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Herbert Marcuse contre la société unidimentionnelle et pour le socialisme.

vendredi 11 janvier 2019, par Amitié entre les peuples

Herbert Marcuse contre la société unidimentionnelle et pour le socialisme.

remise en ligne de ce texte publié en 2010 :

Herbert Marcuse, les besoins et le socialisme. sur dazibaoueb.fr (multi-web disparu depuis plusieurs années)

Reprise (le 14 juillet 2010) de « Herbert Marcuse, le »faux intérêt général« et le socialisme » sur Le Post

XX

Les propos qui suivent sont tirés de L’homme unidimensionnel (1) d’Herbert Marcuse (2). Ils diffèrent d’une certaine lecture présentant l’auteur en critique « du négatif » agissant simplement du côté de la consommation, des médias, notamment celle lu sur wikipédia à propos de cet ouvrage. La lecture de L’homme unidimensionnel permet certes la critique du formatage de masse des individus autour d’un imaginaire capitaliste entretenu et reproduit par les entreprise de publicité, de marketing, etc. Cela n’est pas rien. Hannah Arendt et son ouvrage Condition de l’homme moderne ou Castoriadis peuvent venir compléter la démonstration. Marcuse, Arendt et Castoriadis sont en effets les principaux intellectuels appuyant la critique antiproductiviste du XXI ème siècle. Mais ces auteurs ont peu défendu l’idée d’un nécessaire écosocialisme. Annie Coll (3) a démontré qu’Arendt suivait Marx pour un « très possible communiste ». Castoriadis a plus longuement défendu la nécessité du socialisme contre la barbarie. Quid de Marcuse ?

S’agissant de Marcuse, on observera que son questionnement sur l’individualité aliénée et l’existence inauthentique ne part pas des rapports sociaux qui pourtant déterminent une grande part de la socialité des humains. C’est la critique que faisait déjà Jean-Marie Vincent en 1976 dans sa Théorie critique de l’Ecole de Francfort (p50). Les œuvres d’Herbert Marcuse sont de ce fait d’un niveau d’abstraction assez élevé mais « L’homme unidimensionnel » est sans doute l’un des ouvrages le plus aisé à lire et toujours d’actualité. Pour autant il est faux de dire que ce dernier ne pense pas à la perspective socialiste authentique, non stalinienne, pour sortir du capitalisme de son temps.

* L’ uniformisation économico-technique façonne l’homme unidimensionnel.

L’homme unidimensionnel est l’humain produit par la société industrielle. D’après ce qu’en dit le philosophe, cet humain est contrôlé par la technologie plus qu’il ne la contrôle. Cette société a des aspects totalitaires qui passent par la technologie. Quarante ans plus tard la technologie a fait une montée en force que l’auteur ne pouvait deviner, notamment dans la dernière décennie. La culture même s’est industrialisée.

Par rapport à cette société, que nous dit Herbert Marcuse. Si l’on reprends quelques uns des titres de l’ouvrage on trouve le fil de son propos : L’engourdissement de la critique : une société sans opposition , l’enfermement de l’univers politique , la conquête de la conscience malheureuse : une désublimation répréssive , l’univers du discours clôt, etc... On voit que la thématique totalitaire de la société unidimentionnelle est transversale à tout l’ouvrage qui tantôt évoque l’occident tantôt l’URSS stalinienne. « Le totalitarisme n’est pas seulement une uniformisation politique terroriste, c’est aussi une uniformisation économicio-technique non terroriste qui fonctionne en manipulant les besoins au nom d’un faux intérêt général. » (p29)

* Formatage et manipulation des besoins et faux intérêt général (celui de la reproduction de la consommation de masse).

Herbert Marcuse ne distingue pas ce qui vise à satisfaire avant tout la réalisation du profit via le marché de ce qui conduit à la satisfaction immédiate des besoins sociaux via les services publics quitte à porter ensuite un regard critique sur ces besoins. Non, il porte d’emblée sa critique sur les besoins. Sa problématique de fond est l’aliénation.

Cela était présent dans ses ouvrages antérieurs notamment Eros et civilisation (1955 aux USA). Son approche critique est cependant différente : « Nous pouvons distinguer de vrais et de faux besoins. Sont »faux« ceux que les intérêts sociaux particuliers imposent à l’individu : les besoins qui justifient un travail pénible, l’agressivité, la misère, l’injustice ». (p30) « En dernière analyse, ce sont les individus eux-mêmes qui doivent répondre à la question sur les vrais et faux besoins, mais seulement en dernière analyse, c’est à dire quand ils seront libres de donner leur propre réponse. » (p31) Mais l’auteur va plus loin : « Tant qu’on les prive d’autonomie, tant qu’ils sont endoctrinés et conditionnés (même au niveau de leurs instincts) la réponse qu’ils donnent à cette question ne peut être considérée comme la leur ». Ce propos est limité par celui-ci : « Pour la même raison, cependant, aucun tribunal ne peut s’attribuer le droit de désigner les besoins qui doivent être développés et satisfaits ». (p32)

Ici Marcuse aurait précisément pu ouvrir un questionnement sur ce qui conduit à la production infini d’objet pas nécessairement utiles alors que dans le même temps des services dès plus utiles étaient eux jugés couteux. Distinguer économie marchande et service public était possible sans développer une théorisation économique. L’auteur, qui ne développe pas une analyse critique marxiste contre le capitalisme, pouvait néanmoins à partir de ses propres considérations sur l’emprise de la rentabilité voir que l’économie de marché posait des filtres pour empêcher certaines productions - les biens et services non rentables - et pour en favoriser d’autres : les marchandises. Et ce d’autant plus qu’il critique l’intégration des syndicats et « des partis communistes »condamnés« à être non radicaux » (p47).

Il faut modérer cette critique dans la mesure ou l’auteur ne craint pas d’aborder les caractéristiques de la « première phase » du socialisme en s’appuyant sur la Critique du programme de Gotha et d’Erfurt de Marx. Il dit ceci :« C’est une société dans laquelle ces mêmes producteurs, autrefois simples objet du »produire d’abord« , deviennent des individus humains qui planifient et qui utilisent les instruments de leur travail pour réaliser leurs propres besoins et leurs facultés. » (p67). (4)

Herbert Marcuse oppose le socialisme humains de planification contrôlée à la « société communiste d’aujourd’hui » (stalinienne) qui est à l’opposé de cette conception. Le socialisme authentique libérateur des instruments de mise en esclavage ne s’accommode ni de « l’industrialisation stalinienne » ni de la société capitaliste américaine.

* Portée d’une critique

La théorie critique de la société dit l’auteur ne possède pas de concepts qui permettent de franchir l’écart entre le présent et le futur ; elle ne fait pas de promesse ; elle n’a pas réussi ; elle est restée négative. Elle peut ainsi rester loyale envers ceux qui, sans espoir, ont donné et donnent leur vie au Grand Refus. Au début de l’ère fasciste, Walter Benjamin écrivait : « Nur um des Hoffnungslosen willenist uns die Hoffnung zegeben » . « C’est seulement à cause de ceux qui sont sans espoir que l’espoir nous est donné. » Le voilà repris par Herbert Marcuse pour clore la conclusion de L’homme unidimensionnel. Pour notre part nous retiendrons une autre phrase de l’auteur : « Le fait de pouvoir élire librement des maîtres ne supprime ni les maîtres ni les esclaves. » (p33) Ce qui pose la question de l’alterdémocratie, de la démocratie socialiste.

Christian Delarue

1) Le sous titre de l’ouvrage publié en France par Les éditions de minuit en 1968 est Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée.

2) L’auteur sur wikipédia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Herbert_Marcuse

3) Le très « possible » communisme - Lecture croisée de Marx et Arendt par Annie COLL aux ed MLD

4) Une autre économie orientée vers le développement humain
mardi 28 février 2006

http://www.rennes-info.org/Une-autre-economie-orientee-vers.html

NB : Pour aller plus loin : MARCUSE AUJOURD’HUI. Patrice Deramaix.
http://patder.chez.com/marcus.htm