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Le développement « à particule »

samedi 14 juin 2008, par Amitié entre les peuples

On peut dire que dès ses origines implicites, comme processus historique vers 1750 avec le take off (« décollage ») de l’industrialisation britannique, ou dès ses origines explicites comme politique délibérée en 1949, lancée par Harry Truman, le développement a été repensé ou « habillé de neuf ». Par le socialisme utopique puis scientifique dans le premier cas, par la stratégie d’euphémisation par adjectif dans le second. [1] Dans ce second cas (auquel nous nous limiterons), on est entré dans « l’ère des développements à particule » pour tenter de conjurer magiquement les effetsnégatifs de l’entreprise développementiste [2].

On a vu des développements « autocentrés » , « endogènes » , « participatifs » , « communautaires » , « intégrés » , « authentiques » , « autonomes et populaires » , « équitables »... sans parler du développement local, du micro-développement, de l’endo-développement et même de l’ethno-développement ! En accolant un adjectif au concept de développement, il ne s’agit pas vraiment de remettre en question l’accumulation capitaliste. Tout au plus songe-t-on à adjoindre à la croissance économique un volet social comme on a pu naguère lui ajouter une dimension culturelle, et aujourd’hui une composante écologique. Ce travail de redéfinition du développement porte, en effet, toujours plus ou moins sur la culture, la nature et la justice sociale. Dans tout cela, il s’agit de guérir un mal qui atteindrait le développement de façon accidentelle et non congénitale. On a même créé pour l’occasion un monstre repoussoir : le mal-développement. Ce monstre n’est qu’une chimère aberrante. Le mal ne peut pas atteindre le développement pour la bonne raison que le développement imaginaire ou mythologique est par définition l’incarnation même du bien. Le « bon » développement est un pléonasme parce que développement signifie « bonne » croissance, parce que la croissance, elle aussi, est un bien et qu’aucune force du mal ne peut prévaloir contre elle.

Sans passer en revue toute la longue suite d’innovations conceptuelles visant à faire entrer une part de rêve dans la dure réalité de la croissance économique, il vaut la peine de se pencher sur les plus récentes et persistantes de ces trouvailles : le développement social, le développement humain, le développement local et le développement durable. Pour démystifier les « habits neufs » du développement, il faut même aller plus loin et traquer le développementisme jusque et y compris dans les projets dits « alternatifs » , tant il est difficile de se libérer de l’imaginaire économiste.

Le développement social

Suivant le document préparatoire du forum alternatif « Les autres voix de la planète » qui s’est tenu à Madrid à la fin d’octobre 1994 : « L’énorme discrédit du concept (de développement) oblige a inventer de plus en plus rapidement de nouvelles versions de développement assorties des qualificatifs positifs correspondants... au premier rang le développement durable » (au deuxième rang le développement humain, etc.). Les organisateurs de ce forum « alternatif » annonçaient d’ailleurs le lancement de la prochaine vague pour la conférence mondiale sur le développement de Copenhague en 1995, le développement « socialement durable » [3] .

Avant que le développement social ne se fonde effectivement dans le développement durable, ce qui sera réalisé en août 2002 avec le sommet de Johannesburg, s’était tenue a Copenhague du 6 au 12 mars 1995 une conférence mondiale sur le développement social. Il est clair que c’est le développement réellement existant, celui qui domine la planète depuis trois siècles, qui engendre les problèmes sociaux actuels, exclusion, surpopulation, pauvreté, etc. « On nomme développement l’accès d’une frange infime de la population â la voiture individuelle et à la maison climatisée. On nomme développement l’élargissement de la fracture sociale entre cette infime minorité qui accède à une richesse insolente, et la masse de la population confinée dans la misère [4]. » En accolant l’adjectif « social » au concept de développement, il est non moins clair qu’il ne s’agit pas vraiment de remettre en question le développement, tout au plus songe-t-on à adjoindre un volet social à la croissance économique. L’agenda du PNUD pour le sommet social est tout à fait révélateur de ces bonnes intentions. Il réclame a world social charter et parle même d’un nouveau paradigme de développement, mais sans toucher au sacro-saint libre-échange mondial...

Tandis que la mécanique continue son travail massif d’uniformisation, d’occidentalisation, de déculturation et d’exclusion, détruisant toute protection pour les sociétés fragiles du Sud et transformant leur frugalité en misère, avec les plans d’ajustement structurel, on se donne l’illusion de remédier aux maux qu’on engendre en procédant à des analyses toujours plus raffinées des indices de la pauvreté et en redistribuant quelques miettes de la croissance retrouvée.

Suivant la belle expression de G. Myrdal, reprise à ce propos par Ignacy Sachs, il s’agit de « diplomatie par terminologie [5] ». Encore assiste-t-on à un inquiétant épuisement de l’imagination des maîtres de cette « diplomatie verbale ». Si le développement durable est une heureuse trouvaille conceptuelle, le développement social est une « vieille lune ». Dès 1965 Raymond Aron et Bernard Hoselitz publiaient un ouvrage collectif intitulé Le Développement social dans lequel tous les problèmes actuels étaient abordés [6]. Or s’agissant du développement social. on est en face du paradoxe suivant : sur le plan de l’imaginaire, il s’agit d’un pléonasme conceptuel car le développement ne peut pas ne pas être social, tandis que sur le plan du vécu, il s’agit d’un oxymore : la développement réellement existant ne peut pas ne pas engendrer l’injustice sociale.

De part sa définition originaire même, le développement est une bonne croissance. Le doublet croissance/développement trouve son origine, en effet, dans la biologie et tout particulièrement chez Darwin. Commentant celui-ci, Georges Canguilhem note : « En distinguant précisément croissance et développement, Darwin oppose l’adulte à l’embryon sous les deux rapports de la dimension et de la structure. Tout vivant peut continuer à croître en cessant de se développer. Comparable à un adulte en poids et en volume, il restera fixé à tel ou tel stade de son enfance spécifique, sous le rapport du développement [7]. »

Transposé dans le domaine social, le développement est la croissance non homothétique de l’organisme économique. On a pu définir assez justement le développement économique comme le trickle down effect de la croissance industrielle [8]. Ce terme qu’on traduit parfois par « effet de percolation » signifie tout simplement qu’au-delà d’un certain seuil la croissance de la production a des retombées sociales. Elle ne peut pas ne pas profiter peu ou prou à tous. Et, pendant une certaine période, dans les pays du Nord, si l’on met de côté les dégâts collatéraux sur l’environnement, le mythe a eu une certaine forme de réalité qui a encore accru son pouvoir de séduction.

Dans les pays développés, même les plus libéraux, les pauvres, ceux de l’Angleterre victorienne décrits par Dickens et dénoncés par Marx, ne se sont pas multipliés. La richesse s’est diffusée plus ou moins à tous. Avec le keyneso-fordisme des sociétés consuméristes, un degré supplémentaire dans cette voie a encore été franchi. Ce mode de régulation social et politique vise à distribuer des hauts salaires et des revenus sociaux, en fonction des gains réguliers de productivité, pour entretenir une haute conjoncture. Ce système de production et de consommation de masse a bien fonctionné pendant les Trente Glorieuses (1945-1975) ; c’est en quelque sorte l’apothéose du développement. Il semble que, depuis les années 1980, ça ne marche plus.

Le rapport d’Edouard Parker au Forum de la haute route cautionné par l’OCDE en 1991 et publié ensuite sous le titre « Objectif dix pour cent » donne une illustration frappante de cette croyance mythique en l’effet des retombées [9]. Ce rapport démolit toutes les critiques de la croissance et ne propose rien moins qu’un objectif de croissance annuelle de 10 % pour le tiers-monde. Pourquoi un tel rythme ? Parce qu’il faut déjà deux à trois pour cent pour ne pas stagner et compenser l’accroissement démographique. Il faut quatre pour cent supplémentaires pour améliorer le niveau de vie et trois autres pour cent pour réduire le sous-emploi. Tous les documents du sommet de Copenhague montrent que c’est sur le trickle down effect du développement réellement existant que l’on comptait pour que le développement devienne social. Les nombreux passages du volumineux et répétitif document intitulé « Projet de déclaration et de programme d’action qui seront publiés à l’issue du sommet mondial pour le développement social « qui abordent les logiques économiques susceptibles d’engendrer l’éradication de la misère et de la pauvreté sont explicites ; il n’est pas question de remettre en cause le modèle de développement fondé sur le libre-échange. Dans ce catalogue de bonnes intentions, confiance la plus absolue est faite à la main invisible et à l’harmonie naturelle des intérêts.

Projet de déclaration et de programme d’action qui seront publiés à l’issue du sommet mondial pour le développement social du sommet de Copenhague de 1995

Point 5 de l’introduction : « Nous partageons également la conviction que le développement social et le développement économique bien compris sont interdépendants et se renforcent mutuellement. Un développement social équitable constitue le fondement nécessaire d’une prospérité économique durable. Inversement, un développement économique général et durable est la condition préalable du développement social et de la justice sociale. »

Points c et e de l’engagement n0 I : « Nous favoriserons des marchés dynamiques, ouverts et compétitifs, et assurerons à tous, en particulier aux plus pauvres et aux plus défavorisés, un accès plus large et équitable à ces marchés. » « Nous formulerons et coordonnerons des politiques macro-économiques propres à favoriser un développement durable et à réduire le protectionnisme dans l’économie mondiale, à accroître la stabilité financière et améliorer l’accès des pays en développement aux marchés, aux investissements productifs et aux technologies, en tenant compte des besoins des pays en transition ; « 

Points j et k de rengagement n°8 : « D’exécuter, selon le calendrier prévu, les accords conclus lors des négociations commerciales multilatérales d’Uruguay... compte tenu du fait que la croissance des revenus, celle de l’emploi et celle des échanges commerciaux, lorsqu’elles reposent sur une large base, se renforcent mutuellement. « D’évaluer dans quelle mesure la livéralisation des échanges commerciaux permet aux pays en développement de mieux répondre aux besoins essentiels de leur population, en accordant une attention particulière aux initiatives nouvelles visant à ouvrir davantage à ces pays l’accès aux marchés internationaux ; » Point I, 9, c du programme d’action « Mettre en oeuvre comme prévu les accords conclus lors des négociations d’Uruguay .. et prendre d’autres mesures pour éliminer les obstacles qui désavantagent les pays en développement. »

Point I, 10, c : « Elaborer des politiques qui permettent aux pays en développement de tirer profit de l’accroissement des possibilités d’échange commerciaux à l’échelle internationale dans le cadre de la mise en oeuvre des accords d’Uruguay ; et venir en aide aux pays qui ne sont pas à même de bénéficier de la libéralisation de l’économie mondiale, en particulier ceux d’Afrique ;

Point I, Il, c : « Adopter une politique d’ouverture visant à réduire les barrières qui s’opposent à l’entrée de nouveaux fournisseurs, promouvoir la transparence grâce à une meilleure information et élargir l’éventail des choix proposés aux consommateurs ; « 

On chercherait en vain, dans cette synthèse, pourtant hétérogène, l’ombre d’une critique des mécanismes du marché mondial et du libre-échange. De même n’y trouve-t-on pas la moindre allusion aux firmes transnationales qui sont pourtant un des acteurs stratégiques de la croissance mondiale, sociale ou pas. Sept ans après, on peut reprendre ces formules mots pour mots, on a les résolutions de Johannesburg ! Le développement social constitue une belle illustration du procédé d’euphémisation par adjectif dénoncé plus haut. Le développement réellement existant ne peut pas ne pas engendrer l’injustice sociale.

Ce qui invalide par-dessus tout l’idéologie de la croissance est le fait que le trickle down effect est une imposture. Si cela a relativement bien fonctionné en apparence dans les pays industrialisés, en particulier pendant les Trente Glorieuses, d’ores et déjà avec la mondialisation de l’économie et la conjoncture incertaine que connaissent les économies occidentales depuis 1974, en particulier en matière d’emploi, les choses ne marchent plus très bien. En tout cas, au niveau planétaire, le mécanisme n’a jamais fonctionné. « En 1960, lit-on dans un rapport du PNUD, les 20% les plus riches des habitants de la planète disposaient de revenus trente fois supérieurs à ceux des 20 % les plus pauvres. En 1990, les revenus des 20 % les plus riches sont soixante fois plus élevés [10] ». « En 1997, l’écart est passé à soixante-quatorze fois [11] !

On ne peut pas conclure comme Robert Chambers, dans une étude au demeurant fort pertinente faite pour le PNUD dans la perspective de Copenhague, en se contentant de préconiser des aménagements mineurs du système [12]. Aucun traitement social de la pauvreté ne résoudra le problème. Or, le traitement économique, le seul efficace, passe par un changement du système qui engendre cette pauvreté.

Le développement humain

Le développement humain est le complément en quelque sorte statistique du développement social. Le PNB par tête étant reconnu trop étroit pour rendre compte du développement, le PNUD a mis au point un indice tenant compte de dimensions sociales moins économistes (éducation, santé, nutrition) tout en restant vraiment universel et transculturel : l’indice de développement humain. On ne peut que s’en réjouir. Toutefois, il s’agit toujours de variations plus ou moins subtiles sur le thème du niveau de vie, donc du nombre de dollars par tête. Ce faisant, on ne quitte pas pour autant l’espace de l’imaginaire économique occidental. Faute d’une critique des présupposés économistes et occidentaux, la nouvelle universalité est tout aussi entachée d’ethnocentrisme ordinaire que l’ancienne. Cela est vrai de l’IDH (indice de développement humain ou de ses variantes comme le PQLI (Physical Quality of Life Index).

Les indices nutritionnels, plus objectifs, sont certes plus neutres et plus intéressants comme indicateurs d’un problème, mais ils n’ont pas la même portée synthétique et n’échappent pas totalement aux critiques énoncées ci-dessus [13]

Pour ses promoteurs, l’IDH serait un indice universel de la vraie richesse et de la vraie pauvreté [14]. Pour le construire, on s’efforce de combiner des évidences de bon sens, du type « pas de développement authentique avec croissance de la pauvreté », avec d’autres évidences construites dans et par l’analyse économique, c’est-à-dire un ensemble de préjugés occidentalistes. Ainsi, les critères de la pauvreté reposent sur la satisfaction des besoins dits essentiels tels qu’ils sont définis par les instances internationales. Toutefois, « qualifier de besoins les éléments d’un mode de vie « idéal » occidental, note Gilles Séraphin, permet de l’imposer symboliquement dans l’imaginaire des autres sociétés [15]. »

La définition même du développement humain n’échappe ni a l’impérialisme culturel, ni a l’ethnocentrisme. La croyance que la croissance du PNB est une bonne chose et la condition de toute autre amélioration y occupe une place centrale. En conséquence, les gens sérieux, tels les experts du Fonds monétaire international ou de la Banque mondiale, mais aussi les autres (les économistes des ONG de développement, par exemple), une fois décapée la rhétorique humanitaire, considèrent le niveau et la croissance du PNB comme le jugement dernier de l’évaluation des sociétés humaines. Et cela à raison, dans la logique de la modernité, puisque l’économicisation du monde permet aux critères économiques occidentaux de fonctionner. Dans un monde globalisé, il n’y a plus d’autres valeurs que celles du marché, donc de l’évaluation quantitative par les prix.

Finalement, tous les gouvernements de la planète, sinon les populations, intériorisent le critère du PNB comme base d’une auto-évaluation et participent aux jeux olympiques de la croissance dans l’espoir de figurer en bonne place dans le palmarès. Dans l’espace de la modernité où nous sommes tous plus ou moins piégés, chacun a à coeur de « tenir son rang ». Le mensonge statistique est le triomphe du paraître et la forme ostentatoire d’une compétition agonistique exacerbée. Résultat des courses : « L’écart de revenu entre le milliard d’êtres humains les plus riches et le milliard des plus pauvres..., de 1 à 30 en 1960, passe de 1 à 150 en 1990 [16] ».

Le développement local

Incontestablement, la mondialisation repose la question du local, comme la repose l’après-développement. Le « localisme » constitue un élément fondamental de toute solution alternative au développement et à la mondialisation. Le problème n’est donc pas tant avec le mot « local » qu’avec le fait qu’il est accolé à celui de « développement ». Si le « local » est ambigu en raison de son extension géographique à géométrie variable - de la localité à la région transnationale, du micro au macro, en passant par le méso -, il renvoie de façon non équivoque au territoire, voire au terroir et plus encore aux patrimoines installés (matériels, culturels, relationnels), donc aux limites, aux frontières et à l’enracinement. Il n’en va pas de même pour le développement, concept attrape-tout, hautement mystificateur, concept à proscrire. Si le « local » émerge aujourd’hui, il n’émerge pas (ou ne devrait pas émerger) comme « développement », mais plutôt dans le cadre d’un « après-développement », d’un « au-delà du développement ».

Accolé à développement, le « local » est tout juste alors, comme le social et le durable, ce qui permet au développement de survivre à sa propre mort. Le concept de « développement local » n’échappe donc pas à la colonisation de l’imaginaire par l’économique. Le développement a détruit le local en concentrant toujours plus les pouvoirs industriels et financiers. En France, le développement local, comme slogan de technocrates, est né dans les régions rurales (et à leur propos), en particulier dans les zones d’agriculture de montagne, victimes du productivisme. Dans les années 1970, ne disait-on pas déjà que les routes construites à grands frais, sur les crédits départementaux de l’agriculture destinés au bien-être des paysans, sous le prétexte de désenclaver les zones rurales, servaient au dernier agriculteur à procéder à son déménagement vers la ville et au premier parisien à installer sa maison de campagne dans la ferme ainsi libérée ! Le discours du développement local faisait écran au « grand déménagement » du territoire et sa mise en oeuvre visait à faire passer en douceur cette destruction en mettant du baume sur les blessures et en réutilisant au mieux les décombres... Dans beaucoup de pays, ça a été plus ou moins la même chose.

Utiliser la créativité populaire et locale, et les ressources diverses du territoire pour « redévelopper » signifie d’une certaine façon aller contre l’histoire. Ce qui s’est passé avec les banques est révélateur. Au siècle dernier il y avait une foule de petites banques locales et régionales, fortement enracinées dans l’économie locale. Le développement des banques nationales les a fait disparaître pour les remplacer par des agences qui drainent l’épargne locale et financent la grande industrie nationale. Aujourd’hui ce sont les banques transnationales qui font disparaître à leur tour les banques nationales au profit des firmes multinationales. Si l’argent est le nerf de l’économie, la disparition des banques locales signifie sans doute la fin de l’économie locale. Comme l’écrivent les théoriciens de Time dollars d’Ithaca, l’économie assure sa croissance « en se nourrissant de la chair et des muscles qui maintiennent soudée la société [17] ».

Le marché a progressivement marginalisé des aires importantes tant au Sud qu’au Nord. Dans de telles zones déprimées, qui survivent grâce aux subsides, subventions, assistances, presque tout l’argent gagné sur place ou provenant de l’extérieur est accaparé par les supermarchés et drainé hors de la région. On débouche ainsi sur le cas limite des réserves indiennes nord-américaines où « il ne faut que 48 heures à 75 % des dollars alloués par le gouvernement fédéral pour s’écouler vers les villes limitrophes [18]. ».

Le développement local apparaît ainsi comme une expression antinomique pour toute une série de raisons liées. D’abord, le développement est la conséquence d’un processus économique qui n’est ni local, ni régional, ni même national (même Si l’Etat-nation en a été l’acteur privilégié) mais fondamentalement mondial (et surtout à l’époque actuelle). Certes, bien que de plus en plus déterritorialisé, le processus mondial se réalise dans une inscription spatiale. Le développement mondial est une somme de transformations, voire d’initiatives, localement situées, mais la logique du processus est d’abord globale et donc a-spatiale. Sur le processus lui-même, les politiques ont de moins en moins de prise, et sur son inscription territoriale, leur maîtrise reste très limitée. Il ne faut donc pas confondre « développement local » et croissance localisée ni, s’agissant du Sud, développement local et dynamisme informel. Tout changement local, même et surtout bénéfique, n’est pas du développement, c’est la réaction de survie d’un organisme agressé par le développement.

En fait, le changement local peut s’analyser selon deux processus concurrents et/ou complémentaires. D’une part, on trouve les « retombées » locales d’un phénomène qui se passe fondamentalement ailleurs. D’autre part, il est possible d’identifier des réactions créatives de la société en face des conséquences du développement et plus encore de la mondialisation. Ces deux processus, souvent combinés en une sorte d’alliance contre nature, forment justement ce qui est d’habitude désigné improprement comme le « développement local ». « Le localisme hétérodirigé, écrit Giusti, est une contradiction dans les termes. La croissance de systèmes locaux répondant à des logiques globales ne peut pas être appelée développement local [19]. » En fait, s’il est bien vrai que le localisme hétérodirigé est une contradiction dans les termes, qu’il ne s’agit sûrement pas d’une revitalisation du tissu local, d’un « projet local » (au sens d’Alberto Magnaghi [20] ), c’est justement cela qui est appelé « développement local », expression qui, elle aussi, est un bel oxymore.

En résumé, on peut dire que nous sommes en face de territoires sans pouvoir à la merci de pouvoirs sans territoire. « En facilitant une gestion à distance, écrit Jean-Pierre Garnier, à la fois décentralisée et unifiée, d’unités dispersées dans l’espace, les nouvelles technologies de la communication permettent aux grandes firmes de superposer un espace organisationnel hors sol dont la structure et le fonctionnement obéissent à des stratégies d’entreprise de plus en plus autonomes à l’égard des activités et des politiques autocentrées sur des territoires déterminés ».

Un des nombreux paradoxes du développement local est que les acteurs, les agents du développement local, ont au début fait leur le slogan des alternatifs et des écologistes : « penser globalement pour agir localement ». La vérité du prétendu « glocalisme » est une mise en concurrence des territoires. Ceux-ci sont invités à offrir des conditions toujours plus favorables aux entreprises transnationales en termes d’avantages fiscaux, de flexibilité du travail et de réglementation (ou plutôt de déréglementation) environnementale. C’est le jeu du moins-disant fiscal, social et environnemental et du mieux-disant économique (en termes de subventions), un véritable encouragement à la prostitution ! Les initiatives locales, la créativité locale sont dévoyées, récupérées, marginalisées dans la logique de l’économie et du développement.

Les patrimoines subsistant sont mis en coupe réglée, par exemple, par un « tourisme prédateur [21] ». Le comble est sans doute atteint avec les zones franches urbaines (ZFU) créées en France en 1996 et qui concernent 84 périphéries à problèmes des grandes villes. Il s’agit de nouveaux paradis fiscaux dans lesquels les entreprises de moins de cinquante salariés sont totalement exonérés de charges sociales, d’impôts sur les bénéfices des sociétés, de taxes professionnelles et de taxes sur les propriétés bâties [22]

Les stratégies d’unions locales sacrées pour faire gagner la région ou la localité et pour « vendre l’image » du pays n’engendrent qu’une économie à deux vitesses (les « zones championnes » et les autres) et font surtout vivre les experts en développement local, sans réduire sensiblement la fracture sociale !

Le développement durable

« There cannot be much doubt, sustainable developpement is one of the most toxix recipes. » Nicholas GEORGESCU-ROEGEN [23]

On appelle « oxymore » (ou « antinomie ») une figure de rhétorique consistant à juxtaposer deux mots contradictoires, comme « l’obscure clarté... ». Ce procédé inventé par les poètes pour exprimer l’inexprimable est de plus en plus utilisé par les technocrates pour faire croire à l’impossible. Ainsi, une guerre propre, une mondialisation à visage humain, une économie solidaire ou saine, etc. Le développement durable est une telle antinomie.

Le développement durable, soutenable ou supportable (sustainable) a été « mis en scène » à la conférence de Rio en juin 1992 [24].

Il s’agit encore d’un bricolage conceptuel visant à changer les mots à défaut de changer les choses, mais cette fois, on a affaire à une monstruosité verbale du fait de l’antinomie mystificatrice de l’expression. En même temps, par son succès universel, il témoigne que la question du développement ne concerne pas ou plus seulement les pays du Sud, mais tout aussi bien ceux du Nord.

Les documents de la conférence de Johannesburg, montrent que désormais le développement durable comme mythe rassemble tous les espoirs des développements à particule. Selon les ONG, il s’agit d’un éveloppement « économiquement efficace, écologiquement soutenable, socialement équitable, démocratiquement fondé, géopolitiquement acceptable, culturellement diversifié », bref le merle blanc. Pour les organisateurs officiels, la mise en avant du bien-être social et de la question de la pauvreté sert à liquider pratiquement tous les engagements de Rio. Les 2500 recommandations de l’Agenda 21 sont abandonnées au bon vouloir des ONG et au sponsoring (éventuellement subventionné) des firmes transnationales, et la solution des problèmes de pollution (changement climatique et autres) est confiée aux forces du marché [25] .

En 1989, déjà, John Pessey de la Banque mondiale recensait trente-sept acceptions différentes du concept de sustainable development [26]. Le rapport Brundtland (World Commission 1987) en contiendrait six à lui tout seul. François Hatem, qui à la même époque en répertoriait soixante, propose de classer les théories principales actuellement disponibles sur le développement durable en deux catégories, « écocentrées » et « anthropocentrées », suivant qu’elles se donnent pour objectif essentiel la protection de la vie en général (et donc de tous les êtres vivants, tout au moins de ceux qui ne sont pas encore condamnés) ou le bien-être de l’homme [27].

Il y a donc dès le départ une divergence manifeste sur la signification du soutenable/durable. Pour les uns, le développement soutenable/durable, c’est un développement respectueux de l’environnement. L’accent est alors mis sur la préservation des écosystèmes. Le développement est supposé signifier dans ce cas, comme dans la conception mythique, bien-être et qualité de vie satisfaisants, et l’on ne s’interroge pas trop sur la compatibilité des deux objectifs, développement et environnement. Cette attitude est assez bien représentée chez les militants d’ONG et chez les intellectuels humanistes (René Passet, Ignacio Ramonet, Bernard Cassen, Dominique Plihon, Daniel Cohn-Bendit...). La prise en compte des grands équilibres écologiques doit aller jusqu’à la remise en cause de certains aspects de notre modèle économique de croissance, voire de notre mode de vie. Cela peut entraîner la nécessité d’inventer un autre paradigme de développement (encore un ! mais lequel ? On n’en sait rien) [28].

Pour les autres, l’important est que le développement tel qu’il est puisse durer indéfiniment [29]. Cette position est celle des industriels, de la plupart des politiques et de la quasi-totalité des économistes. Le président de la Caisse des dépôts et consignations, qui est aussi le président du Conseil international pour le développement durable, définissait celui-ci sur France-Inter en février 2002 comme « le développement des échanges de toute nature au niveau mondial ». Cela ressemble étrangement au libre-échangisme et ne diffère pas beaucoup du libéralisme pur et dur ! A Maurice Strong déclarant le 4 avril 1992 : « Notre modèle de développement, qui conduit à la destruction des ressources naturelles, n’est pas viable. Nous devons en changer », font écho les propos de George Bush (senior) : « Notre niveau de vie n’est pas négociable [30] ». « Il est pour le moins ironique que ce soit ceux qui suivent le modèle de destruction consumériste qui parlent de développement durable ! déclare le responsable d’Ekta Parishad, une ONG indienne. Ce sont eux qui ont déchaîné les forces du marché, responsables de la destruction de notre modèle durable [31] ».

Cette ambiguïté est déjà présente en permanence même dans le rapport Brundtland. On lit, en effet, à la page 10 du document « Pour que le développement durable puisse advenir dans le monde entier, les nantis doivent adopter un mode de vie qui respecte les limites écologiques de la planète. » Toutefois, neuf pages plus loin, il est écrit : « Etant donné les taux de croissance démographique, la production manufacturée devra augmenter de cinq à dix fois uniquement pour que la consommations d’articles manufacturés dans les pays enb développement puisse rattraper celle des pays développés ». Comme le remarque non sans humour Marie-Dominique Perrot : « Le Rapport dans son ensemble montre que l’objectif poursuivi ne vise pas tant à limiter l’opulence économique et le gaspillage des puissants (au Nord comme au Sud) qu’à proposer une sorte de saut périlleux fantasmatique qui permette de garantir le beurre (la croissance), l’argent du beurre (l’environnement) ainsi que le surplus du beurre (la satisfaction des besoins fondamentaux) et même l’argent du surplus (les aspirations de tous aujourd’hui et à l’avenir) [32] ».

On ne peut que reprendre sa conclusion désabusée : « Qu’est-ce donc que le développement durable sinon l’éternité assurée à une extension universelle du développement [33] » Le développement soutenable est comme l’enfer, il est pavé de bonnes intentions. Les exemples de compatibilité entre développement et environnement qui lui donnent créance ne manquent pas. Bien évidemment, la prise en compte de l’environnement n’est pas nécessairement contraire aux intérêts individuels et collectifs des agents économiques. Un directeur de la Shell, Jean-Marie Van Engelshoven, peut déclarer « Le monde industriel devra savoir répondre aux attentes actuelles s’il veut, de façon responsable, continuer à créer dans le futur de la richesse [34]. » Jean-Marie Desmarets, le P.-D.G. de Total ne disait pas autre chose avant le naufrage de l’Erika et l’explosion de l’usine d’engrais chimique AZF de Toulouse...

Une véritable école d’économistes s’est donné pour mission de théoriser cette compatibilité, c’est celle de la « Modernisation écologique » ou de l’économicisation de l’écologie (economizing ecology). Les nouvelles technologies permettraient d’harmoniser les intérêts bien compris des divers acteurs, grâce à une intervention nécessaire mais limitée de l’Etat, la reflexive governance (certification environnementale des produits et procédés de fabrication, label, etc.) [35]. La concordance des intérêts bien compris peut, en effet, se réaliser en théorie et en pratique. Il se trouve des industriels convaincus de la compatibilité des intérêts de la nature et de l’économie. Le Business Council for Sustainable Development, composé de cinquante chefs de grandes entreprises, regroupés autour de Stephan Schmidheiny, conseiller de Maurice Strong, a publié un manifeste présenté à Rio de Janeiro juste avant l’ouverture de la conférence de 1992 : Changer de cap, réconcilier le développement de l’entreprise et la protection de l’environnement.

« En tant que dirigeants d’entreprise, proclame le manifeste, nous adhérons au concept de développement durable, celui qui permettra de répondre aux besoins de l’humanité sans compromettre les chances des générations futures [36] . »

On peut dire que si depuis la conférence de Stockholm (1972) les choses n’ont guère évolué dans le bon sens et que la situation planétaire s’est considérablement dégradée au fil des conférences (rappelons Nairobi ou Stockholm plus 10, Rio ou Stockholm plus 20, Johannesburg ou Stockholm plus 30 ou encore Rio plus 10...), en revanche, les industriels ont appris à faire face. Le World Business for Sustainable Development a fusionné avec la Chambre de commerce international sous la bannière du Business Action for Sustainable Development (BASD), formant ainsi un lobby de 163 entreprises transnationales, très présent à Johannesburg [37] .

Tel est bien, en effet, le pari du développement durable. Un industriel américain exprime la chose de façon beaucoup plus simple « Nous voulons que survivent à la fois la couche d’ozone et l’industrie américaine. »

Il vaut la peine d’y regarder de plus prés en revenant aux concepts pour voir Si le défi peut encore être relevé. La définition du développement durable telle qu’elle figure dans le rapport Bruntland ne prend pas en compte que la durabilité ou la soutenabilité. Il s’agit, en effet, d’un processus de changement par lequel l’exploitation des ressources, l’orientation des investissements, les changements techniques et institutionnels se trouvent en harmonie et renforcent le potentiel actuel et futur des besoins des hommes ». Il ne faut pas se leurrer pour autant. Ce n’est pas l’environnement qu’il s’agit de préserver pour les décideurs, mais avant tout le développement. Là réside le piège. Le problème avec le développement soutenable n’est pas tant avec le mot « soutenable » qui est plutôt une belle expression qu’avec le concept de développement qui est carrément un « mot toxique ».

En effet, le soutenable, si on le prend au sérieux, signifie que l’activité humaine ne doit pas créer un niveau de pollution supérieur à la capacité de régénération de la biosphère. Cela n’est que l’application du principe de responsabilité énoncé par le philosophe Hans Jonas : « Agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur la terre. » Toutefois, la signification historique et pratique du développement, liée au programme de la modernité, est fondamentalement contraire à la durabilité ainsi conçue. Seulement, toute l’idéologie et la pensée unique dominante s’efforcent avec un certain succès d’occulter cette réalité. La main invisible et l’équilibre des intérêts nous garantissent que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Pourquoi se faire du souci ?

En conséquence, la plupart des économistes, qu’ils soient libéraux ou marxistes, sont en faveur d’une conception qui permette au développement économique de perdurer. Pour les néo-classiques, le développement est presque naturellement durable. Certains économistes néo-classiques disent même avec un brin de provocation, mais non sans fondement, que ce sont eux les vrais partisans du développement durable, avec l’instauration des « droits à polluer » et la marchandisation de l’environnement. L’économiste, John Richard Hicks, avec sa conception du revenu sans atteinte au capital (y compris naturel...), serait ainsi, sans le savoir, le premier théoricien du développement durable ! Stephan Schmidheiny, animateur d’une association d’industriels sensibles à l’environnement, conseiller de Maurice Strong président du PNUE pour l’organisation de Rio 92, écrit « Le fonctionnement d’un système de marchés libres et concurrentiels, où les prix intègrent les coûts de l’environnement aux autres composants économiques, constitue le fondement d’un développement durable. » Toutefois, cette intégration se fait quasi naturellement par le jeu des raretés relatives, de la substitution totale capital/nature et de l’écoefficience. Les documents du Business Action for Sustainable Development (BASD) sur ce point sont édifiants. « Le développement durable est réalisé au mieux grâce à une concurrence ouverte au sein de marchés correctement organisés qui respectent les avantages comparatifs légitimes. De tels marchés encouragent l’efficience et l’innovation qui sont toutes nécessaires à un progrès humain durable. » « La principale contribution du monde des affaires au développement durable, lit-on encore, sur laquelle nous avons travaillé depuis une décennie, est l’éco-efficience, un terme que nous avons inventé en 1992. »

Le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD) définit l’éco-efficience comme étant « accomplie par la livraison de biens et de services à des prix concurrentiels qui satisfont les besoins humains et apportent une qualité de vie, tout en réduisant progressivement l’impact écologique et l’intensité du prélèvement des ressources naturelles pour atteindre un niveau compatible au minimum avec la capacité reconnue de charge de la planète [38] . »

Or, les faits sont têtus : la baisse de l’intensité en ressources naturelles est indéniable mais elle est malheureusement plus que compensée par l’augmentation générale de la production, et, ainsi, la ponction sur les ressources et la pollution continuent d’augmenter, comme le reconnaît le rapport du Programme des Nations unies pour le Développement « Partout dans le monde, les processus de production sont devenus plus économes en énergie depuis quelques années. Cependant, vu l’augmentation des volumes produits, ces progrès sont nettement insuffisants pour réduire les émissions de dioxyde de carbone à l’échelle mondiale [39] . » Au bout du compte, comme le reconnaît Michel Petit, expert du Groupe international d’experts sur le climat (GIEC), membre du Conseil général des technologies de l’information : « Le modèle de développement suivi par tous les pays jusqu’à aujourd’hui est fondamentalement non durable, au-delà des arguties qui entourent le concept de développement durable [40] . »

Pour les économistes hétérodoxes, quand ils ne tombent pas dans le piège de la définition mythique du développement, les choses sont moins simples, mais l’objectif reste le même. Ainsi, l’économiste marxiste, Gérard d’Estanne de Bernis déclare : « On ne fera pas ici de sémantique, on ne se demandera pas non plus si l’adjectif « durable » (soutenable) apporte quoi que ce soit aux définitions classiques du développement, tenons compte de l’air du temps et parlons comme tout le monde. [...] Bien entendu, durable ne renvoie pas à long, mais à irréversible. En ce sens, quel que soit l’intérêt des expériences passées en revue, le fait est que le processus de développement de pays comme l’Algérie, le Brésil, la Corée du Sud, l’Inde ou le Mexique ne s’est pas avéré « durable » (soutenable) les contradictions non maîtrisées ont balayé les résultats des efforts accomplis, et conduit à la régression [41] . »

Effectivement, le développement étant défini par Rostow comme self-sustaining growth (croissance auto-soutenable), l’adjonction de l’adjectif « durable » ou « soutenable » à développement est inutile et constitue un pléonasme [42] . C’est encore plus flagrant avec la définition de Mesarovic et Pestel [43] . Pour eux, c’est la croissance homogène, mécanique et quantitative qui est insoutenable, mais une croissance « organique » définie par l’interaction des éléments sur la totalité est un objectif supportable. Or historiquement, cette définition biologique est précisément celle du développement ! Les subtilités d’Herman Daly, tentant de définir un développement avec une croissance nulle ne sont tenables ni en théorie, ni en pratique [44] .

Comme le note Nicholas Georgescu-Roegen : « Le développement durable ne peut en aucun cas être séparé de la croissance économique. [...] En vérité, qui a jamais pu penser que le développement n’implique pas nécessairement quelque croissance [45] ? » En tout cas, par pour François Perroux, celui qui a pourtant poussé le plus loin l’opposition entre la croissance et le développement. « Il est donc peu contestable que la grandeur la plus propre à renseigner sur le bien-être d’une population est le produit national net au prix du marché », écrivait-il en 1949 dans « Les comptes de la nation ». Il ajoutait, il est vrai, que pour cela il faut un certain nombre de conditions qui ne sont pas remplies [46] . Pas, non plus, pour les auteurs du rapport Brundtland qui ont lancé l’expression. Pour eux, il n’y a aucun doute : « Aujourd’hui, ce dont nous avons besoin, c’est une nouvelle ère de croissance, une croissance vigoureuse et, en même temps, socialement et environnementalement soutenable [47] . » Ils proposent un chiffre de croissance annuel de 5 à 6 % pour les pays en développement et de 3 à 4 % pour les pays industrialisés [48] .

D’une certaine façon, Ignacy Sachs en tire la conclusion logique sur l’inutilité ou la redondance du qualificatif. « Le moment est venu, peut-être, de proposer une révolution sémantique et de revenir au terme « développement » sans aucune qualification, à condition bien entendu de le redéfinir en tant que concept pluridimensionnel [49] . »

En fait, les caractères durable ou soutenable renvoient non au développement « réellement existant » mais à la reproduction. La reproduction durable a régné sur la planète en gros jusqu’au XVIIIe siècle il est encore possible de trouver chez les vieillards du tiers-monde des « experts » en reproduction durable. Les artisans et les paysans qui ont conservé une large part de l’héritage des manières ancestrales de faire et de penser vivent le plus souvent en harmonie avec leur environnement ; ce ne sont pas des prédateurs de la nature [50] . Au XVIIe siècle encore, en édictant ses édits sur les forêts, en réglementant les coupes pour assurer la reconstitution des bois, en plantant des chênes que nous admirons toujours pour fournir des mâts de vaisseaux trois cents ans plus tard, Colbert se montre un expert en « sustainability ». Ce faisant, ces mesures vont à l’encontre de la logique marchande.

Voilà, dira-t-on, du développement durable ; mais alors, il faudrait le dire aussi des pratiques de tous ces paysans qui plantaient de nouveaux oliviers et de nouveaux figuiers dont ils ne verraient jamais les fruits, mais en pensant aux générations suivantes, et cela, sans y être tenu par aucun règlement, tout simplement parce que leurs parents, leurs grands-parents et tous ceux qui les avaient précédés avaient fait de même [51] . Bien évidemment, cette conduite prudente n’a rien à voir avec le développement réellement existant.

Finalement, le développement durable est suspect a priori parce qu’il fait l’unanimité. Les signataires de l’appel d’Heidelberg comme leurs adversaires, par exemple, en font un article de foi [52] .

Une clef qui ouvretoutes les portes est une mauvaise clef. Un concept qui satisfait le riche et le pauvre, le Nord et le Sud, le patron et l’ouvrier, etc., est un mauvais concept. Chacun y met ce qu’il veut, et pendant qu’on investit ses espoirs dans les mots, les pratiques se chargent de vous détrousser et de vous étrangler. Le socialiste, ami de Marx, August Bebel, avait coutume de se demander quelle sottise il avait pu dire quand la bourgeoisie l’applaudissait au Reichstag. Les antimondialisation qui préconisent un développement durable devraient être amenés à se poser des questions en voyant que le président Jacques Chirac crée un ministère qui reprend cet intitulé et que Michel Camdessus, l’ancien président du Fonds monétaire international, signe un manifeste pour un développement soutenable qui circule parmi les célébrités, que les plus grands pollueurs de la planète comme British Petroleum, Total-Elf-Fina, Suez, Vivendi, mais aussi Monsanto, Novartis, Nestlé, Rhone-Poulenc, etc., sont les plus grands défenseurs du développement soutenable et les grands gagnants (d’ailleurs pratiquement les seuls) de Johannesburg.

On peut donc dire qu’en accolant l’adjectif « durable » au concept de développement, on ne fait qu’embrouiller un peu plus les choses. Il est plus que douteux que cela suffise à résoudre les problèmes. C’est pourquoi, en fin de compte, le développement durable, cette contradiction dans les termes, est terrifiant et désespérant ! Au moins avec le développement non durable et insoutenable, on pouvait conserver l’espoir que ce processus mortifère aurait une fin. Il s’arrêterait un jour, victime de ses contradictions, de ses échecs, de son caractère insupportable et du fait de l’épuisement des ressources naturelles... On pouvait ainsi réfléchir et travailler à un après-développement moins désespérant, bricoler une post-modernité acceptable. En particulier, réintroduire le social et le politique dans le rapport d’échange économique, retrouver l’objectif du bien commun et de la bonne vie dans le commerce social. Le développement durable nous enlève toute perspective de sortie, il nous promet le développement pour l’éternité ! Fort heureusement, le développement n’est pas durable.

Le développement alternatif

Il se trouve des esprits qui acceptent l’essentiel des analyses qui précèdent et donc des critiques du développement réellement existant et des développements adjectivés, et qui pourtant n’en continuent pas moins à aspirer à un autre développement [53] .

Et il est vrai qu’au nom du développement « alternatif » on propose, parfois, d’authentiques projets antiproductivistes, anticapitalistes très divers qui visent à éliminer les plaies du sous-développement et les excès du mal-développement ou plus simplement les conséquences désastreuses de la mondialisation. Il faut mettre les points sur les i. Ces projets d’une société conviviale n’ont pas plus à voir avec le développement que « l’âge d’abondance des sociétés primitives [54] » ou que les réussites humaines et esthétiques remarquables de certaines sociétés préindustrielles qui ignoraient tout du développement [55] .

Pour démasquer cette résurgence du mythe, il est peut-être utile de faire retour sur notre propre histoire. En France même, nous avons eu nous aussi notre expérience en vraie grandeur d’un développement alternatif quoiqu’on n’en parle jamais sous cet angle-là. Il s’agit de la modernisation de l’agriculture entre 1945 et 1980, telle qu’elle a été programmée par des technocrates humanistes et mise en oeuvre par des ONG chrétiennes, jumelles de celles qui sévissent dans le tiers-monde, la Jeunesse agricole catholique JAC), puis le Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA)créés sous l’impulsion de missionnaires jésuites dont le slogan était « la charité doit se faire technicienne [56] ».

On a assisté à la mécanisation, la concentration, l’industrialisation des campagnes, à l’endettement massif des paysans, grâce aux mutuelles agricoles, au crédit coopératif, au développement des Groupements agricoles d’exploitation en commun (GAEC) et autres formes d’exploitation collective. En vingt ans, de 1960 à 1980, la production a été multipliée par trois, mais la population paysanne a été dans le même temps divisée par quatre, et ce n’est pas fini... Cet exploit a été possible, entre autres grâce à l’emploi massif de pesticides et d’engrais chimiques. Les syndicalistes bretons de choc, chrétiens et humanistes, Gorvennec et Leon, qui mettaient du fumier devant les préfectures, dans les années 1960, sont devenus les plus gros producteurs de lisiers de porc et les champions de la « mal-bouffe »... Résultat : 98 % des communes rurales en Bretagne n’ont plus d’eau potable.

L’affaire n’a pas été trop traumatisante, encore que c’est chez les paysans que le taux de suicide est le plus élevé ; elle n’a pas alerté les organismes d’aide d’urgence, parce que le peuple des campagnes s’est recyclé tant bien que mal dans l’industrie des Trente Glorieuses. Il n’en demeure pas moins, qu’on s’en réjouisse ou non, que sans la lutte courageuse de José Bové avec la Confédération paysanne, et de ceux qui les ont précédés (en particulier, Bernard Lambert), l’agriculture de proximité aurait disparu. Si le miracle industriel n’avait été qu’un mirage, on aurait eu là tous les ingrédients d’une situation de développement intégré (une des formes de l’alternatif) dans le tiers-monde.

Le combat actuel pour la survie d’une agriculture paysanne et pour une alimentation saine aurait tort de se ranger sous les bannières du développement qui est son adversaire irréductible (même avec l’ajout de 1’adjectif « local » ou « durable »). il s’agit bien plutôt d’une alternative au développement ou de la construction d’un après-développement et d’une décroissance soutenable.

Admettons même que l’on prenne au sérieux le mythe du développement et qu’on cherche à réaliser à la lettre ce qualificatif d’« alternatif », l’épanouissement « de tout homme et de tout l’homme » exigerait de tout changer dans le développement au point de n’y plus rien reconnaître. En effet, il faudrait nécessairement une technologie elle aussi autre et, par exemple, appropriée, pour sortir du technicisme de la société technicienne. Il faudrait une autre économie bien sûr, avec une autre rationalité plus raisonnable que rationnelle. Il faudrait un autre savoir, une autre vision de la science que notre technoscience prométhéenne aveugle et sans âme. Il faudrait sans doute une autre conception du progrès, une autre conception de la vie (et de la mort par la même occasion), une autre conception de la richesse (et aussi de la pauvreté...). Tout cela supposerait probablement une autre conception du temps qui ne soit plus linéaire, cumulatif, continu, etc. Pourquoi pas une autre conception de l’espace, d’autres rapports entre les générations, entre les sexes, etc. C’est donc bien finalement d’une alternative au développement réellement existant qu’il s’agit, bien plus que d’un autre développement, autre développement conçu comme le même simplement revu et corrigé.
Descriptif : Extrait du livre : Survivre au développement, Ed. Mille et une nuits.

[1] « L’idée moderne de croissance a été formulée il y a environ quarre siècles en Europe, quand l’économie et la société ont commencé â se séparer » (Henry Teune, Growth, Londres, Sage Publications, 1988, p. 13).

Mais, ajoute justement Takis Fotopoulos, il n empêche que « l’économie de croissance elle-même (définie comme le système d’organisation économique orienté, soit objectivement, soit délibérément vers la maximisation de la croissance économique) est apparue bien après la naissance de l’économie de marché du début du XIX siècle et ne s’est épanouie qu’après la Seconde Guerre mondiale » (Takis Fotopoulos, Vers une démocratie générale, Paris, Seuil, 2002, p. 31).

[2] Marc Poncelet, Une utopie post-tiersmondiste, la dimension culturelle du développement, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 76. « La dimension culturelle, note Marc Poncelet, semble conférer une dimension humaine à une problématique trop sèchement environnementaliste. Elle procure un supplément d’âme, un entregent social, une profondeur philosophique aux indicateurs humains » (ibid., p. 21).

[3] « Pour une convivialité équitable et autonome, en paix avec la planète, document de travail », Madrid, p. 6, repris dans : FMI, Banco Mundial y GA TT. 50 anas bastan. El libro del Foro Alternauvo : Las otras voces deiplaneta, Madrid, Èd. Talasa, 1995.

[4] Jean Aubin, Croissance : l’impossible nécessaire, Planète bleue, Le Theil, 2003, p. 144.

[5] Ignacy Sachs, op. cit., p. 53.

[6] Avec en patticulier une contribution remarquable de Ginsberg au titre éloquent : « Towards a theory of Social developpement. : the growth of rationality »

[7] Georges Canguilhem, Études d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin, 1970, p. 115.

[8] Dans le rapport de Lawrence Salmen de la Banque mondiale du 29 août 1991, on peut lire p. 4 : « Durant les deux premières décennies de son existence, la Banque mondiale tendait à identifier le développement avec la croissance économique. Les bénéfices de la croissance étaient supposés se diffuser (ta trickle down), les pauvres bénéficiant automatiquement des créations d’emplois et de la production accrue des biens et services. »

[9] Édouard Parker, Objecuflo%, Paris, Critérion, 1994, 304 p.

[10] PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, Paris, Economica, 1992, p. 1.

[11] PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, Paris, Economica, 1999.

[12] Robert Chambers, Poverty and livelihoods, PNUD, Copenhague, 1995.

[13] Voir Gérard Azoulay, « La pauvreté, le nécessaire, le besoin », suivi par « Besoins et apports nutritionnels », notes de travail GRAEEP, Sceaux, 1994.

[14] Gilles Séraphin, « L’indicateur du développement humain », note GRAEEP, Sceaux, 1994.

[15] Gilles Séraphin, Les Concepts de « science » et « technique » au sein de l’t>Tnesco, mémoire IEDES, 1994, p. 81.

[16] PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, Paris, Economica, 1992, pp. 38-39.

[17] E. Cane et J. Rawe, Time dollars, Emmanus, Pennsylvania, Rodale Press, 1992.

[18] Perry Walker et Edward Goldsmith, « Une monnaie pour chaque communauté« , Silence, n° 246-247, aoùt 1999, p. 19

[19] Cité par Luisa Bonesio, « Paysages et sens du lieus », Éléments, n° 100, mars 2001. « Une réponse â la mondialisation le localisme » .

[20] Aiberto Magnaghi, llprogetto locale, Turin, Bollati Boringliieri, 2000. Traduction française Le Projet local, Sprimont, Belgique, Architecture + Recherches/Mardaga, 2003.

[21] Louisa Bonesio, « Paysages et sens du lieu », op. cit.

[22] Voir Geneviève Azam, « Nouveaux paradis fiscaux », Politis, 8 mai 2003.

[23] « Il ne peut y avoir de doute, le développement durable est une des recettes des plus toxiques ».

[24] On trouve aussi « fiable », « viable » , « vivable ». L’économie étant une religion dont la langue sacrée est 1’anglo-saxon, la traduction des termes économiques met les experts à la torture. Jean-Marie Harribey, dans un mémoire de DEA sur le concept de développement durable (Bordeaux-I, 1993) propose même « développement soutenable durablement ». La trouvaille plutôt heureuse d’ »écodéveloppement » utilisée pour la première fois lors de la conférence sur l’environnement de l’ONU tenue a Stockholm en 1972 et reprise dans la déclaration de Cocoyoc par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) en 1974 n’ayant pas été retenue, c’est le sustainable development qui s’est imposé quinze années après.

[25] Catherine Aubertin, « Johannesburg : retour au réalisme commercial » , Écologie et politique, n° 26, 2002. La formule est peut-être de Dominîque Plihon, actuel président du conseil scientifique d’Attac qui l’utilise sans guillemets et au premier degré dans « Une autre mondialisation » , Revue du MAUSS, n° 20, 2 semestre 2002, p. 108.

[26] J. Pezzey, « Economie analysis of sustainable growth and sustai-nable development », World Bank, Environment Department, Working Paper, n° 15, 1989.

[27] Christian Comeliau, « Développement du développement durable, ou blocages conceptuels ? », Tiers-Monde, n° 137, janvier-mars 1994, pp. 62-63.

[28] C’est aussi la conclusion d’Alain Ruellan, rejoignant les positions d’Ignacy Sachs et d’Attac (voir chapitre 1). « Nombreux sont aujourd’hui les scientifiques, les philosophes et les politiques qui estiment qu’il y a incompatibilité et qu’il faut chercher d’autres modèles de développement. Lesquels ? Des travaux sont à mener » (Alain Ruellan, Tiers-Monde, n° 137, op. cit., p. 179). Après plus de cinquante ans de recherches, c’est à désespérer !

[29] « Il y a, en effet, un autre sens - dangereux - qui peut être donné à soutenable. Ce sens se réfère non à la durabilité de la nature, mais bien à celle du développement lui-même s. Il s’agit s d’un glissement désastreux du sens de « sustainability » » (Vandana Shiva, Resources, in « The Development Dictionary », Londres, Zed Books, 1991, p. 217).

[30] Cité par Jean-Marie Harribey, L’Économie économe, Paris, L’Harmattan, 1997.

[31] Cité par Jean Aubin, op. cit, p. 142.

[32] Marie Dominique Perrot, « Anarchipel de la pensée ordinaire », in Si..., regards sur le sens commun, Jacques Hainard et Roland Kaehr éd., Neuchâtel, Musée d’ethnographie, 1993, p. 79.

[33] Ibid., p. 83.

[34] Green Magazine, mai 1991. Cet exemple, comme les précédents, est tiré de Hervé Kempf, L’Économie à l’épreuve de l’écologie, Paris, Hatier, coll. « Enjeux », 1991, pp. 24-25.

[35] P. J. Mol, « Ecological Modernization : Industrial Transformations and Environmental Reform », in Redehif, Woodgate, The International Handbook ofEnvironmental Sociology.

[36] Changer de cap, Paris, Dunod, 1992, p. 1l. On sait que la Banque mondiale qui finance la plupart des projets agréés par le Fond des Nations unies pour l’Environnement n’est pas en reste. « Une gestion prudente de l’environnement est un fondement du processus de développement. »

[37] On y trouve la plupart des responsables de la dégradation de notre écosystème : Areva, Michelin, Suez, Texaco, Dupont, AOL-Time-Wamer, etc.

[38] « Sustainable development is best achieved through open, competitive, rightlyframed international markets that honor legitimate comparative advantages. Such markets encourage efficiency and innovation, both necessities for sustainable human progress. » « The basic business contribution to sustainable developpement, one we have worked on for a decade, is eco-efficiency, a term we invented in 1992 ». The WBCSD defines eco-efficiency as being s achieved by the delivery of competitively priced goods and services that satisfy human nedds and bring quality of life, while progressively reducing ecological impacts and resource intensity throughout the life cycle, to a level at least in line with the Earth’s estimated carrying capacity (The Business Case for Sustainable Development, document du WBCSD pour Johannesburg).

[39] PNUD, Rapport mnondial sur le développement humain, Bruxelles, Dc Boeck, 2002, p. 28.

[40] Cité par Jean-Pierre Dupuy Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain. Seuil, Paris 2002, p. 30.

[41] Gèrard de Bernis, « Développement durable et accumulation », hors-Monde, n0 137, op. cri., p. 96.

[42] « En un premier sens traditionnel, le développement économique est une croissance du revenu par téte durable ou auto-entretenue largement diffusée dans les différentes couches de la population ». Dictionnaire des sciences économiques (sous la direction de Claude Jessua, Christian Labrousse, Daniel Vitry et Damien Gaussion) PUF, Paris 2001.

[43] Mesarovie et Pestel, Strategie per sopravvivere, Milan, Monda-don, 1974.

[44] Une augmentation du revenu (au sens Hicksien) sans atteinte au capital naturel permettrait d’affirmer qu’une croissance soutenable est une contradiction dans les termes, pas un développement durable. Voir Gianfranco Bologna et ahi, « Italia capace di futuro », WwF-EMI, Bologne, 2001, pp. 32 sq.

[45] Nicholas Georgescu-Roegen, « An Emigrantfrom a Developing Cauntrv. Autobiographical Notes I », in J. A. Kregel (ed.), Recollections ofEminent Economists, Londres, Macmillan, 1989, p. 14, cité zn Bonaiuti, op. cît., p. 54.

[46] Cité par Bemard Maris dans son Anti-manuel d’économie, Paris, Bréal, 2003, p. 99.

[47] Rapport Brundtland, Notre avenir à tous, Montréal, Éd. du Fleuve, 1987, p. xxiii.

[48] Franck-Dominique Vivien, s Histoire d’un mot, histoire d’une idée : le développement durable à l’épreuve du temps », in Le Développement durable de l’utopie au concept, Paris, Éditions scientifiques et médicales Elsevier, 2001, p. 58.

[49] I. Sachs, op. cit., p. 54. Il ajoute : s C’est l’occasion d’approfondir le concept de développement » (ibid., p. 60).

[50] En dépit de la coquetterie que l’on se donne de contester la sagesse des « bons sauvages » celle-ci se fonde tout simplement sur l’expérience. Les « bons sauvages » qui n’ont pas respecté leur éco-système ont disparu au cours des siècles...

[51] Cette observation de Castoriadis rejoint la sagesse millénaire évoquée déjà par Cicéron dans le De senectute. Le modèle du « développement durable » mettant en oeuvre le principe de responsabilité est donné par un vers cité par Caton : « Il va planter un arbre au profit d’un autre âge. » Il le commente ainsi : « De fait, l’agriculteur, si vieux soit-il, à qui l’on demande pour qui il plante, n’hésite pas à répondre : « Pour les dieux immortels, qui veulent que, sans me contenter de recevoir ces biens de mes ancêtres, je les transmette aussi à mes descendants » », (Cicèron, Caton l’ancien (de la vieillesse), v’I-24, Paris, Les Belles Lettres, 1996, p. 96).

[52] Appel d’Heidelberg : « Nous attirons l’attention de tous sur l’absolue nécessité d’aider les pays pauvres à atteindre un niveau de développement durable et en harmonie avec celui du reste de la planète, de les protéger contre les nuisances provenant des nations développées, et d’éviter de les enfermer dans un réseau d’obligations irréalistes qui compromettrait à la fois leur indépendance et leur dignité. » Contre-appel des scientifiques français intitulé « Appel à la raison pour une solidarité planétaire » « Nous affirmons au contraire la nécessité de prendre pleinement en compte l’ensemble des critères culturels, éthiques, scientifiques et esthétiques pour engager le monde dans la voie d’un développement équitable et durable. » Et comme si ce n’était pas suffisant, on ajoute « faire reculer la pauvreté dans le monde et promouvoir un développement diversîfié et durable des sociétés humaines dans le respect de l’environnement » (cela n’allait pas de soi, par conséquent...) ; Archimède et Léonard, n°10, hiver 1993-1994, pp. 90 et 91.

[53] « Le mot développement, écrit Bertrand Cabedoche en conclusion de son livre, Les Chrétiens et le Tiers-Monde (Paris, Cardiala, 1990, p. 255), a pu perdre de son attrait au contact de trop d’expériences décevantes. Il reste le seul vocable que partagent tous les humains pour dessiner leur espoir. »

[54] Marshall Saîhins, Âge de pierre, âge d’abondance, Paris, Gallimard, 1972.

[55] Dans plusieurs sociétés africaines, le mot même de développement n’a aucun équivalent dans la langue locale parce que l’imaginaire qui institue la chose fait largement défaut.

[56] « Des paysans ont osé. Histoire des mutations de l’agriculture dans une France en modernisation. La révolution silencieuse des années cinquante », Fondation pour le progrès de l’homme, octobre 1993.


Voir en ligne : http://reseaudesbahuts.lautre.net/a...