1) Détour pour de nouvelles perspectives : L’un et le multiple, Identité et appartenance.

A) L’obstacle de la constance de la Nation et du fait national : Régis Debray.

Dans "Critique de la raison politique" (1) Régis Debray écrit dans les toutes dernières pages (p 464) : "le fait demeure et la question reste : que faire avec ? La vérité est une et l’erreur multiple : il n’est pas étonnant que la droite professe le nationalisme, cette forme vicieuse du pluralisme qui suppose dans le fait la pluralité des nations et dans la valeur l’exclusivité d’une seule d’entre elles. Tel pourrait être le jugement d’un homme de gauche, d’après les canons classiques. Mais nous ne sommes pas ici à gauche, nous n’avons pas à porter de jugements, et encore moins de valeur. Notre but, rappelons-le, n’est pas de proposer des préceptes mais des raisons, en sorte qu’on s’évitera d’avoir à discerner ce qui est "réactionnaire" de ce qui ne l’est pas, en triant le bien du mal. Nous intéresse seulement le tri du possible et de l’impossible, soit la logique des opérations réelles, et pour commencer la description de ce qui se passe. Nous n’avons donc pris acte, et sans nullement nous en réjouir, d’un fait : la double crise de l’internationalisme socialiste et du cosmopolitisme libéral ; nous nous demandons pourquoi ne sont-ils pas opérationnels ? Et nous risquons une réponse de bon sens : parce qu’ils ne savent ni l’un ni l’autre compter jusqu’à deux. Pour jumeler les contradictoires. Soit penser l’unicité de l’un et du multiple.

B) Les identités collectives en crise et la montée des appartenances multiples (2)

Les identités à la base des communautés sont en crise. La manifestation de cette crise en est le raidissement identitaire observé sous des formes variables ici ou là pour chacune d’elle qu’elle soit religieuse, de classe, de sexe, d’âge, de métier, d’ethnie ou de nation. La multi-appartenance sur fond de mentalité "chat de gouttière" ( Edm p70) offre une perspective de sortie de crise, notamment en temps de guerres récurrentes et de crise écologique. Le métissage culturel est aussi un voie positive sous réserve d’ "enrichissement et confrontation critique" (Edm p183) notamment pour que la laïcité soit assurée et les droits des femmes respectés.

L’appartenance se fonde sur une identification au groupe, voire à la communauté, mais elle est plus modeste que l’identité. L’appartenance aide à nous situer. Elle est d’abord sociale. Nous appartenons à tel groupe (parti, syndicat, association) mais aussi à tel communauté (ethnique, nationale, salariale, mondiale) avec des cohérences ou des contradictions. L’appartenance est donc sans fermeture. Plus souple que l’identité, l’appartenance permet de jouer des références de solidarité en fonction des enjeux. Tantôt sentir l’amitié entre les peuples en cas de guerre, tantôt sentir l’appartenance à la communauté d’intérêts des travailleurs salariés quand le capital pousse ses attaques contre les droits des salariés des précaires et des chômeurs. La mondialisation capitaliste via les entreprises transnationales a étendu sur la planète les rapports sociaux qui lui sont intrinsèquement liés. La lutte de classe loin de disparaître s’est accrue et mondialisée.

La lutte de classe s’est accrue et mondialisée, ce qui percute le peuple-nation et milite en faveur du peuple-classe.
*

2) Ambiguïté lourde du peuple-nation.

Sur la crise du peuple-nation la lecture de Nation de Pierre Fougeyrollas - qui dresse l’historique de la montée, de la stabilisation puis du déclin des nations - est un apport essentiel (3). Notre propos ici vise plus modestement à souligner l’ambiguïté de la notion de peuple-nation.

- d’une part par référence à Jean Ziegler (4)

L’assimilation du peuple à la nation et à l’Etat opère un élargissement nettement plus incertain et plus ambigu. Positivement on peut la voir d’une part comme lieu politique et démocratique potentiellement protecteur de l’intérêt national contre la mondialisation libérale (propos d’ André BELLON) et d’autre part comme espace de l’unité et de l’égalité de tous sur un territoire notamment pour les service publics (conception jacobine largement partagée chez les fonctionnaires et les usagers). Plus négativement cette assimilation peut être vue comme vecteur idéologique de cette mondialisation néolibérale et donc masque derrière cette notion abstraite et englobant de Nation de la diversité des intérêts sociaux en présence et notamment des intérêts de classe radicalement antagonique lorsque l’on pense au salariat et au patronat.

Pour suivre le propos de Jean ZIEGLER on pourrait dire que cette assimilation peuple - nation -Etat fait subrepticement passer de la raison solidaire à la raison d’Etat. Et l’Etat chargé de défendre l’intérêt général défend bien souvent en premier lieu les intérêts de « l’entreprise » (portée au nue dans les années 1983) et des couches sociales dominantes. La bourgeoisie nationale trouve d’ailleurs, avec ou sans pantouflage l’appui de la haute administration pour accomplir au nom de l’intérêt général les réformes anti-populaires et anti-salariales.

- d’autre part par relativisation de l’accès au politique via la citoyenneté

On l’a dit ailleurs (5) : la citoyenneté est elle même ambiguë, à la fois relativement émancipatrice mais aussi vecteur d’une certaine dépossession des peuples .

Si l’on met - provisoirement - de côté la distinction nation dominante - nation dominée et la problématique complexe des éléments caractéristiques d’une nation on peut alors définir le peuple-nation par tous les nationaux du pays, ce qui ne recoupe imparfaitement et depuis peu l’accès à la citoyenneté . C’est un aspect important à souligner car la citoyenneté témoigne d’un accès au politique et sort le peuple de sa définition ethnique à laquelle le néolibéralisme voudrait le réduire via la gouvernance. Pour autant la citoyenneté et l’accès au politique n’est pas le critère ultime de l’émancipation et de la souveraineté.

Ces nationaux partagent une même langue, une culture (tout ce qui a résisté à la mondialisation : le boire, le manger,...), une histoire même sur le mode du conflit. En fait cela est surtout évident pour la métropole et déjà beaucoup moins pour les îles que l’on dit françaises. Emmanuel Todd a évoqué une subculture catholique en France recouverte par le combat laïc et la montée de l’athéisme assez fort en France. Mais cette subculture catholique est plus apparente en Bretagne (quoique de façon moins prégnante que jadis) que dans bien d’autres régions françaises. Or parlant de la Bretagne on ne peut que souligné la force d’une culture historique spécifique même si les bretons ne forment sans doute plus un peuple-nation pour deux grandes raisons : d’une part la population bretonne est devenue mélangée de par l’installation de non bretons , d’autre part les bretons de "souche" se sont largement assimilés à l’identité nationale. En fait il y a un enchevêtrement des cultures et des identités qui débouche sur la crise de même de l’identité au profit des appartenances. Si le peuple-nation breton a disparu il existe encore une minorité culturelle bretonne qui parle breton et qui entretient une identité bretonne. Mais il s’agit d’une minorité au sein des bretons eux-mêmes sur son propre territoire (qui déborde les quatre départements bretons).

3) Une nécessité : passer du peuple-nation au peuple-classe.

Avec la crise des identités figées, le peuple-nation cède la place au peuple classe qui lui met en avant le sens d’une appartenance sociale qui mélange les couches moyennes et inférieures de la population du territoire national qui forment 90% des résidents. La mondialisation capitaliste et le rôle joué par les classes dirigeantes (élites) et dominantes (bourgeoisie) a donné de la force a cette représentation du peuple-classe. Le peuple-nation intégrait en-haut la classe dominante et montrait un adversaire ou un ennemi extérieur : l’Europe, les USA, les institutions nationales mais aussi, ne l’oublions pas, les résidents étrangers de longue durée sur le territoire national. En effet, à la différence du peuple-classe, le peuple-nation exclue en-bas les immigrés non nationaux donc les étrangers en résidence durable sur le territoire.

Le peuple-nation fonctionne le plus souvent sur le mode un peuple pour un Etat qui est la matrice de la République française une et indivisible alors que le peuple-classe peut se concevoir aussi comme des peuples-classe au sein d’un seul Etat.

Ce qui pose immédiatement la question de la souveraineté de ce peuple-classe. En effet, le peuple-classe souverain gagne sa souveraineté éventuellement contre un ennemi extérieur mais surtout contre sa propre bourgeoisie ou oligarchie. Le combat de classe le plus dur est en interne. Le peuple-classe est plus aisément le sujet d’une alter-démocratie.

Le peuple-classe trouve des solidarités de classe avec des autres peuples-classe. L’internationalisme des peuples et travailleurs a pour sujet d’émancipation les peuples-classe.

Christian Delarue

nov 2008

1)"Critique de la raison politique" Régis Debray -Gallimard 1981.

2) in Républicains et altermondialistes
Edm = P Zarifian in L’échelle du monde
http://www.mrap.fr/campagnes/mondialisation/republicains

3) Relire "La Nation" de Pierre FOUGEYROLLAS 20 ans après !

http://www.prs12.com/spip.php?article7232

4) dans cet extrait de "Mondialisation, communauté et immigration" . Cette note pour le groupe Migrations d’ATTAC France (Christian Delarue - 2005) s’appuie sur la lecture de
"Vive le pouvoir ! ou les délices de la raison d’Etat" de Jean Ziegler (Seuil 1985)

http://www.france.attac.org/spip.php?article6358

5) Pour une approche du peuple-classe

* I – DERRIERE L ’AMBIGUÏTE DE LA CITOYENNETE
* II - LE PEUPLE-CLASSE ENTRE OBJET ET SUJET POLITIQUE

http://www.france.attac.org/spip.php?article9082


Brèves

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