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Contre la rigueur, « la dépense publique est un précieux levier de croissance » C Ramaux

samedi 19 avril 2014, par Amitié entre les peuples

Contre la rigueur, « la dépense publique est un précieux levier de croissance »
18 Avril 2014 ,

LE MONDE | 18.04.2014 à 08h57 |

Par Christophe Ramaux (Economiste, maître de conférence à l’université Paris 1)

En France, la dépense publique équivaut à 57 % du PIB. Face à ce chiffre, régulièrement brandi par les libéraux, les défenseurs de l’intervention publique sont souvent eux-mêmes gênés. Ne resterait-il que 43 % pour le privé ? Cela est faux. La dépense publique s’est élevée à 1 151 milliards d’euros en 2012, ce qui équivaut effectivement à 57 % du produit intérieur brut (2 032 milliards). Mais elle n’est pas une part du PIB. En la rapportant à celui-ci, on la compare à une grandeur familière. Cette mise en relation n’est pas infondée en soi.
Encore faut-il ne pas se méprendre, avec la méthode retenue pour calculer la dépense publique (l’addition des salaires, consommations intermédiaires, investissements et surtout prestations et transferts payés par les administrations publiques), la dépense privée des ménages et des entreprises peut être estimée à plus de 200 % du PIB ! Comment s’y retrouver ?

La dépense publique a en fait deux principaux volets. La production de services publics tout d’abord. N’en déplaise aux libéraux, mais aussi aux marxistes (qui n’ont jamais été en pointe pour penser l’Etat social), tous les pays du monde considèrent que les fonctionnaires sont productifs, augmentent le PIB. Cela découle d’une convention retenue par l’ONU, laquelle établit les normes de comptabilité nationale. En France, la valeur ajoutée des fonctionnaires s’élève à 333 milliards. C’est peu en un sens : le « poids » du public s’élève ainsi à seulement 16 % du PIB. On pourrait parfaitement l’augmenter pour satisfaire de nombreux besoins (investissements pour l’écologie, recherche, culture…). Mais c’est loin d’être négligeable, cela représente un tiers de la valeur ajoutée par les entreprises de droit commun – les sociétés non financières (1 018 milliards) –, le reste étant produit surtout par les ménages (dont les entrepreneurs individuels).

La production des administrations publiques est essentiellement non marchande. On ne glisse pas une pièce pour obtenir la lumière du réverbère, à l’entrée des écoles ou des commissariats. Mais si son accès est gratuit pour les usagers, un service public n’est pas pour autant gratuit. Il faut bien le payer, à l’instar de toute production. Cela est fait par l’impôt, un prix socialisé qui assure au fond le même rôle (payer une production) que le prix marchand du café ou du croissant. Un enseignant contribue au PIB et un élève en consomme. Les services publics produits se retrouvent en termes de consommation : celle de services individualisables (éducation, hôpital public, culture… 136 milliards) et collectifs (police, justice… 175 milliards).

L’autre grand volet de la dépense publique – plus de la moitié – est constitué des prestations sociales en espèces (retraites, allocations familiales et chômage…) (404 milliards) et en nature (médicaments, consultations de médecine libérale, allocations logement… 192 milliards). Ces prestations, financées par des cotisations sociales ou des équivalents, ne servent aucunement à payer des fonctionnaires : elles sont versées aux ménages et cela soutient leurs dépenses auprès du privé. Bref, les décidément bien mal nommées « charges » sont aussi un revenu pour les ménages, lequel bénéficie au privé.

Pas à pas, on prend la mesure de l’apport de la dépense publique : elle soutient massivement les débouchés, lesquels déterminent – si du moins on accepte deconsidérer que l’offre ne peut exister sans demande – le montant du PIB. En France 80 % des débouchés relèvent de la consommation (1 675 milliards), 20 % de l’investissement (402 milliards). Le public (les collectivités locales en particulier) réalise 15 % de l’investissement, les sociétés non financières la moitié, le reste étant principalement constitué par la construction de logements des ménages. Une part de l’investissement privé est soutenue, à travers des aides de toutes sortes, par de la dépense publique.

Mais l’essentiel se joue du côté de la consommation. Qu’y trouve-t-on ? D’un côté, donc, la consommation de services publics individuels et collectifs (311 milliards au total), à laquelle s’ajoute l’achat de biens et services marchands (médicaments…) payés par les prestations en nature (192 milliards). De l’autre, la dépense de consommation finale des ménages entendue comme ce qu’ils paient directement (1 130 milliards). Mais une part non négligeable de cette dernière est permise par les prestations sociales en espèces (retraites…). Si l’on suppose que 15 % de celles-ci sont épargnées – estimation haute – cela fait 340 milliards dépensés. En définitive, la moitié de la consommation (de l’ordre de 843 milliards sur 1 675) est supportée, d’une façon ou d’une autre, par la dépense publique. On comprend mieux pourquoi la baisse de cette dépense a des effets dépressifs sur le PIB.

Le président de la République et son nouveau premier ministre, à l’instar du précédent, ne l’admettent toujours pas. Comme si le coup de menton permettait de s’affranchir des faits, ils s’entêtent à vouloir réduire la dépense publique. Cela a été fait massivement en Grèce, au Portugal ou en Espagne. Avec les résultats que l’on sait : la chute du PIB, et, au passage, le dénominateur s’effondrant, l’explosion du ratio dette publique par rapport au PIB.

Trois remarques pour conclure. Durant les « trente glorieuses », la dépense publique rapportée au PIB a peu augmenté : de 37 % en 1959 à 40 % en 1974. Cela ne signifie pas que cette dépense n’augmentait pas. Elle croissait vivement, au contraire, de même que les salaires nets. Cela permettait de soutenir la demande et le PIB. D’où, finalement, un ratio dépense publique sur PIB relativement stable. Dans certains pays la dépense publique est plus faible, ils ont fait le choix de recourir plus amplement au privé pour la santé et les retraites. A la fin de chaque mois, les entreprises paient certes moins de charges sociales, mais elles paient, on l’oublie trop souvent, plus de charges privées (contributions aux assurances privées et aux fonds de pension). Ces pays s’en portent-ils mieux ? L’espérance de vie à la naissance aux Etats-Unis, pour ne citer que ce chiffre, est inférieure de deux ans et demi à celle observée en France. La dépense publique soutient l’activité, mais elle joue aussi un rôle majeur, et souvent méconnu, dans la réduction des inégalités.

En France, les 20 % les plus riches ont huit fois plus de revenus primaires (salaires, revenus du patrimoine) que les 20 % les plus pauvres. Le jeu des impôtsdirects (l’impôt sur le revenu notamment) et des cotisations réduit cet écart à sept. Bien plus que par les prélèvements, c’est par la dépense publique que les inégalités sont réduites. On passe finalement à trois grâce aux prestations sociales et à la consommation de services publics. Il est temps de porter un regard neuf sur la dépense publique.

Article publié sur le site :

http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/04/18/contre-la-rigueur-la-depense-publique-est-un-precieux-levier-de-croissance_4403678_3232.html

et aussi sur :
http://lebloglaicdechamps.over-blog.com/2014/04/contre-la-rigueur-la-depense-publique-est-un-precieux-levier-de-croissance.html