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Démocratie et Consensus de Washington. A Richez

mercredi 13 janvier 2010, par Amitié entre les peuples

Démocratie et Consensus de Washington.

Albert RICHEZ membre d’ATTAC décédé en septembre 2009

Il s’agit ici d’une partie d’un texte collectif pour la commission « Démocratie » d’ATTAC France.

Dans bien des situations sociales actuelles, notamment lorsque des Services Publics sont remis en cause, l’essentiel du problème à résoudre pour les citoyens est bien une question de contrôle d’informations et de décisions, et donc « d’exercice de la démocratie ». Or, partout dans le monde, le glissement vers moins d’impact du politique sur l’économique est devenu une constante depuis une vingtaine d’années.

Essayons de comprendre pourquoi :

A partir de la crise de 1929, les politiques économiques des Etats sont devenues keynésiennes. Après l’analyse de la grande crise, le grand économiste Keynes avait, en effet, compris qu’un excès de monnaie avait fatalement des conséquences négatives : inflation, surproduction puis chômage. Les Etats devaient devenir plus régulateurs en ponctionnant les surplus de monnaies issus des bénéfices de production générées par l’association Capital/Travail pour lancer des politiques sociales audacieuses et des grands travaux, qui bénéficieraient à tous. Ceci a donné lieu alors à une revalorisation des revenus du Travail par rapport à ceux du Capital ; à terme, cette politique pouvait porter un coup fatal au Capital, ce qu’implicitement Keynes acceptait, mais que, bien sûr, les tenants du Capital refusaient. D’où, de la part des représentants du Capital, dès les années 44-45, le lancement de travaux de recherches universitaires en macro-économie pour envisager les remèdes pour enrayer ce processus de décroissance du Capital par rapport au Travail : l’Ecole de Chicago avec Milton Friedman, celle du Mont-Pèlerin avec Friedricht Von Hayek relevèrent ce défi et inventèrent la théorie du néo-libéralisme (nouveau capitalisme, non plus industriel mais financier). Leurs conclusions furent expérimentées politiquement, notamment par les régimes politiques de Ronald Reeagan et de Margaret Thatcher ; et les conclusions de ces expériences aboutirent, lors d’un G7 à Washington, à la fin des années 80, à ce qu’il est convenu d’appeler le Consensus de Washington, destiné à être appliqué et généralisé partout dans le Monde. Depuis, c’est ce consensus qui régit le Monde.

Or, que préconise t’il ?

* Moins d’Etat : économique d’abord : il faut enlever à l’Etat et à toute collectivité citoyenne les leviers économiques qu’il détient ; politique ensuite : les citoyens doivent céder leur fonction de délégations, de suivi et de contrôle des décisions politiques à des experts, ce qui signifie moins de démocratie.

* Alors, la portée des règles économiques du « néo-libéralisme » apparaissent dans toutes leurs dimensions : 1 croissance économique maximale des entreprises, notamment multinationales ; 2 libre-échange tendant vers l’absolu ; 3 liberté de l’investissement et des mouvements de capitaux, qui ne connaissent plus de frontières ; 4 déréglementation et réduction du rôle de l’Etat, en termes de services publics et de fiscalités ; 5 privatisation des services publics (sauf ceux de la défense et de la police, qui appartiennent aux fonctions régaliennes de l’Etat) ; 6 maîtrise stricte de l’inflation par l’établissement et le maintien de taux d’intérêts élevés !

* Et ce sont ces règles qui, depuis, régissent les politiques des Etats.

* En matière de libre échange, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) jouent un rôle premier.

* En matière de Dettes et de prêts aux Etats en difficulté, des clubs fonctionnant de manière totalement opaque gèrent les éventuels rééchelonnements de dettes (ex du Club de Paris), tandis que le Fond Monétaire International (FMI) assure les prêts, à des conditions drastiques : ainsi le FMI impose des Plans d’Ajustement Structuraux (PAS) qui, pour rétablir l’équilibre budgétaire des Etats, effectuent des coupes sur les dépenses sociales et les moyens attribués aux services publics et remettent ainsi en cause l’existence de services comme ceux de la santé et de l’éducation.

* Il est à noter, par rapport au problème du contrôle citoyen précédemment posé, qu’avec le passage de l’institution GATT : (General Agreement on tariffs and trade) à l’OMC au 1° Janvier 1995, l’OMC étant extrait de l’Organisation des Nations Unies (ONU), dont le GATT dépendait, cette nouvelle institution échappe depuis aux règles humanitaires de l’ONU (Déclaration des droits de l’Homme) et subordonne le droit politique des Etats au droit commercial du « libre échange » entre organismes commerciaux dont l’OMC gère les intérêts. Mêmes procédures et conséquences pour le FMI, qui est sorti de l’ONU et qui, de plus, est complètement contrôlé, sur le plan statutaire, par les Etats Unis d’Amérique qui détiennent une minorité de blocage des décisions. De ce fait, les droits du travail (régis par l’Organisation Internationale du Travail), de respect de la santé (régis par l’Organisation Mondiale de la Santé) et de l’environnement ne sont plus des obstacles aux négociations commerciales libre échangistes. Et le droit commercial devient supérieur aux droits des Etats et aux règles démocratiques ; et ce droit est d’autant plus puissant que l’OMC s’est dotée d’un tribunal, l’Organe de Règlement des Différends (ORD), susceptible d’imposer des sanctions aux Etats ne respectant pas les négociations « libre échangistes ».

* Mais, ces orientations étant définies, entrons dans le détail des processus de libéralisation :

1° niveau de la « poupée gigogne » : l’Organisation Mondiale du Commerce :

En fait, à quoi sert l’OMC si ce n’est à satisfaire aux exigences des STN (Sociétés Trans Nationales), qui assurent les 2/3 du commerce mondial ! Ses règles sont conformes à l’idéologie néolibérale : le marché prime tout ; l’environnement, la démocratie, les lois sociales des Etats et même leur compétence à édicter des directives et des lois en matière économique et commerciale sont reléguées au second plan, relativement à l’impératif « d’un laisser faire - laisser passer » commercial intégral, qui permet aux STN d’obtenir des rendements majeurs avec des produits de moindre coût, les valeurs d’ajustement du marché étant des salaires bas, une protection sociale minimale, le recul des Services Publics et un environnement totalement à disposition des prélèvements de matières premières nécessaires à la production et au marché ! Dans ce contexte, tous les services « libéralisés » sont fournis sur une base commerciale. Il n’y a plus de place pour la régulation démocratique et pour la péréquation dans les Services Publics pour établir une égalité des citoyens face aux aléas de l’existence. Et les règles de l’OMC concernent tous les niveaux de décisions dans un Etat donné, du municipal au national ! Elles concernent aussi, dans le cadre de l’AGCS, les 12 secteurs et 4 modes de production des services. Les règles de l’OMC s’appliquent donc, « a minima », à tous les secteurs de négociation commerciale qu’un pays a engagés !

Tous ces modes de fournitures de biens ont, bien sûr, toujours pour objet de viser la concurrence maximale dans la fourniture de ces biens ; ainsi, dans le mode 4, équivalent à la procédure européenne dite du « pays d’origine », initialement prévue dans la Directive Bolkestein, ce sont les travailleurs qui, disposant d’un salaire et d’une couverture sociale équivalents à celle de leur pays d’origine, pourront concurrencer leurs collègues de même spécialité dans leur pays d’accueil !

2° niveau de la « poupée gigogne » : La politique de l’Union Européenne ; elle fonctionne sur le même registre :

l’UE est caractérisée par ses orientations économiques : le traité de Rome, à fondement économique, était déjà orienté par le dogme de la libre concurrence ; mais c’est à partir de l’Acte Unique européen de 1986 et le traité de Maastricht surtout, que les outils politiques ont été mis en place pour appliquer cette orientation : la réalisation du grand marché intérieur passe par l’instauration des libertés de circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux, les instances dirigeantes européennes prétendant ainsi influer sur le taux de croissance, et créer plus d’emplois grâce à une compétitivité plus affirmée ; et la Commission Européenne est précisément chargée de mettre en place ce grand marché intérieur fondé sur la concurrence ; ceci a une incidence directe sur les SIEG (Services d’Intérêt Economiques Généraux, qui, en France, sont les Services Publics marchands), qui sont, les uns après les autres, segmentés puis mis en concurrence avec délégation de Services Publics à des entreprises privées, au risque de favoriser la pratique « d’écrémage » : le « secteur public » réalise les services « moins rentables », le « secteur privé » « les plus rentables », obligeant ainsi l’Etat à compenser les pertes du secteur public ; le siphonage des fonds publics est ainsi engagé au profit du secteur privé marchand ; et ces privatisations concernent tous les niveaux économiques, européens et nationaux ! En ce qui concerne les SIG (Service d’Intérêt Général, appelés en France SP non marchands), ils deviennent privatisables dès lors qu’existe, dans leur secteur (hôpital, éducation, université) une concurrence avec le secteur privé et deviennent, de ce fait, « marchands » : c’est à partir de là qu’il faut comprendre les réformes de l’Hôpital, de l’Ecole et des Universités. Et ceci ne limite pas l’action de l’UE aux SIEG et au SIG ; on pourrait, en effet, montrer ici qu’à l’interne, l’Union européenne mène une politique libre échangiste sur tous les secteurs d’activités, c’est à dire dans des domaines comme ceux de la concurrence du coût du travail et des fiscalités.

L’UE laisse donc l’écart s’accroître entre Etats et, à l’interne, dans chacun des pays ; ceux-ci se dressent alors les uns contre les autres des points de vue salarial, fiscal et social ; loin de créer un espace citoyen dans l’UE, le démantèlement social s’accroît ; et l’on connaît les conséquences d’une telle politique : pression sur les salaires et les fiscalités, chantages à l’augmentation du temps de travail contre l’absence de délocalisation, enfin définition de la valeur financière des Services Publics par leur coût commercial et, de moins en moins, par péréquation « politique ». Et, lorsque une directive « Services » se voit amputée de la notion de « pays d’origine », ce qui, théoriquement devrait permettre de protéger socialement un travailleur d’un pays moins nanti des contraintes sociales de son pays d’origine, la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) se charge de rétablir cette orientation défavorable aux travailleurs en ayant recours aux textes « libre échangistes » du Traité de Rome ; 4 arrêts récents de la CJCE en attestent.

Enfin, 3° étape de « la poupée gigogne », au niveau national, depuis les lois de décentralisation de 82 et quelque soit la « couleur » politique du gouvernement en place, l’on ne cesse d’ouvrir le capital des SP, de les libéraliser, voire même de les privatiser (ex de France Télécom au temps du gouvernement Jospin). Et ce au nom de la modernisation ou de la supériorité du management privé réputé plus efficace que celui, qualifié de « lourd », des Services privés : le discours inaugural du 1° Ministre L Fabius en 1983 est, à cet égard, très éclairant. Et l’on pourrait aussi citer, dans la même ligne de conduite, la circulaire du 1° Ministre M Rocard du 26 février 89 introduit la gestion « managériale » du privé dans le public afin de « restaurer la qualité et de s’ouvrir à la concurrence pour mieux servir le client ». C’est le début de l’ouverture à la concurrence des SP et de leur « braderie » à des intérêts particuliers, qui tourne le dos aux règles de la péréquation, qui permet de viser l’égalité républicaine et la continuité des SP sur tout le territoire ! …

Finalement, le néo libéralisme a réussi : l’approche « marchande » remplace le système public de la « péréquation » et l’expert a pris la place du citoyen, loin de tout esprit démocratique. Et le système ainsi décrit n’est pas français mais mondial ! Albert Richez