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Peuple-classe 99% : enjeux d’une notion. Christian DELARUE

samedi 17 mars 2018, par Amitié entre les peuples

Peuple-classe 99% : enjeux d’une notion.

Réponse à Serge Halimi, à Razmig Keucheyan et Denis Collin à propos du peuple-classe 99%

Les deux premiers critiques ont écrit dans Le Monde diplomatique le premier en aout 2017 et le second en mars 2018. Le troisième sur son blog.

Il s’agit d’un débat fraternel à gauche car nous sommes d’accord sur l’hétérogénéité interne du peuple-classe. Ce débat fraternel se distingue d’un autre débat beaucoup plus dur qui vise tout bonnement à refuser ce clivage classiste intra-national, et donc d’en refuser les deux termes, soit d’une part de refuser le nom même de peuple-classe entendu comme peuple-fraction, comme peuple objet de politiques de la classe dominante (alors que Patrick TORT avait déjà théorisé jadis le peuple ainsi dans « Le marxisme aujourd’hui » ) et d’autre part de refuser l’existence d’une classe dominante calée grosso modo sur le 1% d’en-haut. Sans fétichisme de ce chiffre - car c’est le rapport social et classiste qui importe - il faut néanmoins remarquer sa pertinence .

Au-delà de cette réponse

Au-delà de cette réponse, il y a l’enjeu de nommer un peuple fraction (le peuple-classe), contre les entreprises de camouflage des conflits classistes diffusant des discours très englobant de mise en communauté sous les noms de peuple-nation ou peuple démocratico-citoyen et autre catégorie de peuple totalité. Il faut nommer un peuple-partie du peuple nation ou du peuple démocratico-citoyen un peuple qui englobe largement ceux et celles d’en-bas. Il s’agit de nommer ce peuple comme peuple soumis à un ordre oligarchique mondial (OOM) qui se décline à divers niveaux territoriaux, y compris nationalement, sous couvert de « démocratie représentative », d’égalité des citoyens.

La politique classiste du 1% d’en-haut casse les entités communes fétichisées, casse le « monde commun » que nous voulons, détruit la cohésion sociale, brise ce qui peut « faire République » pour tous et toutes. La politique classiste du 1% milite pour son triptyque : financiarisation, appropriation privée et la marchandisation. Elle casse des services publics et de la protection sociale (retraite par capitalisation).

Pour nous, le peuple-classe 99% a bien vocation a s’y opposer mais - c’est exact - certains plus que d’autres. Certains effectivement sont même plus en appui de la classe dominante. On le sait car ce n’est pas nouveau ! Il ne s’agit pas de masquer ces conflits. La convergence est un sport de combat qui ne débouche pas sur l’unité du peuple-classe qui reste non seulement divers mais traversé de conflits.

I - La réponse à Serge HALIMI

Son propre texte :

Le leurre des 99 %, par Serge Halimi (Le Monde diplomatique, août 2017)
https://www.monde-diplomatique.fr/2017/08/HALIMI/57816

Nos deux réponses :

1) La classe d’appui des 1% chez Serge Halimi (I). Christian Delarue

http://amitie-entre-les-peuples.org/La-classe-d-appui-des-1-chez-Serge-Halimi

2) People 99 % : Penser un peuple sans ses dominants économiques d’en-haut. Suite réponse à S Halimi (II). Christian Delarue
http://amitie-entre-les-peuples.org/People-99-Penser-un-peuple-sans-ses-dominants-economiques-d-en-haut-C-Delarue

II - La réponse à Razmig KEUCHEYAN

Il écrit :

Au sein de la gauche — toutes sensibilités confondues — circulent à l’heure actuelle des notions qui paraissent politiquement pertinentes, mais qui s’avèrent dangereuses. L’une d’elles est l’argument des 99 %. S’appuyant sur des statistiques établies par les économistes Emmanuel Saez et Thomas Piketty, le mouvement Occupy Wall Street a avancé en 2011 l’idée que l’humanité se divise en deux groupes : l’un, les 1 % les plus riches, capte l’essentiel des bénéfices de la croissance ; l’autre, les 99 % restants, pâtit d’inégalités toujours plus vertigineuses. L’argument s’est révélé efficace pour un temps, suscitant des mobilisations dans divers pays. Mais le problème est vite apparu : les 99 % forment un ensemble extrêmement disparate. Cette catégorie inclut aussi bien les habitants des bidonvilles de Delhi ou de Rio que les prospères résidents de Neuilly-sur-Seine ou de Manhattan qui ne sont juste pas assez riches pour intégrer les 1 %. Difficile d’imaginer que les intérêts de ces populations convergent ou que celles-ci constituent un jour un groupe politique cohérent.

in Ce que la bataille culturelle n’est pas, par Razmig Keucheyan (Le Monde diplomatique, mars 2018)

https://www.monde-diplomatique.fr/2018/03/KEUCHEYAN/58474

Ici Razmig Keucheyan raisonne au plan mondial : la Caste du 1% d’enhaut au plan mondial contre ce que j’ai nommé l’humanité-classe 99% qui est effectivement très disparate. Il s’agit de montrer une hyper-classe dominatrice et prédatrice à travers ce rapport, qui ne prétend pas unifier l’humanité-classe sous ce mot.

Le problème est moins net au plan national . Le peuple-classe 99% est lui-même clivé entre un patronat aisé et une fraction de l’encadrement (encadrement lui même hétérogène) contre et au-dessus du « reste du salariat » (public ou privé) . On évoque aussi les possédants du 10% d’en-haut. C’est secondaire mais si on veut opérer des distinctions alors autant le noter.

Ce « reste du salariat » (hors donc patronat et encadrement interne au peuple-classe) est lui-même doublement clivé : verticalement entre travailleurs du public et travailleur du privé et horizontalement face aux marchés des biens et services (sphère de la circulation) entre travailleurs à revenus modestes (souvent précaires) et travailleurs solvables (ayant fait carrière et ayant accédés à la « classe moyenne »).

Se rajoute, outre le classisme, en matière de division du peuple-classe le racisme et le sexisme .

Evoquer le peuple-classe c’est travailler comme syndicaliste aux convergences des fractions de peuple-classe. Mais, à la différence d’un certain syndicalisme, nous ne nous précipitons pas pour « nouer des alliances » avec une fraction du 1% ou pour « cimenter un bloc social » idéologico-politique sur la base d’une alternance intra-systèmique plutôt qu’une alternative extra-systémique. Nous maintenons pour le peuple-classe une perspective éco-socialiste et alter-démocratique.

III) La réponse à Denis COLLIN

Il écrit : La Sociale - Où est passé le sujet révolutionnaire ?
http://la-sociale.viabloga.com/news/ou-est-passe-le-sujet-revolutionnaire

Citation : « La classe dominante ne reste dominante que parce qu’elle s’appuie sur des classes subalternes dont les intérêts immédiats sont directement liés à ceux de la classe dominante. Toute la masse des classes moyennes supérieures, managers de tous poils, cadres commerciaux, traders petits et grands, tous ces « start-upers » qui se rêvent en Bill Gates, n’ont rien à faire d’une « révolution citoyenne ». Ils veulent payer moins d’impôts sur le revenu, continuer de rouler dans leurs berlines, allemandes de préférence, et profiter des joies de la vie bourgeoise enfin libérée des conventions de la vieille bourgeoisie patrimoniale. Et ces gens-là sont nettement plus de 1% ! Formés et même formatés idéologiquement dans les écoles de commerce, ce sont ceux qui tiennent le haut du pavé. »

Bien sûr la classe dominante a une stratégie de « bloc social » qui ne vise d’ailleurs hélas pas que la classe moyenne supérieure car tous les « gagnants » fussent-ils à un niveau plus bas peuvent être tentés par l’idée d’appartenir à ce bloc. Mais nul n’est forcé d’en accepter l’idée. D’autant que quand on parle de peuple nation on hésite pas à englober largement vers le haut mais pas toujours vers le bas. D’ailleurs que pense Denis Collin du droit d’installation des migrants ayant résidé durablement sur le territoire national, lui qui fustige, via les ouvriers français, les « no borders » ?

Denis Collin évoque aussi un « sujet de remplacement » à propos des 99 %. Mais ce n’est pas parcequ’on invoque le peuple-classe ou un peuple-classe 99% qu’on en fait un sujet historique immédiatement porteur d’une alternative contra-systémique . Ni qu’on oubli nécessairement d’avoir un projet ou un programme. On peut même faire place au prolétariat comme il le fait d’ailleurs : « En défendant ses conditions de vie contre les empiétements incessants du capital, le prolétariat reste le môle de résistance le plus constant et le facteur d’ordre ultime » Bien, mais il s’agira des travailleurs publics et privés du 99%. Les « travailleurs du 1% » sont plus des dominants que des dominés. Pas d’augmentation de revenus pour le 1% !

XX

Revenons à l’évocation d’un peuple-nation pour un certain marxisme

C’est bien là évoquer un peuple communautaire, un « peuple totalité », certes plus le peuple démocratico-citoyen que le peuple ethno-national (du FN) encore qu’il y ait des identitaires de gauche modérée, mais ce « peuple tout » a , comme tout référent communautaire , la faculté de cacher et couvrir une fraction à critiquer : ici ce n’est pas les intégristes religieux mais la classe dominante du 1% d’en-haut, ceux qui sont riches et ceux qui ont le pouvoir. D’ailleurs Denis Collin évoque une « mince couche oligarchique » et il ajoute pour être clair qu’elle serait plus mondialisée que nationale.

Un certain marxisme sert à défendre les riches du 1% sous couvert d’un peuple nation. On a alors une expression d’un marxisme communautaire de défense du peuple-nation, de la République et de la Nation, soit des entités très englobantes qui permettent bien de montrer ceux qui sont hors de la République et de la nation mais pas la classe dominante. Ce marxisme permet une position souverainiste contre l’Union européenne tout autant que de fustiger les migrants ! Ce n’est pas le nôtre : le combat social et le combat laïque disparait sous l’interclassisme du peuple-nation.

Christian DELARUE

Addendum

L’émergence d’une classe de rentiers

Sous-titre de la page 30 du livre d’ATTAC (qui reprend un propos de France Stratégie) : TOUJOURS PLUS POUR LES RICHES - Manifeste pour une fiscalité juste - ATTAC

10 % des français détiennent la moitié des richesses. Et la moitié des baisses d’impôts contenues dans la loi de finances de l’Etat pour 2018 va profiter aux 10% les plus riches (OFCE) (p 7 ATTAC)

Le patrimoine mobilier (dont le patrimoine financier) représente 40% du patrimoine des ménages en 2012. Surtout il est (page 31) de :
 60% pour les 5% les plus aisés
 70% pour le 1% les plus riches
 80% pour les 30 000 ultra-riches, les plus riches au sein du 1% d’en-haut.