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Luttes dans l’enseignement supérieur : un mouvement particulièrement puissant. P Zarifian

jeudi 12 février 2009, par Amitié entre les peuples

Luttes dans l’enseignement supérieur : un mouvement particulièrement puissant.

Par Philippe Zarifian

Au moment où nous écrivons ces lignes, nous ignorons si le mouvement engagé sera vainqueur ou non. C’est bien entendu décisif : quand un tel mouvement se lance, ce n’est pas seulement pour manifester ou témoigner. C’est pour gagner. Et vaincre contre un gouvernement n’est pas chose facile. Nous montrerons qu’une partie de la bataille est d’ores et déjà gagnée, mais l’essentiel ne l’est pas encore.

Il s’agit d’un mouvement exceptionnellement puissant pour ce lieu complexe est qu’est le monde universitaire. Cela se marque dans les manifestations, dans la force d’engagement de ceux qui sont entrés en lutte, mais cela se marque aussi au sein même des universités dans le fait que, progressivement, toutes les personnes qui « font » la vie universitaire se sont engagées dans le mouvement, et sont rejointes actuellement par les étudiants, de telle sorte que, chaque jour passant, le gouvernement est de plus en plus isolé. Ce mouvement est parti des enseignants et enseignants-chercheurs – la nuance est importante : une partie des enseignants n’ont pas le statut d’enseignant-chercheur et se sont néanmoins engagées dans la lutte. Très vite les BIATOSS ont élaboré les propres revendications et ont rejoint le mouvement global.

Les étudiants, dont une partie revenait d’une semaine de congés, ont largement voté la grève. Enfin, ce qui était presque inespéré – car les réformes annoncées renforcent considérablement leur pouvoir – une partie des Présidents d’Université se sont déclarés solidaires et ont pris partie en lançant, le lundi 9 février, l’« appel de la Sorbonne ».

Il faut ajouter que la CNU et ses commissions, la CNU étant, par disciplines, l’instance nationale de qualification et d’évaluation des universitaires, s’était déjà déclarée hostile à la « réforme », malgré les tentatives de neutralisation, voire de corruption, de Mme Pécresse.

Encore une fois : une telle convergence est exceptionnelle et cela s’est fait très vite, avec, au départ, un simple appel de la Coordination Nationale qui avait, plusieurs semaines à l’avance, fait une déclaration, indiquant que le 2 février les universités seraient en arrêt, déclaration qui en avait surpris beaucoup, mais qui a été « auto-réalisatrice » : oui, le 2 février, la grève était lancée, dans bon nombre d’ universités ! Il fallait oser. Cela s’est fait !

La manière dont le mouvement s’est construit n’est pas étranger à sa puissance.

Si on devait encore en douter, les pratiques autogestionnaires ont montré leur efficacité et prouvé qu’une démocratie active est plus qu’efficace : elle est aussi enthousiasmante.

Sans vouloir généraliser à l’ensemble des universités, une partie d’entre elles, les plus avancées dans le mouvement, ont fonctionné par la tenue d’Assemblées Générales, et la réalisation d’accord en leur sein, AG d’abord tenues pour adopter les motions qui allaient être défendues, face au gouvernement, par le mouvement, AG ensuite pour expliquer aux étudiants la raison de la lutte et solliciter leur avis, questions, engagements, AG enfin, de plus courte durée, pour statuer sur les décisions de conduite de la lutte « au fil de l’eau ». Bien entendu, des militants ont pris en charge l’organisation et la représentation de chaque université dans la coordination nationale (délégués élus eux-mêmes en AG), mais on trouvait, parmi ces militants, aussi bien des non-syndiqués que des syndiqués, l’important n’étant pas la « couleur syndicale », mais la volonté d’agir et de respecter la démocratie active, sans aucune confiscation du conflit.

La relation aux organisations syndicales, d’enseignants ou d’étudiants, n’était pas simple. Ou du moins, elle n’était pas gagnée d’avance. Les syndicalistes sont à la fois des « professionnels » de la prise de parole et de sa confiscation, et des professionnels de « dossiers », ceux qui sont supposés détenir le savoir et l’information. Dans notre université, il a fallu, au départ, quelques engueulades pour qu’ils comprennent comment le mouvement était parti et devait rester. Il faut être lucide : ces syndicalistes sont souvent des « petits bureaucrates », qui trustent la représentation au sein des nombreux conseils et commissions dont les universités sont dotées, avec, en temps normal, aucune consultation de la « base » et très peu de compte rendus des débats et décisions arrêtées dans ces instances, mis à part quelques mails. Mais, dans notre université du moins – car nous ne pouvons généraliser – ce sont des « bureaucrates sincères » et qui ont su évoluer en fonction du style pris par le mouvement. La chose qui a été la plus difficile, pour eux, a été de ne pas céder à la tentation de la monopolisation de la parole.

Mais n’attendons pas, de ces syndicalistes, d’être en majorité des autogestionnaires ! Il a été clair dès le départ que le mouvement n’était en rien antisyndical, qu’ils y avaient leur place, mais qu’il ne fallait pas qu’ils tentent de le confisquer.

Venons-en au contenu.

Trois revendications ont été au départ de la lutte et en sont restés les objectifs principaux.

La première sur la non publication et adoption du décret devant modifier le statut des enseignants-chercheurs. La seconde, tout à fait importante, bien que plus technique, sur le refus de la « masterisation », c’est-à-dire l’imposition, aux futurs enseignants du primaire et du secondaire, de suivre et de réussir un diplôme de master, donc à bac+5, diplôme leur ouvrant seulement la possibilité d’être ensuite recrutés (mais en aucun cas la certitude), enfin une revendication sur les postes et les budgets, particulièrement important pour la personnels techniques, administratifs et de documentation, qui souffrent déjà de sévères réductions d’effectifs et de salaires scandaleusement bas, par rapport au travail et aux responsabilités lourdes qu’ils assument.

Nous l’avons indiqué : le mouvement est déjà victorieux sur un point : le refus de déposer les maquettes de futurs masters, voire tout simplement de les élaborer, rend d’ores et déjà impossible l’ouverture de ces nouveaux masters à la rentrée 2009. Et, plus à terme, on ne voit pas comment le gouvernement pourrait mettre en œuvre cette « réforme » sans l’accord des universitaires qui sont censés la prendre en charge ! Cette masterisation, qui met en cause l’existence des UIFM est d’une complète absurdité, car un aspect essentiel de la formation des futurs enseignants du primaire et du secondaire réside bien entendu dans leur compétence pédagogique. Comment des universitaires, à partir de masters, pourraient-ils la fournir ou même l’encadrer ?

Par ailleurs, pour le nouveau statut des enseignants-chercheurs, même si le décret était publié, il existe mille moyens pratiques de le bloquer, ne serait-ce qu’en refusant de participer aux instances d’évaluation locales des enseignants ou de participer aux commissions de recrutement. La réalité est là : les universités ne peuvent pas fonctionner sans l’accord et l’implication des universitaires ! C’est une vérité de base que le gouvernement est en train de découvrir !

Mais, derrière tout cela, le fond est bel et bien la loi LRU, sur l’« autonomie des universités », déjà adoptée.

L’orientation de cette loi est d’une grande simplicité : transformer les universités en entreprises, gérées comme telles, avec un président PDG, un comité de direction doté de tous les pouvoirs, des fonctions identiques à celles des entreprises (le gag étant la création d’une fonction de « gestion des ressources humaines » !), et, bien entendu, ces entreprises seront mises en concurrence, avec évaluation nationale par un comité d’experts nommé par le gouvernement, qui décidera de l’allocation des moyens budgétaires. On va « produire » de manière concurrentielle des étudiants ! Le reste en découle : le projet de décret portant modification du statut des enseignants-chercheurs, n’est pas autre chose que la transformation de ceux-ci en purs salariés de chacune des universités, recrutés, payés et gérés par le PDG et son comité de direction, avec sa « direction des ressources humaines » et ses "commission des recrutement. En ligne de mire : une progressive extinction du statut, remplacé par des enseignants recrutés et payés sur contrats privés (ce qui est déjà partiellement le cas).

C’est contre cette perspective que le mouvement s’est levé. L’enjeu en est considérable !

Nous terminerons par une dernière remarque : il est vrai que pour l’instant, ce mouvement est « contre ». Il affirme un NON. Il dit, ce qui est vrai, que mieux vaut rester dans l’ancien système que de basculer dans le nouveau. Mais il va de soi qu’il faut penser et proposer une vraie alternative, car le fonctionnement ancien est très bureaucratique et défend des niches de privilèges qu’il faut remettre en question.

Cela dit, il faut respecter aussi le rythme de la lutte et les bases d’accord entre catégories (et entre sensibilités politiques très diverses) qui existe actuellement. Pour l’instant, le NON est essentiel : pas question d’ouvrir un quelconque débat ou concertation, si les projets actuels ne sont pas retirés. C’est après qu’une nouvelle phase pourrait s’ouvrir.