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1983 / 2013 (30 ans de statut) : Défendre et promouvoir le statut général des fonctionnaires - A Le Pors

samedi 13 juillet 2013, par Amitié entre les peuples

1983 / 2013 : 30 ANS DE STATUT DU FONCTIONNAIRE

Défendre et promouvoir le statut général des fonctionnaires

NB Cet article a été publié en 2003 (le 12/05/2003) par Anicet Le Pors.
(source ATTAC Fce)

Sous le thème de la « réforme de l’Etat » se développent une série d’opérations tendant à contester la conception française du service public et plus précisément le Statut général des fonctionnaires. La loi constitutionnelle de décentralisation met clairement en cause le principe d’unité et d’indivisibilité de la République.

Développée depuis une vingtaine d’années, la contractualisation tend à prendre le pas dans l’administration sur le pouvoir réglementaire. L’option du traité de Maastricht en faveur d’ « une économie de marché ouverte où la concurrence est libre » nourrit dans les services publics une idéologie managériale. Bref, c’est la conception française spécifique de l’intérêt général qui est battue en brèche. Mais avant d’avancer des propositions d’orientation pour la défense et la promotion de la conception républicaine de la fonction publique, il importe de rappeler les principes sur lesquels elle est fondée, les atteintes qui lui ont été portées au cours des vingt dernières années et les facteurs qui peuvent conditionner son avenir au cours des prochaines années.

1. Questions de principes

Les réformes mises à l’étude en 1981 ne tendaient pas à l’origine à la réforme d’ensemble qui devait aboutir en 1983-1984 au dispositif aujourd’hui en place, modifié, comme on le verra, à plusieurs reprises. L’intention était certes de revenir sur l’ordonnance du 4 février 1959, non de procéder à une refonte complète du Statut. Mais l’élaboration parallèle de la loi de décentralisation du 2 mars 1982 ne pouvait manquer de poser le problème du statut des agents des collectivités territoriales. Cela a conduit à reformuler les principes qui avaient inspiré la loi du 19 octobre 1946 portant Statut général des fonctionnaires de l’Etat et à donner une traduction juridique originale à un ensemble statutaire couvrant non seulement les fonctionnaires de l’Etat, mais aussi ceux des collectivités territoriales et des établissements publics hospitaliers.

L’actualisation de la formulation des principes était d’autant plus nécessaire qu’elle était le seul moyen de préserver l’unité d’un ensemble de quelque 4,5 millions d’agents publics dont l’hétérogénéité risquait de multiplier les traitements spécifiques et, par là, d’altérer la conception d’ensemble. On sait que le statut de I946 était né d’une triple source : la jurisprudence du Conseil d’Etat complétant certains textes législatifs et réglementaires accumulés au fil du temps (communication du dossier, modalités de détachement, retraites, etc.), des ébauches statutaires élaborées à l’initiative des gouvernants de la Libération, et notamment de Michel Debré (reprenant partiellement l’acte du 14 septembre 1941 inspiré par la Charte du travail de Vichy), enfin les travaux de la commission d’étude syndicale encouragée par Maurice Thorez, vice-président du Conseil, chargé de la Fonction publique. Ce statut exprimait un principe d’unité de la Fonction publique et s’il ne formulait pas expressément le principe de séparation du grade et de l’emploi, il définissait clairement le fonctionnaire comme une personne nommée dans un emploi permanent, titularisée dans un grade. Il posait le principe d’égalité d’accès aux emplois publics et assortissait le principe de participation des fonctionnaires d’un ensemble de droits, garanties et obligations. Il prévoyait que les statuts particuliers pourraient déroger aux dispositions du statutgénéral.

L’ordonnance du 4 février 1959 et la cohorte des décrets du 14 février 1959 traduisirent, dans ce domaine, les conséquences du partage entre la loi (garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires) et le décret, consécutif à l’entrée en vigueur de la Constitution de la V° République, réduisant le nombre d’article du statut de 145 à 57. Ce dispositif ne revint pas fondamentalement sur les principes du statut de 1946 ni sur ses lignes de force majeures, tout en manifestant une volonté de limiter la participation des fonctionnaires. Mais le système connut ensuite, et jusqu’à 1981, une certaine dégradation en raison, d’une part de l’adoption d’une dizaine de textes législatifs développant la notion de statut spécial (police, services pénitentiaires, navigation aérienne, etc.) et réglementant le droit de grève de façon restrictive (notion de service fait, combinée à la règle de comptabilité publique du 1/30° indivisible) et, d’autre part, du fait d’une pratique restreignant encore l’intervention des organismes de concertation (Conseil supérieur de la fonction publique, comités techniques paritaires).

C’est pourquoi la refondation du début des années 80 a d’abord eu recours à une nouvelle formulation des principes de la conception française de la fonction publique, formulation distincte de l’énoncé classique des principes du service public (égalité, continuité, adaptabilité), puisqu’il s’agissait des fonctionnaires eux-mêmes, définis dans une acception plus étendue que précédemment. Furent ainsi distingués, en rappelant leurs références historiques les plus anciennes :

 le principe d’égalité, fondé sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et faisant du concours le moyen de droit commun d’accès aux emplois publics, le principe s’appliquant aussi aux modalités de la promotion interne ;

 le principe d’indépendance (du fonctionnaire, non de l’administration) vis-à-vis du pouvoir politique, associé à la séparation du grade et de l’emploi, disposition désormais explicitement inscrite dans le statut. Il s’agissait là de la généralisation d’une disposition ancienne, la loi de 1834 sur l’état des officiers : « Si le grade appartient à l’officier, l’emploi appartient au Roi » ;

 le principe de responsabilité, trouvant sa source dans l’article 15 de la Déclaration des droits et faisant du fonctionnaire un citoyen à part entière.

Sur la base de ces principes, largement exposés à travers la France (1) , a été échafaudée une construction « à plusieurs versants » : Etat, collectivités territoriales, établissements publics hospitaliers. On aurait pu penser à une simple extension des dispositions du Livre IV du Code des communes aux départements et aux régions, mais cela aurait nui à l’unité de principes et aurait favorisé le maintien de tendances clientélistes dans certaines collectivités publiques. A l’inverse, une unification excessive aurait été contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales posé par l’article 72 de la Constitution. Dans le même esprit, la loi du 15 juillet1982 a fait relever les personnels des établissement publics de recherche duStatut général, bien qu’en position dérogatoire (ce qui, au demeurant, est le cas d’une partie importante des fonctionnaires).

Cette architecture demeure donc, avec ses quatre titres : Titre premier, sur les droits et obligations des fonctionnaires (loi du 13 juillet 1983) ; Titre II portant dispositions statutaires relatives à la Fonction publique de l’Etat (loi du 11 janvier 1984) ; Titre III concernant la Fonction publique territoriale (loi du 26 janvier 1984) ; Titre IV sur la Fonction publique hospitalière (loi du 9 janvier 1986). Mais l’unité de cette conception n’est pas réductible à l’articulation de ces seuls textes, il convient de les compléter par d’autres dispositions législatives intervenues à la même époque, comme la loi du 11 juin 1983 sur la titularisation des personnels contractuels qui sera absorbée par le Titre II du Statut général, la loi du 19 octobre 1982 sur le droit de grève, la création de la 3° voie d’accès à l’ENA par la loi du 20 janvier 1983, etc. Il faut aussi prendre en compte l’ensemble de leurs décrets d’application, avec une mention particulière pour les décrets du 28 mai 1982 sur le droit syndical et les organismes paritaires, sans oublier le décret du 28 novembre1983 précisant les conditions d’exercice de l’activité des fonctionnaires dans le cadre d’une démocratisation des relations entre l’administration et les usagers.

Qu’est devenue cette solide architecture ?

2. Une dénaturation progressive

D’une manière quasi continue, on a assisté à une succession de remises en causes entraînant une dénaturation de la conception précédemment rappelée. On peut distinguer quatre phases rythmées par les changements de majorités politiques.

1984-1986 : mise en œuvre paresseuse des réformes

L’exemple le plus significatif est sans doute celui de la titularisation des contractuels. La loi du 11 juin 1983 avait été d’élaboration difficile en raison tant des réticences des différentes administrations que de l’insatisfaction des organisations syndicales concernant les modalités générales retenues. Cela avait entraîné un retard dans la mise au point d’une réforme pourtant jugée prioritaire dès 1981. Par précaution, une disposition avait été inscrite dans la loi prévoyant que les décrets d’application, dont le nombre avait été estimé à environ 150, devaient être pris dans l’année suivant la promulgation de la loi. Un an plus tard, seulement une petite dizaine de ces textes avaient effectivement été publiés. Au cours des années suivantes, la réforme ignora presque totalement les catégories A et B et ne fut appliquée dans les autres catégories que dans des conditions souvent peu attractives. Des décrets d’application de la loi de titularisation de 1983 étaient encore publiés en 2000.

Des constatations de même nature pourraient être faites dans d’autres domaines. Ainsi, l’heure mensuelle d’information syndicale ne fut (et n’est toujours) utilisée, que par une partie infime des fonctionnaires.

1986-1988 : intervention sur le maillon le plus faible

La loi du 13 juillet 1987, dite loi Galland, effectue un retour sur l’application à la Fonction publique territoriale des principes généraux retenus dans le Titre I vers lequel elle fait remonter certaines modifications qui affectent dès lors en retour l’ensemble des catégories visées par les autres titres. En résumé, la loi Galland élargit le recours aux non-titulaires, revient sur l’organisation en corps en développant celle des cadres d’emplois à la définition incertaine, complique la comparaison des catégories retenues respectivement dans la Fonction publique de l’Etat et dans la Fonction publique territoriale, rendant ainsi extrêmement difficile l’application du principe de mobilité d’une fonction publique à l’autre, revient sur le principe du concours et la séparation du grade et de l’emploi, réintroduit la sélection sur listes d’aptitude (système des reçus-collés), réduit le rôle des organismes paritaires de gestion, etc.

C’est aussi durant cette période qu’est supprimée la 3° voie d’accès à l’ENA, si controversée parce qu’elle s’opposait à une certaine conception de l’élitisme, et qu’à la faveur d’un amendement parlementaire, dit amendement Lamassoure, repris ensuite par le gouvernement, est supprimée purement et simplement la loi du 19 octobre 1982 sur l’exercice du droit de grève dans la Fonction publique, loi qui avait donné lieu à une intense concertation et avait recueilli l’ensemble des avis des instances devant être obligatoirement saisies (Conseil supérieur de la Fonction publique, Conseil d’Etat et ... Conseil des ministres).

1988-1993 : consécration des régressions antérieures

Les décisions de la période précédentes ne seront pas remises en cause en dépit du changement de majorité consécutif à l’élection présidentielle de 1988. Au contraire, les nouvelles modifications consacrent en quelque sorte l’évolution antérieure. C’est ainsi que la 3° voie d’accès à l’ENA est remplacée en octobre 1990 par un 3° concours qui en est la négation. Le thème du renouveau du service public fait l’objet de réflexions intéressantes (notamment par la publication de la circulaire du 23 février 1989), mais qui ne peuvent être considérées qu’en relation avec un certain nombre de décisions prises à la même époque : la création des deux établissements publics, La Poste et France-Télécom, à la définition juridique singulière, l’élargissement du recours aux non-titulaires, la remise en cause de la grille et de carrières sur le thème de la reconnaissance de « métiers » (accords Durafour), une évolution vers une individualisation accentuée des rémunérations, etc.

Mais la période est également marquée par un événement important : l’intervention directe de la réglementation communautaire dans les dispositions du statut. Cette préoccupation n’avait pas été ignorée des textes de 1983-1984 et la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européenne avait même eu un effet bénéfique sur le respect de l’égalité entre les hommes et les femmes dans l’accès aux emplois, ce qui avait conduit, notamment, à diminuer de 35 à 15 le nombre de corps faisant l’objet de concours distincts. Mais, plus significative de cette interdépendance nouvelle accentuée, est la loi du 21 juillet 1991 introduisant un article 5 bis dans le Titre I aux termes duquel les statuts particuliers peuvent déroger à la règle de nationalité posée par l’article 5 du Statut général. Cela a deux conséquences : d’une part, il est fait référence à des notions de « puissance publique » et d’ « intérêts généraux de l’Etat » qui caractérisent une conception restrictive de la fonction publique ; d’autre part, il y a atteinte au principe d’égalité puisque, dans un même corps, il serait interdit à un étranger d’accéder à un grade participant de l’exercice de la puissance publique.

1993-1995 : retour sur le maillon faible

La loi Hoëffel du 27 décembre 1994 confirme les orientations de la loi Galland et précise certaines dispositions du Titre III. Elle a prévu, pour l’essentiel : lesstatuts particuliers peuvent envisager la décentralisation de concours des catégories A et surtout B qui, jusque-là, étaient organisés au niveau national ; les délais d’organisation sont réduits ; le concours est supprimé pour certains grades de début de cadres d’emplois de la catégorie C ; les statuts particuliers peuvent prévoir un statut d’élève avant l’inscription sur la liste d’aptitude ; la formation initiale d’application est abrégée ; des dispositions sont envisagées pour le reclassement de fonctionnaires dont l’emploi est supprimé, etc. Sans s’affranchir des règles générales posées par les lois de1983-1984 ces réformes tendent cependant à développer les caractères d’une fonction publique d’emploi.

Une tendance de même nature peut d’ailleurs être observée dans la Fonction publique d’Etat elle-même. Ainsi le statut mis en place pour les chefs d’établissements d’enseignement du deuxième degré prévoit qu’ils sontstatutairement répartis en deux catégories puis dotés ou privés d’un emploi de chef d’établissement de façon discrétionnaire, à l’instar de ce que l’on observe pour les affectations préfectorales.

Cette brève rétrospective témoigne de la solidité de la conception française de la Fonction publique qui a trouvé dans les quatre titres du Statut général une armature cohérente. Cette construction, contrairement à une idée souvent reprise, n’est pas en elle-même facteur de rigidité (2). Tout au contraire, la conception unifiée par les principes ci-dessus rappelés, favorise la comparabilité des situations d’une fonction publique à l’autre et est de nature à donner corps à la garantie de mobilité introduite dans le texte même du statut. Ce sont au contraire les spécifications accumulées depuis quinze ans dans le Titre III qui sont de nature à entraver cette mobilité. Par ailleurs, la large gamme des dérogations ouvertes permet l’adaptation des règles statutaires aux situations les plus variées : « On peut tout faire avec le Statut général des fonctionnaires » déclarait, en 1982, M. Marceau Long, ancien directeur général de la Fonction publique et alors secrétaire général du gouvernement, lors de l’élaboration du dispositif actuel.

Mais si cette conception a, jusqu’à présent, bénéficié, lorsqu’il s’agit des principes généraux, d’un assez large consensus, cela n’a pas suffi pour autant à empêcher des atteintes graves aux dispositions statutaires elles-mêmes au cours des dernières années, comme on a pu le constater.

Sans doute la défense et l’illustration de la conception française traditionnelle suppose-t-elle son évolution en fonction des exigences nouvelles de la technique, de l’environnement international et de la vie en société. Mais les effets d’un ultralibéralisme exacerbé ne sauraient conduire qu’à la fabrication de véritables monstres juridiques dont on observe déjà quelques esquisses. La construction européenne qui n’a que faiblement affecté pour le moment les règles nationales de la Fonction publique va vraisemblablement accentuer sa pression sur son évolution au cours des prochaines années.

3. Les déterminants de l’évolution dans la prochaine période

Quatre facteurs semblent constituer les éléments susceptibles de conduire l’évolution de la situation dans la Fonction publique au cours de la prochaine période. Celle-ci dépendra de leur importance respective.

La réglementation européenne

Nous avons vu qu’elle a produit déjà des effets sur l’accès aux emplois publics en France de ressortissants communautaires et sur le respect de l’égalité femmes-hommes. Mais la définition donnée aux emplois liés à la « puissance publique » et aux « intérêts généraux de l’Etat » correspond à une conception très restrictive des missions du service public et de la fonction publique. Elle favorise l’extension de relations contractuelles en son sein et une conception de la fonction publique d’emploi et non de carrière (dans le même esprit, une proposition de loi de Gérard Longuet en 1980 avait été très médiatisée mais, à l’époque, sans succès). Il ne fait pas de doute que la pression des instances européennes, et plus particulièrement de la Cour de justice des Communautés européennes, va se renforcer dans le sens de cette interprétation.

La privatisation et la déréglementation pour « mettre en extinction » le Statut général

L’attaque frontale du Statut général était, jusqu’à présent, apparue difficile aux tenants de l’ultralibéralisme. C’est pourquoi ils lui ont préféré « une mise en extinction » progressive du Statut général. On a ainsi assisté à la transformation de services administratifs en établissements publics administratifs, d’EPA en établissements publics industriels et commerciaux, d’EPIC en sociétés d’économie mixte, de SEM en société privées le cas échéant chargées de missions de services public. Délégations de service public et autorités administratives indépendantes ont prospéré. La Poste et France-Télécom ont été extraites de la fonction publique en 1990 et, sans être autrement dénommées, ont finalement été regardées comme des EPIC. Le Service des poudres, le SEITA, le GIAT, l ‘Imprimerie nationale, la Direction des constructions navales ont vu leur statut, en une au plusieurs étapes, transformé en celui de sociétés privées (avec, selon les cas, gel statutaire, reclassements, reclassifications, ou contractualisation des personnels).

L’attaque frontale récente contre le Statut général lui-même

Mais il semble que la stratégie de « contournement » du Statut général - dont il serait vain de nier qu’elle a obtenu des résultats - s’accompagne depuis peu d’une contestation du Statut lui-même que l’on n’avait pas osé mettre en cause aussi ouvertement jusque-là. Des colloques se multiplient sur le thème de la modernisation et de la contractualisation du service public. Le dénigrement des fonctionnaires et des services publics prend de l’ampleur. Les plus hautes autorités de l’Etat elles-mêmes donnent de la voix sous prétexte de proximité et de performance. Des recherches sont entreprises pour substituer aux identités fonctionnelles que constituent les corps de fonctionnaires des systèmes de gestion individualisée. L’attaque principale porte aujourd’hui en opportunité sur le système des retraites du secteur public et, plus précisément, sur celui de la fonction publique (3) .

Le mouvement social

Pour autant, la mise en mouvement des forces hostiles au Statut général ne saurait nourrir aucune fatalité. Il existe en France un fort attachement populaire à la conception française du service public et de la fonction publique. Les actions revendicatives de l’automne 1995, les journées d’action du 26 novembre 2002 ou du 1er février 2003, le rejet par la majorité des agents de la réforme des retraites d’EDF-GDF indiquent qu’il existe dans notre pays des forces capables de contrecarrer la destruction du service public dans la conception nationale qui est la nôtre. Pour autant il faut bien admettre que l’on observe au cours des dernières années une relative apathie des fonctionnaires et de leurs organisations syndicales sur le sujet ; la haute fonction publique s’abandonne à l’idéologie managériale et ne fait plus entendre de voix fortes sur le sens de l’Etat (comme dans le passé celles d’hommes tels que François Bloch-Lainé ou Bernard Tricot). De tels comportements seraient préoccupants pour la suite s’ils devaient persister.

Il importe donc d’engager une action d’ampleur sur ces questions éminemment politiques, ce qui implique que soient clarifiées les bases revendicatives de l’action nécessaire.

4. Des orientations pour l’action

Contrairement à la conception libérale anglo-saxonne qui regarde l’intérêt général comme la somme des intérêts particuliers, essentiellement appréciés au plan économique, la conception française, fondée sur des principes républicains porteurs d’universalité rappelés ci-dessus, le considère comme une valeur hautement politique appelant des solutions spécifiques. Le service public en est le principal vecteur et la Fonction publique le cœur. Il s’agit néanmoins d’entretenir une réflexion permanente sur le sujet dans une société de plus en plus marquée par la mondialisation : celle des capitaux et des échanges marchands certes, mais aussi celle des idées, des cultures. Il est compréhensible que dans ce monde en mouvement et sous la pression idéologique sommaire du libéralisme, les fonctionnaires puissent parfois douter et les dirigeants s’abandonner aux modes dictées par une certaine conception de la construction européenne. Nous croyons au contraire qu’il est de notre devoir de défendre et de promouvoir ce que notre histoire a produit de meilleur, en vue de sa mise en commun. Six orientations pourraient résumer cette démarche (4) .

Premièrement, la raison d’être de la Fonction publique est le service de l’ensemble des citoyens qui doit être assuré de manière efficace en vue de l’application des lois et règlements, de la satisfaction des besoins sociaux et de la réduction des inégalités. D’importantes réformes administratives, tendant à l’élaboration de systèmes d’adaptation périodique des objectifs, à la généralisation techniques d’évaluation des résultats et de rationalisation des méthodes, peuvent être mises en œuvre par une large concertation entre tous les acteurs, sur la base notamment des propositions faites par le rapport du directeur général de l’administration et de la Fonction publique, Gilbert Santel, en 1998 et la prise en compte de certaines recommandations du rapport sur le dialogue social de Jacques Fournier en 2001. La nécessaire concertation générale gagnerait en efficacité par une réforme profonde des organismes paritaires et leur extension à tous les niveaux de l’administration, le dépassement de leur caractère étroitement consultatif, la participation des usagers dans une nouvelle étape de décentralisation faisant reculer l’autoritarisme.

Deuxièmement, la gestion prévisionnelle des effectifs de la Fonction publique n’est possible que dans le respect du système de la carrière et du principe posé par le Statut selon lequel les emplois permanents des collectivités publiques doivent être occupés par des fonctionnaires. C’est pourquoi les tenants du libéralisme en parlent toujours, mais ne le font jamais. Le recrutement de contractuels doit donc être strictement limité et une véritable résorption des emplois précaires engagée. Il importe de mettre rapidement en place les propositions formulées par de nombreux rapports sur la promotion de la mixité dans toutes les catégories de la Fonction publique, notamment dans les emplois supérieurs. Les besoins croissants en services publics font de la Fonction publique un moyen important pour tendre vers la perspective du plein-emploi.

Troisièmement, traditionnellement lieu d’innovations sociales majeures, la Fonction publique doit s’adapter aux profondes évolutions survenues dans les besoins en service publics, les techniques administratives, les diplômes et les qualifications, ce qui implique une restructuration des catégories statutaireset la réduction du nombre des statuts particuliers et des corps actuellement pléthoriques (on relèvera toutefois que 2 % du nombre des corps regroupent 70 % des fonctionnaires). Ainsi, seraient élargies les bases de la promotion interne dans le cadre d’une mobilité (dont le statut de 1983 avait fait une garantie fondamentale) entre les Fonctions publiques et à l’intérieur de chacune d’elles, et d’une politique de formation appropriée.

Quatrièmement, il convient d’encourager l’esprit d’initiative et de responsabilité, de prendre effectivement en compte la compétence, le mérite et la manière de servir, notamment en mettant en place un système cohérent d’évaluation et de notation ayant des effets concrets sur l’avancement et la promotion, dans le respect des garanties fondamentales. Dans le même esprit, il faut rendre le régime de primes et d’indemnités plus équitable tout en procédant à une intégration partielle de ces rémunérations complémentaires dans le traitement soumis à retenue pour pension et en interdisant l’utilisation des primes comme substitut aux reclassements catégoriels ou comme encouragement au conformisme. Le rapport de la Cour des comptes publié en 1999 a confirmé la possibilité de transparence du système que le rapport Blanchard, élaboré en 1984 à notre initiative, avait déjà montré.

Cinquièmement, le système de retraite des fonctionnaires ne saurait être remis en cause au prétexte fallacieux d’un alignement du régime sur celui du privé. Si, comme il a été dit, il importe d’intégrer certaines rémunérations indemnitaires ayant le caractère de salaires dans la base de calcul des pensions, la durée de cotisation pour parvenir à une retraite représentant au moins 75 % du dernier traitement de base doit être maintenue à 37 annuités et demie en raison des spécificités du système de carrière : intégration de l’activité individuelle dans celle de travailleurs collectifs servant des fonctions publiques et un service public vecteur de l’intérêt général ; gestion de la force de travail du fonctionnaire sur le long terme correspondant au caractère structurel de ces fonctions publiques.

Sixièmement, sur ces bases, il serait alors souhaitable de prendre l’initiative de confrontations européennes qui, dans le respect des spécificités nationales et du principe de subsidiarité, s’efforceraient de mettre en œuvre, dans toute la mesure du possible, les harmonisations souhaitables et des convergences intéressantes, mutuellement avantageuses, favorisant échanges d’expériences et une mobilité étendue au-delà de nos frontières.

(1) Une réunion s’est tenue pendant l’élaboration des textes au chef-lieu de chacune des régions administratives et de 78 départements.

(2) Rappelons à ce sujet quelques citations qui indiquent que les attaques récurrentes contre la fonction publique sont très anciennes. Ainsi, dans Le Figaro du 11-12 mars 1995, l’article de Michel Crozier à propos du nombre des fonctionnaires : « Leur répartition est très inefficace du fait des rigidités du statut mais aussi et surtout de l’inefficacité du management. » Ou encore : « On constate une coupure de plus en plus marquée entre France salariales : l’une soumise à une contrainte de plus en plus forte ; l’autre à l’abri du statutde la fonction publique ou des statuts assimilés (rapport Minc, p. 26). Ou encore : »La rigidité administrative tient pour une large part à l’existence destatuts trop nombreux et trop cloisonnés." (Rapport Picq, p.126).

(3) Voir, par exemple, Edouard Balladur, « Retraites, il est temps », Le Monde, 7 janvier 2003.

(4) Voir René Bidouze et Anicet Le Pors, « La fonction publique, une création continue ? », L’Humanité, 19 janvier 2000.

http://www.france.attac.org/archives/spip.php?article2005