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Homophobie = identité nationale ?

mardi 1er juillet 2008, par Amitié entre les peuples

Le Monde

Article paru dans l’édition du 28.06.08

L’attitude du pouvoir à l’égard des homosexuels entretient une inquiétante exception française

En matière d’égalité des droits entre les sexualités, la France est aujourd’hui à l’arrière-garde de l’Europe. Ainsi, le mariage s’est ouvert aux couples de même sexe chez nos voisins, aux Pays-Bas, en Belgique, en Espagne et maintenant en Norvège, tandis que le Royaume-Uni leur propose un partenariat civil égal au mariage. Au-delà, du Canada à l’Afrique du Sud, et, après le Massachusetts hier, aujourd’hui la Californie, la logique de la démocratie sexuelle se déploie à travers le monde. Mais à l’heure où elle s’apprête à assumer la présidence de l’Union européenne, loin d’en ouvrir le chemin, la France de Nicolas Sarkozy choisit de fermer la marche de l’égalité.

Certes, à la fin des années 1990, le pacs - auquel la droite s’opposait alors avec virulence - représentait bien une avancée ; mais aujourd’hui, il apparaît plutôt comme un sous-mariage. Et le projet d’union civile qu’annonçait naguère Nicolas Sarkozy, pour l’instant relégué dans l’oubli, ne serait-il pas en réalité une voie de garage réservée aux homosexuels pour mieux leur interdire l’accès à la filiation ? Quant à la réforme de l’autorité parentale qui se dessine, on n’y fait aucune mention de l’homoparentalité, comme si les parents homosexuels n’étaient que des « tiers » exclus.

Du reste, cette exclusion ne touche pas seulement les couples de même sexe, mais aussi bien les personnes homosexuelles - alors même que le droit français interdit la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a récemment condamné la France pour avoir refusé l’adoption à Emmanuelle B. en raison de son homosexualité. Pourtant, le gouvernement n’a pas cru bon de réagir. Bref, par contraste avec un monde qui bouge, on voit la France se figer dans l’immobilisme d’un ordre traditionnel présumé immuable.

L’homophobie d’Etat, c’est donc la nouvelle exception française - du moins parmi les sociétés qui se veulent démocratiques. Or n’est-ce pas là que l’homophobie ordinaire trouve sa justification, tout comme la xénophobie d’Etat légitime le racisme ordinaire ? Les violences infligées à deux hommes qui se tiennent par la main, ou les insultes dirigées contre deux femmes qui s’embrassent dans la rue ne signifient-elles pas le refus d’amours qui affichent une existence libre et égale ? Et la discrimination d’Etat, qui semble donner raison à ce rappel à l’ordre de l’inégalité des sexualités, ne vient-elle pas encourager l’homophobie quotidienne ?

N’allons pas croire que cette question soit marginale, qu’elle touche les seuls homosexuels, voire seulement celles et ceux qui voudraient se marier ou avoir des enfants. En réalité, c’est un enjeu national. Rappelons qu’hier encore Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères, envoyait une circulaire demandant « aux consulats de refuser d’enregistrer les pacs dans les pays qui prohibent la vie de couple hors mariage de deux personnes de sexe différent ou de même sexe ».

Pis encore, aujourd’hui, Frédéric Minvielle, Français marié à un Néerlandais, a été déchu de sa nationalité (et à ce jour, les protestations n’y ont rien changé) pour avoir acquis celle de son conjoint - sanction qui lui aurait été épargnée s’il avait épousé une Néerlandaise. C’est pour la France la manière la plus brutale de ne pas reconnaître le mariage des homosexuels, légal aux Pays-Bas.

Bref, d’une part, la définition du pacs s’arrête aux frontières nationales, mais d’autre part, en retour, le mariage définit les frontières de la nation. Ce n’est donc pas un hasard si la campagne contre l’immigration dite « subie » passe aujourd’hui par un contrôle accru des mariages binationaux et de la filiation dans le cadre du regroupement familial : c’est a priori qu’on soupçonne désormais les étrangers de « mariage blanc », voire de ce qu’on appellera bientôt sans doute « filiation blanche ». L’identité nationale selon Nicolas Sarkozy est bien une affaire de famille.

Pendant la campagne présidentielle, interpellé sur son soutien à une définition du mariage homophobe, puisqu’elle en exclut les homosexuels, le candidat répondait : « Je ne vous accuse pas de ne pas aimer les hétérosexuels parce que vous défendez cette position, je vous serais reconnaissant de considérer que je ne suis pas homophobe. » Mais il n’en fondait pas moins son choix politique sur sa nature sexuelle, en ajoutant aussitôt : « Je n’ai pas fait le choix de l’hétérosexualité, je suis né hétérosexuel. »

La question n’est pourtant pas de savoir si Nicolas Sarkozy est homophobe, ou pas - s’il « subit » son hétérosexualité, ou non. Au-delà de son identité personnelle, le projet politique du président ne serait-il pas aujourd’hui de proposer une version française de la démocratie sexuelle, étroitement hétérosexuelle ? Davantage que chez nos voisins qui ouvrent le mariage aux couples de même sexe, on devine d’ailleurs qu’elle serait compatible avec les racines chrétiennes que Nicolas Sarkozy revendique pour la France, comme Benoît XVI pour l’Europe.

L’exception française n’a donc rien d’accidentel. L’homophobie d’Etat actuelle n’est pas une politique par défaut, simple résidu d’un conservatisme voué à être dépassé. Plus profondément, et de manière plus inquiétante, c’est l’autre visage de la démocratie hétérosexuelle, soit un projet d’identité nationale fondé sur l’identité hétérosexuelle exclusive. Avec Nicolas Sarkozy, la xénophobie d’Etat se marie dangereusement à une homophobie d’Etat.

Daniel Borrillo, Eric Fassin, Noël Mamère, Caroline Mécary