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Burqa et niqab : contre la dépersonnalisation indifférenciée. C. Kintzler

dimanche 19 juillet 2009, par Amitié entre les peuples

Burqa et niqab : contre la dépersonnalisation indifférenciée

Par Catherine Kintzler | Philosophe | 25/06/2009 | 17H24

Version longue sur le site mezetulle.net

http://www.mezetulle.net/article-32952241.html

On ne peut que saluer l’initiative des députés proposant une commission d’enquête parlementaire au sujet du port de la burqa et du voile intégral (niqab). L’espoir que ce travail, s’il est engagé, débouche sur une interdiction -ou à défaut sur une réglementation- n’est pas mince. Mais sur quel fondement appuyer une telle mesure ?

L’argument de la laïcité, ordinairement avancé, est en porte-à-faux. Celui de l’oppression des femmes se révèle, à l’analyse, plus fragile qu’il n’y paraît pour asseoir un interdit. Reste la question du masque, du déni d’identification et surtout, au-delà, celle de la dépersonnalisation indifférenciée qui atteint l’idée même du citoyen.

Le texte de la proposition de commission d’enquête offre une piste intéressante et aborde trois questions essentielles. Dire en effet que la burqa n’est pas qu’un signe religieux : elle est bien plus que cela, c’est ouvrir une voie d’approche, celle de l’excédent. Et trois questions sont abordées : celle du signe religieux, celle de l’oppression des femmes, celle du déni d’identification. Passons-les en revue.

Au-delà d’un signe religieux

Il me semble impossible d’interdire burqa et voile intégral (niqab) dans l’espace civil au seul motif que ce sont des signes religieux. Le régime de laïcité impose l’abstention de ces derniers dans le seul espace relevant de l’autorité publique et parallèlement il établit la tolérance dans l’espace civil. La loi de 2004 sur le port des signes religieux à l’école publique élémentaire et secondaire est conforme à cette conception. J’ai tenté de théoriser cette position dans le livre « Qu’est-ce que la laïcité ? » (Vrin).

Si on interdisait burqa et niqab dans l’espace civil en tant que signes religieux, il faudrait aussi y interdire le voile non intégral, la kippa, les croix, arracher les calvaires, faire taire les cloches… ce qui reviendrait à abolir la liberté d’expression religieuse.

L’oppression des femmes

L’approche par la question de l’oppression des femmes semble plus solide du point de vue du débat de société. Nul doute qu’on doive s’en émouvoir : burqa et niqab sont en effet, si l’on peut dire, une exclusivité féminine, une exclusivité excluante particulièrement choquante et ostensible.

Mais cette approche est à mon sens fragile du point de vue qui importe ici, celui d’une réglementation ou, mieux, d’une interdiction dans l’espace civil, car cela engage les libertés formelles. Il sera en effet facile aux sectes concernées de trouver des porteuses de burqa et de niqab pour déclarer qu’elles affirment librement par là leur féminité et leur dignité -du reste qu’y a-t-il de plus affirmatif d’une féminité essentielle que la burqa ?

Les sectaires nieront toujours que ce port est un signe d’infériorité ou d’oppression. La seule chance serait de trouver un sectaire ou une porteuse de burqa assez stupide pour déclarer tout de go, un peu comme l’a fait l’imam de Vénissieux, que burqa et voile intégral (niqab) témoignent de l’infériorité des femmes, constituant alors le corps du délit. Même si on peut penser à juste titre que cette infériorité et cette soumission sont aveuglantes, le délit de déclaration illicite n’est pas pour autant constitué aux yeux de la loi.

Le déni d’identification et sa réglementation

Reste la question du masque volontaire permanent. Cette question n’est pas propre à la burqa et au voile intégral, elle est générale et concerne la dissimulation délibérée et permanente d’identité par la dissimulation du visage.

Certes, l’état actuel de la législation permet le port de masques sur la voie publique. Personne n’y est tenu d’indiquer son identité de manière constante ; cela n’est exigé que dans des circonstances précises. On pourra alors envisager une réglementation dans certains cas : accès à des lieux publics clos (banques, magasins, grandes surfaces, transports, musées, etc.). Ou encore : peut-on accepter qu’une personne masquée vienne quérir un enfant à la sortie de l’école ? Imagine-t-on un conducteur en niqab se faisant flasher à 180 km/h sur l’autoroute ?

Mais tout cela ne mène que vers une réglementation dans des espaces déterminés et/ou pour un temps déterminé et non vers une interdiction dans tous lieux accessibles au public.

Plus qu’un masque : une dépersonnalisation indifférenciée

Or, plus que des signes religieux, plus que des marques infamantes rivées au corps des femmes, niqab et burqa sont également plus que des masques. Ces objets, trous noirs forés dans la constitution humaine, ne se contentent pas de celer la singularité d’une personne en faisant obstacle à son identification, ils font bien davantage : ils la rendent indiscernable en permanence de toutes celles qui portent ce vêtement, lequel n’a vraiment de sens, si l’on y réfléchit bien, que par sa multiplicité uniformisante. C’est d’ailleurs sa multiplication qui alerte les élus et l’opinion. Sous nos yeux se forme une collection d’identiques sans identité personnelle décelable et non un rassemblement diversifié.

A la non-identification permanente, burqa et niqab ajoutent l’indifférenciation -le député Jacques Myard parle d’une dépersonnalisation. Imaginons que tout le monde porte le même masque (encore un masque garde-t-il figure humaine ! ), que nous soyons tous des éléments intrinsèquement indiscernables : ce ne serait plus un monde humain.

Voilà ce que sont les femmes pour le sectarisme qui les raye de la visibilité ordinaire en leur imposant une visibilité de négation : une simple collection. En la personne d’une femme, c’est donc bien l’atome constitutif de l’humanité civile et politique, sujet, auteur et finalité du droit, qui est visé : on ne voit plus, tache aveugle et aveuglante, que la trace noire de son effacement.

Je suis donc favorable à l’interdiction du port de la burqa et du voile intégral dissimulant le visage dans tous lieux accessibles au public.