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Lettre de Claudine BLASCO après la constitutionnalisation de l’IVG

mercredi 6 mars 2024, par Amitié entre les peuples

Bonjour toutes et tous,

Je voudrais partager la joie profonde que je ressens aujourd’hui à l’inscription de l’IVG dans notre constitution avec vous toutes et tous qui m’avaient accompagnée, soutenue, nourrie au sens propre comme au sens intellectuel ou logée quand une manif était loin de chez moi, vous toutes et tous féministes contre vents et marées, depuis 1974.
A mes copines du Planning, de Choisir, du MLAC et du MLF, nous avions moins de 20 ans , des amours et des libertés plein la tête et nous hurlions dans les rues de Toulouse et de Paris : « Notre corps est à nous », « Si je veux, quand je veux », « Nous aurons les enfants que, avec qui et quand, nous voulons » etc.... *

Petit rappel des plus de 50 ans de luttes qu’il a fallu pour arriver à cette constitutionnalisation.
Chaque loi obtenue l’a été par nos manifestations et notre travail d’information fait auprès des députés et de l’opinion publique, mais aussi des chercheurs en sciences sociales et en médecine.
Le planning familial apparaît au début des années 60, puis le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) est créé en 1970, ces deux associations créent en 1973 avec le Groupe Information Santé le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et la Contraception (MLAC), c’est grâce au MLAC que la loi Veil a été votée, d’ailleurs le mouvement a été dissous après le vote de la loi en 1975.
Simone Veil a fait passer la loi sur l’avortement en Janvier 1975,
puis Yvette Roudy en Decembre 1982 fait voter une loi relative à la couverture des frais afférents à l’interruption volontaire de grossesse non thérapeutique et aux modalités de financement de cette mesure,
il a fallu attendre un an, en 1983, pour établir le délit d’entrave à l’IVG et supprimer la pénalisation de l’auto-avortement.
Puis vint la loi du 4 juillet 2001 relative à l’IVG et à la contraception qui allonge le délai légal de 10 à 12 semaines de grossesse et assouplit les conditions d’accès aux contraceptifs et à l’IVG pour les mineures.
La loi du 17 décembre 2012 de financement de la Sécurité sociale pour 2013 permet une prise en charge à 100% des IVG par l’Assurance maladie. Les tarifs des IVG instrumentales sont par ailleurs revalorisés afin de renforcer cette activité dans les établissements.
La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes supprime la notion de détresse des conditions de recours à l’IVG et étend le délit d’entrave à l’IVG à l’accès à l’information à l’IVG.
En Janvier 2016, La loi de modernisation de notre système de santé autorise les sages-femmes à réaliser les IVG médicamenteuses et supprime le délai de réflexion de sept jours entre la consultation d’information et la consultation de recueil du consentement.
En 2021, le décret du 15 avril 2021 permet la réalisation d’IVG instrumentales par des médecins en centres de santé. Puis le décret du 30 décembre 2021 autorise, à titre expérimental, la réalisation d’IVG instrumentales par les sages-femmes en établissements de santé.
Le décret du 19 février 2022 permet un accès plus large à l’IVG médicamenteuse hors établissement de santé, avec la suppression de l’obligation de prendre le premier médicament devant le professionnel ; la possibilité de réaliser l’IVG médicamenteuse en téléconsultation ;l’allongement du délai réglementaire de l’IVG médicamenteuse de 5 à 7 semaines de grossesse hors établissement de santé.
La loi du 2 mars 2022 allonge le délai légal de l’IVG de 12 à 14 semaines de grossesse ; autorise des sages-femmes à pratiquer des IVG instrumentales en établissement de santé (expérimentation en cours) ; permet la possibilité de réaliser l’IVG médicamenteuse en téléconsultation ; supprime le délai légal minimum de réflexion, pour les mineures comme pour les majeures, entre l’entretien psycho-social et le recueil du consentement.
Et aujourd’hui la liberté des femmes d’avorter entre dans la constitution. Il sera ainsi beaucoup plus difficile de la supprimer.

En mûrissant, nous qui sommes entrées en féminisme avec le MLAC et le mouvement tiers-mondiste, avons créé de nouvelles expressions , travaillé sur de nouveaux concepts comme la construction historique et sociale des inégalités femme/homme, des recherches universitaires , des associations, sur le genre, sont nées, la lutte féministe est devenue indivisible avec la défense des droits humains et l’ altermondialisme grâce entre autres à la commission genre d’ATTAC, à la création de laquelle j’ai participé , soutenue par Gisèle Halimi.
Quel bonheur de se souvenir de nos réunions enthousiastes, créatives, avec Jacqueline, Esther, Gisèle, Christiane, Suzy, Thérèse... quelques unes ne sont plus , mais demeurent vivantes dans nos engagements.

A mes copines d’ATTAC, de la Marche Mondiale des Femmes, de l’Assemblée des Femmes, du Planning Familial, du mouvement du Nid, de Solidarité Femmes, du Forum Femme Méditerranée, aux chercheuses universitaires comme Patricia Papperman, Rachel Silvera, Helena Hirata, à toutes les féministes internationales dont j’ai croisé la route, de Rigoberta Menchu à Vandana Shiva, de Joan Tronto à Wassyla Tamzali , de Nadia Chaabane à Pinar Selek, à vous aussi les jeunes féministes, à vous toutes merci.
A tous les hommes qui se sont battus à nos cotés , comme François Lille, Christian Delarue, Grégoire Théry, les copains de Zéro Macho et de Ruptures, à vous aussi merci.

Je voudrais partager avec vous ce constat que la lutte, la persévérance, l’union des femmes et des défenseurs des droits des femmes n’ont pas été vaines.

Face à l’augmentation des violences envers les femmes , aux régressions que constituent la montée de l’extrême droite et des masculinismes, cette constitutionnalisation du droit à l’IVG est comme la lumière qui précède l’aurore. La lumière qui annonce le jour.
En ces jours où les états veulent essentialiser les femmes en tant que mères , ce droit constitue une avancée majeure en faveur du droit des femmes à disposer de leur corps et à maîtriser leur fécondité. C’est également un progrès de santé publique, en permettant aux femmes d’accéder à l’IVG dans des conditions sécurisées et encadrées.

Féministement
Claudine