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L’homophobie se dévoile dans l’entreprise

dimanche 7 septembre 2008, par Amitié entre les peuples

L’homophobie se dévoile dans l’entreprise

le 4 septembre 2008

Une étude publiée par la Halde évalue la discrimination dont sont victimes les homosexuels au travail. Une pratique difficile à combattre, car souvent indirecte. L’analyse de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Extrait du magazine Alternatives Economiques.

11,6 % des salariés homosexuels auraient été, au cours de leur carrière, écartés d’une promotion interne du fait de leur orientation sexuelle. Près de neuf salariés sur dix auraient été victimes d’une forme d’homophobie plus larvée, faite de rumeurs ou de blagues. Une étude réalisée par le cabinet RCF Management pour le compte de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) auprès de 1 400 salarié(e)s homosexuel(e)s fait la lumière sur l’homophobie dans l’entreprise (voir « Pour en savoir plus »). Une pratique connue, mais dont on n’avait jamais mesuré l’ampleur de façon aussi précise.

L’homophobie a parfois des conséquences directes sur la carrière. Ainsi, 4,5 % des salariés interrogés estiment avoir été licenciés du fait de leur homosexualité, 5,2 % n’auraient pas vu leur contrat renouvelé et 7,5 % auraient été écartés d’une embauche pour la même raison. De leur côté, 7 % des lesbiennes estiment que « leur carrière s’en ressent », selon une enquête spécifique à la lesbophobie, réalisée par questionnaire fin 2003 et dont les résultats viennent d’être dévoilés.

Discriminations multiples

L’homophobie la plus répandue est cependant moins directe. Neuf salariés homosexuels sur dix se plaignent d’avoir été victimes d’homophobie larvée ou implicite au moins une fois dans leur parcours professionnel, et 39 % dans l’entreprise où ils travaillent. Cette discrimination prend d’abord la forme de blagues ou de propos homophobes (87 %), d’insultes (35 %) ou de menaces d’outing (dévoilement de l’homosexualité) dans 8 % des cas. Gestes, voix, coiffure ou tenue vestimentaire constituent les principaux objets de brimades. « L’essentiel de l’homophobie dont souffrent les gays et lesbiennes de l’enquête s’apparente à un mélange d’hétérocentrisme (*) pesant, de rejet de la différence, de formes d’ignorance et de préjugés sur l’homosexualité, ainsi que de blagues et d’injures qui sont banalisées dans la société française », indique l’étude de la Halde.

Cette enquête complète des travaux réalisés précédemment. Selon une étude menée auprès de 2 000 salariés hétéros ou homosexuels en mars 2007, dans le cadre du projet « Dans l’emploi, lutter pour l’égalité et contre les discriminations liées à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle [1] » (Deledios), 6 % des salariés reconnaissent avoir tenu des propos homophobes (10 % des hommes et 2 % des femmes). 41 % des salariés estiment qu’être homosexuel a une répercussion sur le recrutement et 34 % sur la promotion et l’évolution personnelle. Au total, 3 % des salariés indiquent avoir subi un comportement homophobe (blagues, moqueries, harcèlement, violences verbales ou physiques).

L’un des points forts de l’étude est de montrer comment l’homophobie se conjugue avec d’autres formes de discrimination. « Les répondants perçoivent des discriminations que tous les salariés connaissent : le faible niveau de diplôme explique des difficultés dans l’accès à la formation continue ; l’âge et l’ancienneté dans l’entreprise augmentent les occurrences de possibles discriminations et réduisent les opportunités de carrière ; le sexe explique que les lesbiennes se sentent plus discriminées dans le domaine des salaires », note l’étude de la Halde. L’enquête sur la lesbophobie fait particulièrement apparaître ce phénomène : « Les formes de discrimination se mélangent pour les femmes. Il est parfois très difficile de prouver que l’origine est liée à l’orientation sexuelle », commente Stéphanie Arc [2], de SOS-homophobie, qui a suivi cette enquête.

En retard sur la société

L’homophobie dans l’entreprise constitue l’un des volets d’un phénomène plus large touchant l’ensemble de la société. Selon l’enquête presse gay 2004 réalisée par l’Institut de veille sanitaire et l’Agence nationale de recherches sur le sida auprès de 6 000 lecteurs de la presse destinée aux homosexuels, 31 % des répondants déclarent avoir été victimes d’actes homophobes au cours des douze derniers mois, 6 % de violences physiques et 8 % de brimades, critiques ou mises à l’écart en raison de leur orientation sexuelle. Cela ne signifie pas pour autant que l’homophobie est généralisée dans le monde du travail. « Là où il faut relativiser ces statistiques, c’est sur le fait que, sur un collectif de 30 ou 40 personnes au sein d’une entreprise, s’il y en a ne serait-ce qu’une seule qui pratique des actes homophobes, elle peut vous pourrir la vie », explique Alain Piriou [3], porte-parole de l’Inter-LGBT (Interassociative lesbiennes, gay, bis et transexuels).

Les enquêtes d’opinion font apparaître une tolérance croissante dans la société française. Ainsi, selon l’enquête presse gay, les salariés homosexuels estiment que la proportion de leurs collègues de travail qui acceptent leur situation serait passée de 35 % à 63 % entre 1985 et 2004. « L’étude de la Halde va contribuer à la sensibilisation. Les syndicats commencent à se mobiliser un peu, ainsi que les autorités publiques. Mais ces signes sont loin d’arrêter la souffrance au travail aujourd’hui », assure Jacques Lizé, président de Sos homophobie, association de soutien aux personnes victimes d’homophobie, qui dresse un bilan chaque année (voir « Pour en savoir plus »). « La situation est meilleure qu’il y a cinq ans, mais la société bouge beaucoup plus vite que le monde du travail, regrette pour sa part Catherine Tripon, porte-parole de l’Autre Cercle [4]. Dans les entreprises, les stéréotypes fonctionnent encore énormément, notamment pour l’accès aux postes de direction. »

Se saisir vraiment du problème

La prise de conscience est une chose, l’action en est une autre. D’abord parce que distinguer ce qui relève de l’homophobie n’est pas facile. Toutes les brimades dont sont victimes les homosexuels ne sont pas toutes le signe d’une homophobie ; d’autres salariés les subissent aussi. En même temps, certaines agressions à caractère non homophobe constituent de l’homophobie déguisée.

Par ailleurs, un grand silence entoure toujours l’homosexualité. « Nous sommes encore dans une époque où nous préférons cacher notre homosexualité au sein du travail pour conserver une bonne entente entre collègues. En résulte une certaine indifférence dans nos rapports avec les autres, nous sommes dans l’impossibilité de partager notre vie privée, contraints de mentir pour rester fidèles au personnage que nous jouons face aux autres, jour après jour », indique un jeune homme de 23 ans interrogé pour l’étude de la Halde. Certains homosexuels ne peuvent pas être victimes, tout simplement parce qu’ils cachent leur situation. « Je suis professeur agrégé en mécanique dans un IUT. (...) La mécanique et le génie civil ne sont »pas faits pour les tantouzes« (j’entends ça au moins tous les jours !). Etre réputé homosexuel dans cette ambiance serait suicidaire : celui qui le fait savoir peut faire sa valise le lendemain », indique un homme de 39 ans dont le témoignage est retranscrit dans l’étude.

Plus du quart des homosexuels n’ont donc jamais évoqué leur homosexualité au travail, qui est le dernier lieu où l’on en parle. Le phénomène semble être encore plus important pour les lesbiennes. « Rendre visible son statut, en soi, cela signifie des difficultés, explique Jacques Lizé. A ceux qui réagissent, on leur dit qu’ils »n’assument pas« leur homosexualité. On ne tiendrait pas des propos similaires pour d’autres formes de discrimination. » Faute de pouvoir se dévoiler, certains salariés ne disposent pas de certains droits accordés aux couples pacsés, eux-mêmes encore inégaux par rapport aux couples mariés (6).

« Il faut aussi très clairement que les entreprises, leur direction en particulier, se saisissent vraiment du problème. Qu’elles affirment clairement des règles. Que la politique d’écrémage en fonction de l’orientation sexuelle comme de la couleur de la peau ou du sexe cesse. Cela nuit aux intérêts mêmes de l’entreprise », plaide Catherine Tripon. La Halde a recommandé une politique en trois temps : formation et sensibilisation des salariés, mise en place de dispositifs d’alerte favorisant le dialogue et protection des salariés en renforçant le rôle des médecins et des inspecteurs du travail. Elle indique, enfin, qu’une politique de sanction contre les actes et les injures homophobes doit être mise en place, au même titre que les actes et les injures racistes ou sexistes. L’Inter-LGBT, pour sa part, « demande aux pouvoirs publics et aux partenaires sociaux de se saisir du problème, pour que la lutte contre toutes les discriminations, dont celles liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, devienne une priorité du dialogue social ».

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http://www.inegalites.fr/spip.php?article930