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Travail contraint : Quelle hiérarchicité ? Christian DELARUE

mardi 25 avril 2023, par Amitié entre les peuples

Travail contraint : Quelle hiérarchicité ?

Une hiérarchicité (le fait hiérarchique, ce qui le caractérise) faible et bienveillante participe de bonnes conditions de travail. Son inverse participe de la « barbarie douce » qui mine les conditions de travail.

Les syndicats - le mien et les autres -interviennent régulièrement sur les conditions de travail. La note sur ce point n’est pas très longue car je suis retraité. Elle mériterait mieux. J’ai connu de bonnes conditions de travail dans la fonction publique d’Etat pendant plusieurs années avant qu’il y eu dégradation. Je l’ai dit longtemps.

Décor : D’abord, il s’agit d’un service public avec des fonctionnaires ne travaillant pas pour accumuler toujours plus de profit. Le travail réel est donc différent d’une entreprise privée capitaliste en terme d’intensification, même si l’usage - variable - de statistiques incite au maintien d’une certaine productivité du travail. Les statistiques de flux (entrées et sorties de dossiers) participent de l’exploitation de la force de travail dans le public comme dans le privé, du moins si elles sont constamment mises en avant pour la pression vers un travail soutenu.

Ce service public, le Pôle GPP de Rennes (Gestion des Patrimoines privés) fut « régionalisé » (en « pôle ») en septembre 2005 avec un apport en personnel issu de divers services et formé pour ce faire. Il conservait ses missions juridiques et comptables de bonne gestion de successions vacantes (successions non acceptées par les héritiers du fait des dettes importantes ou d’un faible actif dans le patrimoine de la personne décédée). Dès lors que le nombre de dossiers à traiter restait raisonnable eu égard au nombre de personnes - les curateurs et curatrices assermentées - chargées de la gestion, tout allait bien.

Dans cette fonction (ou cette mission), il y a deux volets : le travail de bureau (gestion et droit) et le travail de terrain, ce dernier consistant à aller visiter les logements et les véhicules des personnes décédées pour dresser un PV de constat du mobilier afin de faire enlever les meubles et les véhicules pour mise en vente et mise en déchetterie.
Le produit de l’actif réalisé sert au paiement des créanciers déclarés. Cette variété du travail participe de son intérêt. Mais - c’est une tendance récente de ces dernières années - on sort de moins en moins sur le terrain, du fait soit du changement de normes de travail (demander des photos pour économiser du temps et de l’argent) soit de la sous-traitance du travail à d’autres professionnels (du privé).

Pendant plus de dix ans j’ai déclaré à mon syndicat, lors des tour de table sur l’état des services que le mien connaissait de bonnes conditions de travail. La hiérarchie pesait peu sur le personnel. Ce que j’ai appelé une hiérarchicité faible. Il y avait et il y a toujours un ou une chef-fe de service mais son rôle ne consistait que très peu à tout contrôler chaque jour de la productivité du travail réalisé. Et quand il y avait contrôle celui-ci était bienveillant.

Le travail se réalisait naturellement. Nous étions formés juridiquement et informatiquement pour l’accomplir sans trop de soucis. Le métier a évolué du fait du changement du droit. Par exemple la modification du droit des prescriptions peut participer à une dégradation des rapports sociaux entre les créanciers et le service. Si au lieu de payer le créancier dès que vous avez un actif vous ne le faites plus du fait de conditions non réalisées (pas de LRAR, ou trop tardive, ou non reproduite pour reconduire le délai, etc) vous créez de la conflictualité à ou il y avait satisfaction réciproque, ce qui change le plaisir (ou pas) de travailler. La législation devenant plus complexe - grand nombre de délais différents - vous devenez expert dans cet exercice mais cette expertise ne viendra pas combler la dégradation des conditions de travail.

Un autre aspect a pu participer à une dégradation des conditions de travail : le remplacement de l’outil informatique. Le premier logiciel (SAGIS) était léger car sans trop de parcours obligés, sans gros volet de contrôle hiérarchique intégré, sans articulation forte avec la comptabilité. Il en fut différemment du nouveau (ANGELIS) installé en 2016 sur tout le territoire et pour tous les GPP.

La hierarchicité devint plus présente, plus forte, plus désagréable. Le « métier » a perdu de son attrait. Les souffrances au travail apparurent. La bonne ambiance entre nous, chef compris, fut plus difficile, plus rare. Les motifs de disputes se firent plus courants. Et lorsque les fonctionnaires anciens prirent leur retraite sans être remplacé ou remplacé par des contractuels ce fut le signe d’un basculement, rien moins que le passage de la civilisation à la barbarie. La barbarie douce - celle sans violence physique mais qui est néanmoins destructrice - vient insidieusement de façon perverse pour insérer le mal, pour inséré la concurrence à la place de la solidarité !

Un médecin du travail y est venu pour y faire une thèse de doctorat.

Christian Delarue