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Contre l’autre misère : Réification, reconnaissance et construction du sujet acteur et décideur. C Delarue

dimanche 18 octobre 2009, par Amitié entre les peuples

Contre l’autre misère : Réîfication, reconnaissance et construction d’un sujet acteur et décideur.

Le 17 octobre est la journée qui met en exergue l’insupportable misère dans tous les pays : 17 octobre : Le second fossé de la misère et de la paupérisation partout. Mais il y a une autre misère à combatte que l’on déclinera ici en « misère de position » et « misère de réïfication ».

I - Contre la MISERE DE POSITION : Bourdieu, Caillé, Honneth et un autre partage des richesses.

Au Bourdieu de la « misère de position » vient se greffer en réponse la théorie de la reconnaissance d’Axel Honneth et la sociologie anti-utilitariste d’Alain Caillé.

A) Commençons par l’admirable Bourdieu.

On lui fit un double reproche. L’un venait d’en-haut : il trahissait les élites en collusion avec la bourgeoisie en critiquant Notat le fer de lance du néolibéralisme ascendant (hiver 95). L’autre venait d’en-bas : ce n’était pas une parole démocratique. Pour critique que fut son propos, il était toujours celui de l’élite. La leçon a été entendue par la génération suivante des intellectuels critiques qui s’employèrent à agir autrement. Reste que, plus de dix ans après, Bourdieu est pour le peuple-classe d’une part celui qui a décidé de sortir de l’Université pour descendre dans la rue s’opposer aux néo-conservateurs adeptes des deux grandes pratiques sociales négatives types du néolibéralisme montant : 1) la destruction et la misère pour ceux d’en-bas via la défense intransigeante de la liberté, qui en vérité est celle du loup dans le poulailler et 2) la prédation généralisée sous la forme du souci des pauvres via le service universel qui est en vérité le « déshabiller Pierre (les couches moyennes) pour soit disant habiller Paul » mais en fait enrichir les riches . Il est aussi d’autre part celui qui s’opposa à la « misère de position » dans un ouvrage mondialement reconnu « la Misère du monde » (1) . Depuis cet ouvrage on distingue la misère de situation, de condition et la « misère de position » . Par exemple, « tel prof agrégé qui ne supporte pas que ceux qui ont fait une petite école de commerce gagnent trois fois plus que lui ». La situation matérielle de ce prof agrégé sans être exceptionnelle semble à priori lui éviter une misère de condition mais par contre il souffrira d’une misère de position.

B) La reconnaissance et l’action contre la misère de position.

La thématique hégélienne de la lutte pour la reconnaissance impulsée par Axel Honneth permet de poser que les acteurs sociaux ne visent pas tant à satisfaire leurs intérêts propres sur un mode utilitariste qu’à être reconnus. Mais le paradigme de la reconnaissance fait-il vraiment sortir de l’axiomatique de l’intérêt ? se demande Alain Caillé qui ajoute qu’à priori rien interdit de poser qu’il existe des intérêts de reconnaissance comme il existe des intérêts de possessivité ou de bien être. Après les développements sur cette distinction (2) l’auteur pose dans la ligne théorique qui est la sienne - celle de l’Essai sur le don de Marcel Mauss - quatre polarités irréductibles qui forment une « théorie tétradimensionnelle de l’action » qui combine intérêt pour soi et aimance, obligation et liberté pour déboucher sur une théorie du sujet. Le sujet n’est pas le moi : « Il n’y a de sujet que de ce qui excède, sans les nier ou les oublier l’intérêt pour soi, l’obligation et l’aimance, que de ce qui trouve son unité dans l’articulation du moi, du toi, du nous, du vous, du il... »

Mais quid de la reconnaissance ? Réponse de Caillé : on ne peut être sujet qu’au-delà de l’obtention des signes de reconnaissance. Ce qui n’invalide pas le besoin individuel et social de reconnaissance mais qui incite à ne pas rester dans son attente. En ce sens Alain Caillé par delà Axel Honneth propose bien une théorie de l’action et du sujet contre la misère de position. Cette théorie du sujet se combine politiquement avec une réhabilitation de la démocratie en cours de rabougrissement sous l’effet du néolibéralisme.

C) Un autre partage des richesses néanmoins nécessaire.

Les théorisations ci-dessus n’épuisent pas les réponses à la question de l’injustice systémique. Les questions de la compassion, de la sobriété, du néo-solidarisme, etc. sont instrumentalisées au profit d’une conception d’accompagnement social qui met à contribution plus les couches moyennes que les riches. L’intervention citoyenne des sujets interessés à la marche du monde peuvent promouvoir une autre répartition des richesses, notamment via la promotion de l’économie non marchande et des service ppublics.

Sobriété pour les très riches de tous les pays

http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article717

Eléments de critique de la compassion sociale

http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article704

II - Contre la MISERE DE REÏFICATION.

La réïfication est de retour et de ce fait fait l’objet de réponses en « réhumanisation », c’est à dire de libéralisation non pas du marché emprisonné par des rigidités mais des humains. Politique d’émancipation.

A ) A propos de l’élargissement du sens du terme réification.

* D’abord, en première approche la réification désigne le processus par lesquels les humains et surtout les rapports entre eux sont chosifiés.

Globalement c’est une notion rattachée à ce qui relève de l’aliénation et plus précisément du fétichisme. Avec la réification, l’être humain n’est plus rien ; soit il est « invisibilisé », soit il est ravalé au statut d’objet. Et ce ne sont pas là seulement des « jeux de pouvoirs » relationnels volontaires car cela relève beaucoup plus de grands dispositifs sociaux abstraits qui surplombent les humains. Cependant tous les humains ne sont pas pareillement rabaissés puisque la place dans les rapports sociaux ou les rapports de genre détermine de façon plus ou moins visible des réifiants et des réifiés.

* Ensuite, en approche plus développée, la réïfication est aussi un concept issu de la théorie critique.

Axel Honneth théoricien du mépris et de la reconnaissance (3) l’a repris récemment en développant pleinement sa portée. On doit à Georg Lukacs (4) d’avoir développé le concept de réïfication. Luckacs considère que la sphère économique et ses acteurs principaux le capital sous ses trois formes financière, productive et marchande possèdent une grande force de subvertion à la fois matérielle et idéologico-culturelle non seulement dans les secteurs qui sont les siens mais aussi dans les secteurs ou d’autres logiques sont à l’oeuvre. A sa manière ATTAC critique et à raison ces phénomènes de réifications tel qu’ils se mondialisent sous l’égide de la finance.

L’apport d’Axel Honneth, au-delà du débat mené contre ou à côté de Lukacs tout le long de son ouvrage est de pointer ceci (p112) : « En lisant le texte de son essai aujourd’hui, avec un recul de quatre-vingts, on doit constater avec étonnement, et même stupeur, que Lukacs ne discute des phénomènes de réïfication qu’en les rapprochant de façon très étroite des processus d’échange. Tout ce qui, depuis cette époque, témoigne beaucoup plus fortement d’une conduite réïfiante, à savoir les formes de déshumanisation bestiale propres au racisme ou au trafic des êtres humains, il ne le thématise même pas de façon marginale » C’est le mérite de Theodor W. Adorno et Max Horkheimer d’avoir « favoriser les recherches empiriques sur les préjugés antisémites, les discriminations racistes, l’ethnocentrisme, les tendances antidémocratiques, les personnalités autoritaires en tant que supports d’intelligibilité des adhésions de masse aux politiques fascistes ou totalitaires » (5).

B) La réponse altermondialiste d’émancipation des humains face à la marchandisation réïfiante.

Au plan de la pratique de transformation sociale les associations anti-racistes, féministes et laïques sont venues combattre les formes de réïfication et de mépris qui sévissent avec ou hors logique marchande et/ou capitaliste. Le sexisme comme le racisme et les politiques xénophobes et anti-immigrés sont aggravés par les dérives des élites « beaufs » et par la logique capitaliste. L’emprise forte du religieux ici ou là, tant par en-haut que par en-bas, génère aussi une réponse laïque qui se doit d’être universaliste et non pas compatible avec la seule subculture chrétienne encore très prégnante en Europe .

A partir de la notion de fétichisme on peut aussi entreprendre une critique de la mise à plat des flux économiques (fétichisés) et des « flux de migrants » (réïfiés) (6)

Le mouvement altermondialiste est un mouvement large de lutte contre toutes les formes de domination, d’exploitation, d’aliénation et d’oppression. Il s’emploie à faire converger les luttes tout autant qu’il peut essayer de former, tant que faire se peux, des cohérences théoriques.

Christian Delarue

1) Sur la « Misère du monde »

http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/misere/libe0293.html

2) La distinction « intérêts de reconnaissance / intérêts de possessivité » est déconstruite notamment via une autre « intérêt pour / intérêt à ». Lire ici Alain Caillé.

http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_academies/acdscien/2008/acta_14_pass_02of07.pdf

3) Outre « La réïfication » sous-titré « Petit traité de Théorie critique » (Gallimard nrf 2005) Axel Honneth s’est surtout fait connaître par deux autres ouvrages : La lutte pour la reconnaissance« (Le Cerf 2000) et plus récemment »La société du mépris" (La Décourverte 2006).

4) « Histoire et conscience de classe » est composé d’analyses marxistes écrites par Georg Lukacs (1885- 1971) entre 1919 et 1922 et publiées en 1923. La préface de Kostas Axelos

ttp ://classiques.uqac.ca/classiques/Lukacs_gyorgy/histoire_conscience/lukacs_preface.html

5) Jean-Marie Brohm : Sur la psychologie de masse du fascisme

http://www.anti-rev.org/textes/Brohm00a/index.html

6) Le fétichisme de la rentabilité financière contre les migrants.

http://bellaciao.org/fr/spip.php?article65856