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À propos des biens collectifs, communs et publics. Notes pour le CS d’ATTAC par JM Harribey

mercredi 24 novembre 2010, par Amitié entre les peuples

À propos des biens collectifs, communs et publics

Notes pour le Conseil scientifique d’Attac, 22 octobre 2010
Jean-Marie Harribey

L’émergence des biens communs renouvelle l’approche en termes de biens publics et de bienscollectifs, mais il subsiste un énorme flou conceptuel. J’examine deux questions dans ces brèves notes. L’une concerne comment le courant néo-institutionnaliste réinterprète le droit de propriété. L’autre recherche une typologie conceptuelle.

1. Néo-institutionnalisme et droit de propriété

Que peut-on dire de l’approche des biens communs d’Elinor Ostrom dont le livre Gouvernance des biens communs vient d’être traduit en français ?1
La problématique se situe dans le cadre néo-classique rénové par le courant néoinstitutionnaliste cherchant l’optimisation économique par la réduction des coûts de transaction, lesquels sont inévitables en situation d’information imparfaite. Cette problématique s’oppose à la
thèse de la « tragédie des biens communs » de Garret Hardin qui avait soulevé le problème des passagers clandestins.
Ostrom récuse le dilemme résolution par le marché ou par l’État. Elle cherche quelles sont les institutions que les acteurs se donnent pour résoudre leurs problèmes d’action collective dans un cadre auto-organisé et auto-gouverné. Elle veut « contribuer au développement d’une théorie valide au plan empirique des formes
d’auto-organisation et d’autogouvernance de l’action collective » (p. 40), de telle sorte que « les appropriateurs adoptent des stratégies coordonnées » (p. 54). Son objet d’étude : les ressources communes de petite échelle ; ressources renouvelables.

Hypothèses :
 Démarche individualiste : rationalité élargie.
 La connaissance des règles est totale pour chacun (p. 68).

La conclusion est que la solution trouvée est la meilleure possible : l’optimum est toujours au rendez-vous de la coordination. Ce n’est plus la main invisible du marché qui assure cette optimalité, ni même comme chez Rawls le contrat sous voile d’ignorance, c’est le jeu des
coordinations dans une communauté étroite.

Son premier terrain d’investigation (chapitre 3) révèle une première surprise : les droits d’accès aux communs restent souvent prisonniers des droits de propriété personnels.
Village de montagne suisse : gestion des alpages communaux. Le droit d’accès est proportionnel à la taille de la propriété personnelle.
Villages montagnards japonais : gestion des terres communales.
 Pour contrôler la démographie, droit d’accès par unité de ménage et non par personne.
 Système de contrôle strict pour éviter les infractions. Systèmes d’irrigation des huertas en Espagne.
 Dans la région de Valence, rotation d’accès à l’eau mais en fonction de la propriété.
 Dans la région d’Alicante, les droits d’accès à l’eau sont des titres négociables après venteaux enchères.

Il résulte de ces monographies que les rapports sociaux ne sont pas explicitement convoqués pour comprendre comment sont institués les systèmes de règles collectives. Or, si la problématique des biens communs/collectifs/publics s’oppose à celle des enclosures, ce n’est pas parce que, soudainement, la nature des biens aurait changé ; c’est parce qu’il s’est produit un changement dans les rapports de forces dont la sanction va être l’abolition d’anciennes règles et l’adoption de
nouvelles.

La permanence des règles institutionnelles dans le temps caractérise des sociétés pré-capitalistes dans lesquelles l’économie est encore encastrée, où la dynamique d’accumulation n’a pas vraiment
commencé.

D’ailleurs, les cas examinés dans le chapitre 4 du livre d’Ostrom se situent au XXe siècle aux Etats-Unis et les procédures de règlement des conflits se révèlent beaucoup plus complexes car elles sortent du cadre communautaire en faisant appel aux institutions étatiques. De plus, le droit de propriété s’apparente à un droit de prise, le droit du premier qui s’empare de l’eau, « premier arrivé, premier servi », dit-elle (p. 134).
L’impression finale est donc floue : la société existe-t-elle ou n’y a-t-il que des petites communautés, voire des sectes ?

2. Typologie conceptuelle

L’origine principale des confusions sémantiques à propos des concepts de bien commun, bien public, bien collectif tient à l’hésitation qui entoure les critères de démarcation entre eux.
La définition traditionnelle2 retient les critères de non-rivalité (indivisibilité de l’usage) et de non-exclusion par les prix (indivisibilité de l’offre) pour qualifier un bien de collectif (public good en anglais).
Mais comme la production de ces biens par le marché est sous-optimale à cause des passagers clandestins, l’État doit les produire. Ils sont donc considérés comme naturellement collectifs parce que leur coût marginal est nul.

Premier problème
Il existe des biens qui sont collectifs au sens précédent (non rivaux, non exclusifs) sans être fournis par la puissance publique. Un troisième critère se glisse donc ici, puisqu’il faut distinguer le caractère intrinsèque de ces biens et leur mode de production et/ou de gestion : privé ou public (public au niveau local, national-étatique ou éventuellement mondial). Cela ouvre la porte à la controverse concernant la notion de service d’intérêt général délégué à une entreprise privée que
l’Union européenne veut substituer à celle de service public.

Deuxième problème
L’impossibilité d’exclure quiconque par les prix ne peut plus être vue comme une contrainte technique intrinsèque au bien parce que cela peut évoluer par le fait d’une décision. Ainsi, comme le dit Alain Beitone, les autoroutes à péage devaient devenir libres une fois leur coût amorti mais le péage est resté bien après la fin de l’amortissement, alors que les routes nationales sont toujours gratuites.3
Le même problème se pose pour savoir s’il faut faire payer la musique, les films ou les livres téléchargés sur internet.
On en conclut que la non-exclusion qui caractérisait les pâturages communaux était le résultat d’une construction sociale et politique. De même les enclosures qui les ont fait disparaître furent une autre construction sociale.4

Troisième problème
Existe-t-il des biens naturels qui relèveraient d’emblée, « naturellement », du domaine « commun » ou du « collectif » ? Ou bien faut-il considérer que la reconnaissance de telle ou telle caractéristique est toujours une construction sociale ? Cette alternative est au coeur de beaucoup de discussions au sein de l’altermondialisme5.
Proposition de raisonner dans un espace à trois dimensions et non plus seulement deux :
 rivalité/non-rivalité
 exclusion/non-exclusion
 privé/public
Ce qui donne 23 possibilités d’idéal-type, numérotées de 1 à 8 dans le schéma ci-dessous..

voir le « cube » sur le pdf ainsi que les notes de référence et la suite de ce texte.