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Agriculture capitaliste ou paysanne, un enjeu de société

mardi 22 juillet 2008, par Amitié entre les peuples

Agriculture capitaliste ou paysanne, un enjeu de société

Conséquences sociales des logiques strictement économiques

source : http://www.penserpouragir.org/

Le capitalisme, avec ses moyens et ses méthodes de production, offre une alternative à l’agriculture paysanne. Les coûts sociaux seraient tels qu’il convient de définir et mettre en place des politiques de protection et de promotion du modèle paysan.

Une vingtaine de millions de fermes modernes supplémentaires, si on leur donne l’accès aux superficies importantes de terres qui leur seraient nécessaires (en les enlevant aux économies paysannes et en choisissant sans doute les meilleurs sols) et si elles ont accès aux marchés de capitaux leur permettant de s’équiper, pourraient produire l’essentiel de ce que les consommateurs urbains solvables achètent encore à la
production paysanne. Mais que deviendraient les milliards de
ces producteurs paysans non compétitifs ?

Toutes les sociétés antérieures au capitalisme étaient des sociétés paysannes et leur agriculture commandée par des logiques certes diverses mais toutes étrangères à celle qui définit le capitalisme (la rentabilité maximale du capital). L’agriculture capitaliste, représentée par une classe de nouveaux paysans riches, voire de latifundiaires modernisés, ou par des domaines exploités par les transnationales de l’agro-business, s’apprête à donner l’assaut à l’agriculture paysanne. Elle en a reçu le feu vert de l’OMC à Doha. Cependant, à l’heure actuelle, le monde agricole et paysan rassemble encore la moitié de l’humanité ; mais sa production est partagée entre deux secteurs dont la nature économique et sociale est parfaitement distincte.

L’agriculture capitaliste, commandée par le principe de la rentabilité du capital, localisée presque exclusivement en Amérique du nord, en Europe, dans le cône sud de l’Amérique latine et en Australie, n’emploie guère que quelques dizaines de millions d’agriculteurs qui ne sont plus véritablement des « paysans ». Mais leur productivité, fonction de la motorisation (dont ils ont presque l’exclusivité à l’échelle mondiale) et de la superficie dont chacun dispose, évolue entre 10000 et 20000 quintaux d’équivalent céréales par travailleur et par an.

Les agricultures paysannes rassemblent par contre près de la moitié de l’humanité (trois milliards d’êtres humains). Ces agricultures se partagent à leur tour entre celles qui ont bénéficié de la révolution verte (engrais, pesticides et semences sélectionnées), néanmoins fort peu motorisé, dont la production évolue entre 100 et 500 quintaux par travailleur et celles qui se situent avant cette révolution, dont la production évolue autour de dix quintaux seulement par actif.

L’écart entre la productivité de l’agriculture la mieux équipée et celle de l’agriculture paysanne pauvre, qui était de 10 à 1 avant 1940, est aujourd’hui de 2000 à 1. Autrement dit, les rythmes des progrès de la productivité dans l’agriculture ont largement dépassé ceux des autres activités, entraînant une réduction des prix réels de 5 à 1.

Le capitalisme a toujours combiné à sa dimension constructive (l’accumulation du capital et le progrès des forces productives) des dimensions destructives, réduisant l’être humain à n’être plus que porteur d’une force de travail, elle-même traitée comme une marchandise, détruisant à long terme certaines des bases naturelles de la reproduction, de la production et de la vie, détruisant des fragments des sociétés antérieures et parfois des peuples entiers - comme les Indiens d’Amérique du Nord. Le capitalisme a toujours simultanément « intégré » (les travailleurs qu’il soumettait aux formes diverses de l’exploitation du capital en expansion -par « l’emploi » en termes immédiats) et exclu (ceux qui, ayant perdu les positions qu’ils occupaient dans les systèmes antérieurs n’ont pas été intégrés dans le nouveau). Mais dans sa phase ascendante et de ce fait historiquement progressiste, il intégrait plus qu’il n’excluait.

Ce n’est plus le cas, comme on peut le voir précisément et d’une manière dramatique dans la nouvelle question agraire. Car en effet si, comme l’impose désormais l’Organisation Mondiale du Commerce depuis la conférence de Doha (Novembre 2001), on « intégrait l’agriculture » à l’ensemble des règles générales de la « compétition », assimilant les produits agricoles et alimentaires à des « marchandises comme les autres », quelles en seront les conséquences certaines, dans les conditions d’inégalité gigantesque entre l’agro-business d’une part et la production paysanne de l’autre.

Une vingtaine de millions de fermes modernes supplémentaires, si on leur donne l’accès aux superficies importantes de terres qui leur seraient nécessaires (en les enlevant aux économies paysannes et en choisissant sans doute les meilleurs sols) et si elles ont accès aux marchés de capitaux leur permettant de s’équiper, pourraient produire l’essentiel de ce que les consommateurs urbains solvables achètent encore à la production paysanne. Mais que deviendraient les milliards de ces producteurs paysans non compétitifs ? Ils seront inexorablement éliminés dans le temps historique, bref, de quelques dizaines d’années. Que vont devenir ces milliards d’êtres humains, déjà pour la plupart pauvres parmi les pauvres, mais qui se nourrissent eux-mêmes, tant bien que mal, et plutôt mal pour le tiers d’entre eux (les trois quarts des sous-alimentés du monde sont des ruraux) ? A l’horizon de cinquante ans aucun développement industriel plus ou mois compétitif, même dans l’hypothèse fantaisiste d’une croissance continue de 7 % l’an pour les trois quarts de l’humanité, ne pourrait absorber fut-ce le tiers de cette réserve. C’est dire que le capitalisme est par nature incapable de résoudre la question paysanne et que les seules perspectives qu’il offre sont celles d’une planète bidonvillisée et de cinq milliards d’êtres humains « en trop ».

Nous sommes donc parvenus au point où pour ouvrir un champ nouveau à l’expansion du capital (« la modernisation de la production agricole »), il faudrait détruire -en termes humains- des sociétés entières. Vingt millions de producteurs efficaces nouveaux (cinquante millions d’êtres humains avec leurs familles) d’un coté, cinq milliards d’exclus de l’autre. La dimension créatrice de l’opération ne représente plus qu’une goutte d’eau face à l’océan des destructions qu’elle exige. J’en conclu que le capitalisme est entré dans sa phase sénile descendante ; la logique qui commande ce système n’étant plus en mesure d’assurer la simple survie de la moitié de l’humanité. Le capitalisme devient barbarie, invite directement au génocide. Il est nécessaire plus que jamais de lui substituer d’autres logiques de développement, d’une rationalité supérieure.

L’argument des défenseurs du capitalisme est que la question agraire en Europe a bien trouvé sa solution par l’exode rural. Pourquoi les pays du Sud ne reproduiraient-ils pas, avec un ou deux siècles de retard, un modèle de transformation analogue ? On oublie ici que les industries et les services urbains du XIXe siècle européen exigeaient une main d’œuvre abondante et que l’excédent de celle-ci a pu émigrer en masse vers les Amériques. Le tiers monde contemporain n’a pas cette possibilité et s’il veut être compétitif comme on lui ordonne de l’être, il doit d’emblée recourir aux technologies modernes qui exigent peu de main d’œuvre. La polarisation produite par l’expansion mondiale du capital interdit au Sud de reproduire avec retard le modèle du Nord.

Cet argument - à savoir que le développement du capitalisme a bien résolu la question agraire dans les centres du système - a toujours exercé une attraction puissante, y compris dans le marxisme historique. En témoigne l’ouvrage célèbre de Kautsky (« la question agraire »), antérieur à la première guerre mondiale et bible de la sociale-démocratie dans ce domaine. Ce point de vue a été hérité par le léninisme et mis en œuvre - avec les résultats douteux qu’on connaît - à travers les politiques de « modernisation » de l’agriculture collectivisée de l’époque stalinienne. En fait le capitalisme, parce qu’il est indissociable de l’impérialisme, s’il a bien « résolu » (à sa manière) la question agraire dans les centres du système, a créé une nouvelle question agraire dans ses périphéries d’une ampleur gigantesque et qu’il est incapable de résoudre (sauf à détruire par le génocide la moitié de l’humanité). Dans le camp du marxisme historique seul le maoïsme avait saisi l’ampleur du défi. Et c’est pourquoi ceux des critiques du maoïsme qui voient en lui une « déviation paysanne » témoignent par cette affirmation même qu’ils n’ont pas l’équipement nécessaire pour comprendre ce qu’est le capitalisme réellement existant (toujours impérialiste), parce qu’ils se contentent de lui substituer un discours abstrait sur le mode de production capitaliste en général.

Alors que faire ?

Il faut accepter le maintien d’une agriculture paysanne pour tout l’avenir visible du XXIe siècle. Non pour des raisons de nostalgie romantique du passé, mais tout simplement parce que la solution du problème passe par le dépassement des logiques du capitalisme, s’inscrivant dans la longue transition séculaire au socialisme mondial. Il faut donc imaginer des politiques de régulation des rapports entre le « marché » et l’agriculture paysanne. Aux niveaux nationaux et régionaux, ces régulations singulières et adaptées aux conditions locales, doivent protéger la production nationale, assurant ainsi l’indispensable sécurité alimentaire des nations et neutralisant l’arme alimentaire de l’impérialisme - autrement dit déconnecter les prix internes de ceux du marché dit mondial - comme elles doivent - à travers une progression de la productivité dans l’agriculture paysanne, sans doute lente mais continue - permettre la maîtrise du transfert de population des campagnes vers les villes. Au niveau de ce qu’on appelle le marché mondial, la régulation souhaitable passe probablement par des accords inter-régionaux, par exemple entre l’Europe d’une part, l’Afrique, le monde arabe, la Chine et l’Inde d’autre part, répondant aux exigences d’un développement qui intègre au lieu d’exclure.

Par Bernard Founou-Tchuigoua,