Articles › Mensonge sur les mariages forcés ? Réponse au Monde Diplomatique
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Opinions
Bien sûr, il faut dénoncer les propos et campagnes racistes d’un réactionnaire comme De Villiers ! Un De Villiers qui ne cache pas son opposition au droit à l’IVG n’a jamais été et ne sera jamais dans le camp de celles et ceux qui luttent pour les droits et l’émancipation des femmes. Alors, oui, il y aurait beaucoup à dire pour dénoncer l’hypocrisie d’un De Villiers qui, lorsqu’il est question de l’islam, parle du droit des femmes, droit qu’il nie par ailleurs lorsqu’il se place du point de vue du catholicisme. Toutes celles et tous ceux qui luttent pour les droits des femmes savent d’ailleurs que cette lutte, universelle, implique la lutte pour le droit des femmes étrangères contre les discriminations dont elles sont victimes par la législation française, que toute politique de chasse aux sans-papiers et de discrimination à l’encontre des immigré(e)s rend encore plus difficile la possibilité pour les femmes étrangères d’accéder à leurs droits humains les plus fondamentaux. Et lutter contre les mariages forcés et autres violences dont sont victimes des femmes immigrées ou d’origine étrangère implique de revendiquer le droit au séjour pour les femmes immigrées mariées ou concubines dès leur arrivée en France (et pas après cinq ans de vie commune comme c’est le cas avec les lois Sarkozy, une femme étrangère victime de violences ayant le « choix » entre subir la violence ou risquer l’expulsion). Refuser les mariages forcés signifie exiger le droit d’asile pour les femmes victimes de violences en tant que femmes, en particulier pour celles qui fuient des pays où l’illégalité des sexes est inscrite dans la loi ou où leur sécurité ne peut être assurée. Et enfin, combattre des pratiques comme le mariage forcé devrait dire dénoncer les accords bilatéraux qui soumettent des femmes vivant en France à des codes de la famille et lois du statut personnel ségrégationnistes et réactionnaires. Trois revendications fondamentales que, bien sûr, un De Villiers est loin de mentionner. Tout cela pour dire que lorsqu’un De Villiers dénonce les mariages forcés, il est tout aussi hypocrite que lorsque Le Pen condamne l’antisémitisme ou lorsque Sarkozy se présente comme défenseur de la classe ouvrière !
Mais l’article « Mensonge sur les mariages forcés »[1], écrit par Alain Gresh et publié le 13 février sur le site internet du Monde Diplomatique ne parle de De Villiers qu’en introduction pour finalement s’en prendre essentiellement aux organisations qui dénoncent le mariage forcé. Voilà, en effet, comment commence l’article : « Candidat à l’élection présidentielle, M. Philippe de Villiers a répété, lundi 12 février sur TF1, que la France était un pays où s’enracinait le communautarisme. On y compterait ainsi 70 000 mariages forcés de jeunes filles, évidemment musulmanes. Ce chiffre répété mille fois provient, non d’un institut d’extrême droite quelconque, mais d’un rapport, datant de 2003, du très officiel Haut conseil à l’intégration (HCI), présidé par Mme Blandine Kriegel. » Tout l’article porte sur une critique de ce chiffre, chiffre qui est une estimation réalisé par des organisations comme le GAMS (Groupe d’Action contre les Mutilations Sexuelles). Rapidement, on note que ce n’est que De Villiers et Alain Gresh qui, lorsqu’il est question de mariages forcés, pensent qu’on parle de femmes « évidemment musulmanes ». Or, des violences comme les mariages forcés, les crimes d’honneur ou l’excision ne sont pas tant liées à telle ou telle religion qu’à des pratiques tribales et patriarcales. Des filles « nées musulmanes » sont victimes de mariages forcés, mais aussi des filles de familles hindoues, sikh, druzes, animistes, juives[2], chrétiennes[3], voir même laïques. Enfin, les interdictions données par les traditions patriarcales pour restreindre cette liberté fondamentale d’une femme de vivre sa vie avec qui elle veut sont loin d’être forcément religieuses. La caste, la tribu, la nationalité[4] ou de nombreux autres critères entrent autant que la religion dans les restrictions des libertés des femmes quant à leur vie sexuelle et affective.
Alain Gresh remet en cause le chiffre de 70.000 femmes et jeunes filles victimes ou menacées de mariages forcés en France. Soit. Nous souhaitons de tout notre cœur que le nombre de filles et femmes victimes de cette pratique ignoble soit le plus faible possible. Par contre, et c’est cela qui est choquant dans cet article du Monde Diplomatique, on aurait l’impression en le lisant que les mariages forcés ne seraient finalement pas vraiment un problème. Pire, en conclusion de cet article, on peut lire : « Qu’importe la réalité : ce chiffre de 70 000 continuera à circuler, à être repris par les médias et les responsables politiques, à alimenter l’islamophobie ambiante. » Et par cette phrase, pour terminer son article, Alain Gresh met dans un même sac des réactionnaires comme Devilliers et les organisations qui luttent sur le terrain aux côtés des femmes victimes de mariages forcés. A lire l’article du Monde Diplomatique, on a l’impression que finalement toute dénonciation des mariages forcés ne serait qu’une vaste campagne « islamophobe ». Pas une seule fois dans l’article, Alain Gresh ne dénonce la pratique des mariages forcés. Seraient-elle non pas 70.000, mais 10.000 jeunes femmes menacées par cette forme de violence, est-ce que cela changerait véritablement le problème ?
La question du chiffre des victimes est finalement secondaire. L’essentiel c’est ce que signifie cette pratique pour celles qui en sont victimes. Les pressions familiales, psychologiques et/ou physiques, l’enfermement ou l’isolement de celle que l’on soupçonne de pouvoir se rebeller ou fuir, et après une cérémonie où tout le monde fait la fête, sauf celle qui a été donnée à un homme qu’elle n’aime pas, l’horrible nuit où est commis le premier viol, viol qui sera suivi par d’autres, parfois pendant toute une vie. Début d’un véritable cauchemar pour tant de femmes, qui, à la pire violence qui est celle du viol, s’ajoute souvent les coups d’un époux qui n’a pas été choisi, et qui, chaque nuit, vient imposer sa présence dans le lit conjugal. Pour celles qui sont mariées jeunes, c’est aussi la fin imposée de la scolarité et des études, avec des rêves d’avenir brisés. Parfois, avant le mariage, il y avait un petit ami, un avec qui la jeune fille rêvait de faire sa vie. On pourrait écrire des pages et des pages, prendre appui sur des milliers et des milliers de témoignages pour tenter de décrire toute la souffrance qui découle de ce viol organisé et célébré par la famille. Vous qui ne connaissez cette question que par des lectures d’articles, essayez simplement de vous imaginer vivre une semaine aux côtés d’un homme que vous n’avez pas choisi ! Fermez les yeux et pensez à ce que vous ressentiriez si vous entendiez vos proches rire, chanter et s’amuser tandis que s’approche de vous un homme que vous haïssez ! Vous allez être violée, et non seulement vous ne pouvez pas appeler à l’aide, mais vos plus proches parents se réjouissent de ce crime qui va être commis contre vous ! Et cet homme qui va vous faire subir la pire des violences, vous le subirez chaque jour de votre vie, vous sentirez son haleine et sa sueur près de vous chaque nuit, il vous touchera quand il en aura envie, condamnée peut-être à perpétuité à la réclusion au côté de votre bourreau.
Oh oui, de tout notre cœur, nous souhaitons qu’Alain Gresh ait raison et qu’il n’y ait pas en France 70.000 jeunes filles et femmes menacées ou victimes de cette horreur ! Mais même s’il n’y avait qu’une seule femme victime d’une telle oppression, il serait de notre devoir d’êtres humains de le dénoncer, de crier notre révolte et de nous battre avec toute notre énergie contre cette violence. Mais avant de parler chiffres et statistiques, il faut savoir de quoi on parle, et nous parlons là d’une négation absolue de droits humains. Et pas une seule personne ayant au fond de son cœur des principes d’humanité, de justice et de liberté, ne devrait pouvoir minimiser ou accepter cette violence que sont les mariages forcés.
Alain Gresh ne parle que de chiffres et de statistiques, là où il est avant tout question de dignité de la personne humaine. Or, toutes celles et tous ceux qui luttent contre les violences faites aux femmes savent combien il est difficile d’obtenir des statistiques et des chiffres précis, y compris lorsqu’il s’agit du viol ou des violences conjugales. Tout le monde sait ou devrait savoir, combien il est difficile pour une femme victime de violences de la part de son conjoint de porter plainte. Tout le monde sait ou devrait savoir aussi, combien il est difficile pour des enfants, y compris lorsqu’ils sont adultes, de dénoncer des violences commises par leurs parents. Or, pour comptabiliser un mariage comme mariage forcé, il faut d’abord que la femme qui en a été victime le dénonce comme tel. Et le faire signifie le plus souvent rompre avec toute sa famille. C’est briser un tabou. C’est aller à l’encontre du principe oppressant de « l’honneur » familial qui veut que « les problèmes de la famille restent dans la famille ». Tant de barrières sont là pour interdire aux femmes victimes de mariages forcés de prendre la parole, qu’il ne peut exister que des estimations.
Si nous ne parlions pas d’un sujet aussi grave, il serait amusant de constater que pour remettre en cause le chiffre du HCI, Alain Gresh cite… une autre estimation, mais britannique : « Un peu de recherche aurait permis de mesurer l’absurdité de ces chiffres. Ainsi, au Royaume-Uni, où s’est développée une véritable campagne contre les mariages forcés, campagne menée par le gouvernement en association avec les organisations locales, y compris musulmanes, un rapport fait état d’environ un millier de ces mariages par an… ». La source citée et mise en lien par Alain Gresh est une étude intitulée « Muslims in Britain »[5] et réalisée par le Minority Rights Group International. Précisons qu’il ne s’agit pas d’une étude sur les mariages forcés ou les violences faites aux femmes, mais sur les droits, conditions de vie et discriminations des musulmans vivant en Grande-Bretagne. Cette étude cite effectivement, pour 1999, une estimation de 1.000 mariages forcés par an en Grande-Bretagne. Mais le même document cite aussi d’autres chiffres, en particulier une étude de 1997 réalisé par PSI qui indique que pour 67% des femmes musulmanes britanniques âgées de 16 à 34 ans ce sont les parents qui ont choisi le conjoint. On peut bien sûr faire une différence entre mariage arrangé et mariage forcé, puisque théoriquement dans le premier cas, si c’est la famille qui choisit l’époux la fille conserverait le droit d’accepter ou de refuser, les pressions psychologiques, le chantage affectif, l’apprentissage de la soumission au pouvoir patriarcal, la culture de « l’honneur familial », les menaces réelles ou supposées en cas de refus[6], font qu’il existe une zone grise entre ces deux pratiques qu’il est impossible de définir clairement.
Finalement, les seuls chiffres clairs et indiscutables que nous pouvons fournir sont ceux des femmes qui refusent et dénoncent les mariages forcés qu’elles subissent. Et puisque Alain Gresh parle de la Grande-Bretagne, commençons par citer quelques chiffres concernant ce pays. La FMU (Forced Mariage Unity : unité de la police britannique spécialisée dans la lutte contre les mariages forcés, en particulier pour de jeunes filles vivant en Grande-Bretagne et mariées de force à l’étranger) s’occupe d’environ 250 jeunes filles chaque année. Comme l’explique un site officiel[7], les mariages forcés sont définis comme ceux où « la victime dit qu’on va la marier et qu’elle le ne veut pas ». Dans un article de BBC News[8] daté du 16 janvier 2001, Hannana Siddiqi, responsable Southall Black Sisters, indique que son organisation fait face à environ 200 cas de mariages forcés par an. Or, Southall Black Sisters est une organisation qui n’intervient que dans un seul quartier de Londres, Ealing. A Vienne (Autriche), l’ONG Orient Express, qui travaille dans la communauté turque, indique avoir connaissance chaque année de 50 à 60 mariages forcés[9]. En Allemagne, les services de la protection de la jeunesse et de l’immigration ont reçu en 2004 environ 300 femmes et jeunes filles (et 10 hommes) qui venaient demander des conseils pour éviter un mariage forcé, auxquelles on peut ajouter 30 cas de fiançailles forcés[10]. Et pour revenir à la France, l’association turque Elele indique accueillir chaque semaine cinq ou six filles menacées de mariages forcés.
Ces chiffres là, qui sont déjà effrayants par leur nombre, ne sont pas ceux des femmes victimes de mariages forcés, mais uniquement de celles qui sont allées demander de l’aide aux organisations citées. Il existe d’autres organisations ou organismes auxquels d’autres filles demandent de l’aide. Et la majorité des jeunes filles et femmes victimes de cette pratique n’osent pas dénoncer cette violence. Certaines se confient à des amies, cherchent à obtenir le soutien de proches, souffrent en silence et/ou se suicident (en Grande-Bretagne, selon Jasvinder Sanghera, les femmes originaires du Sud-Est Asiatique ont un taux de suicide 2 à 3 fois plus élevé que les autres femmes). Et, avant de conclure, nous pouvons donner un dernier chiffre, fruit d’une enquête réalisée de décembre 2003 à juin 2004, auprès de 1.200 élèves francophones du secondaire supérieur en Belgique. Cette enquête indique que « 23% des jeunes ont affirmé être confrontés de près (dans leur famille) ou de loin (chez des connaissances) au phénomène [des mariages forcés] et l’un des témoignages précise : « Ce type de situation arrive souvent dans mon environnement amical, j’ai beaucoup d’amies qui doivent se marier dans leur pays et qui ne sont pas majeures. La plupart ne connaissent pas leur futur époux ».[11] »
Ces quelques chiffres de différents pays d’Europe montrent bien que le mariage forcé est un problème réel. Alain Gresh, qui se gausse « des médias paresseux » qui reprennent le chiffre de 70.000 femmes concernées par cette pratique, aurait pu au moins découvrir ou rappeler certains de ces chiffres. Peu à peu, grâce au travail et à l’action d’organisations qui luttent pour les droits des femmes (de toutes les femmes quelles que soient leurs origines ou leurs supposées religions), des questions comme celles du mariage forcé, des crimes « d’honneur » ou des mutilations génitales féminines, apparaissent au grand jour. Et c’est tant mieux ! Pour toutes celles qui souffrent en silence, pour toutes celles qui n’osent pas encore prendre la parole, nous devons continuer à dénoncer les pratiques inhumaines comme le mariage forcé. Bien sûr, la souffrance de femmes « d’origine étrangère » n’a pas à être utilisée comme argument par des politiciens qui rêvent de les expulser ! Mais minimiser les violences faîtes aux femmes pour ne pas alimenter une « islamophobie ambiante » (terme ô combien ambiguë, popularisé par les mollahs iraniens pour faire taire celles et ceux qui refusent leur régime réactionnaire), revient à refuser de combattre ces violences. Si la lutte pour la dignité humaine implique le combat contre le racisme, elle nécessite aussi le refus du sexisme et des violences patriarcales, y compris si celles qui en sont victimes sont, parce qu’arabes, kurdes, turques ou africaines, considérées comme « étrangères ». Et minimiser ou refuser de combattre des formes de violences comme les mariages forcés sous prétextes que celles qui en sont victimes sont essentiellement des femmes « d’origine étrangère » nous semble aussi une forme de racisme.
Campagne Internationale Contre les Crimes d’Honneur, 18/02/2007
[1] Alain Gresh, « Mensonge sur les mariages forcés », Le Monde Diplomatique, 13 février 2007.
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2007-02-13-Mariages-forces
[2] Sans avoir eu connaissance d’exemples récents de mariages forcés ou de crimes d’honneur, les pressions sont fortes dans la communauté juive orthodoxe pour interdire les mariages ou relations non seulement avec des « goys » mais aussi avec des Juifs laïques.
[3] Faten Habash, par exemple, jeune chrétienne palestinienne âgée de 22 ans, a été assassinée par son père le 1er mai 2005 à Ramallah parce qu’elle était amoureuse d’un jeune homme musulman. Crimes « d’honneur » et mariages forcés sont des pratiques que l’on trouve aussi dans des pays de traditions chrétiennes comme le Mexique, le Brésil, la Géorgie ou l’Arménie (le premier film de l’histoire du cinéma arménien, produit en 1925, « Namous » -« Honneur »-, traite justement de cette question).
[4] Pour Ulerika, jeune fille de 16 ans originaire du Kosovo et assassinée par son père en mars 2003 en Allemagne, il lui été essentiellement reprochée d’avoir un petit copain dont la mère est bosniaque (pourtant musulmane comme sa famille). Voir le témoignage de sa mère, Hanife Gashi, dans son livre Mein Schmerz trägt deinen Namen (Rowohlt Taschenbuch Verlag, mai 2006).
[5] Muslims in Britain, Humayun Ansari, Minority Rights Group International, Londres.
http://www.minorityrights.org/admin/Download/Pdf/muslimsinbritain.pdf
[6] Dans une interview donnée le 7 février 2007 au Spiegel, Seyran Ates, juriste et militante pour les droits des femmes, indique que 90% des femmes turques et kurdes qui sont venues lui demander de l’aide pour un divorce ou des violences conjugales vivent dans la peur d’être assassinées par leurs familles pour « l’honneur ». Comme l’explique Seyran Ates, si dans les faits elles ne sont pas 90% de ces femmes à être réellement menacées, « c’est une peur que l’on doit prendre au sérieux. Car ce sentiment détermine la vie et le quotidien de ces femmes ».
http://stophonourkillings.com/index.php?name=News&file=article&sid=1218
[7] Forced marriage Foreign and Commonwealth Office
http://www.fco.gov.uk/servlet/Front?pagename=OpenMarket/Xcelerate/ShowPage&c=Page&cid=1094234857863
[8] BBC News, Police act on forced marriage, 16 janvier 2007
http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/1119008.stm
[9] « Morgen musst du heiraten », Die Standart, 15/02/2007
http://stophonourkillings.com/index.php?name=News&file=article&sid=1239
[10] Terre des Femmes, Hintergrundinformationen zum Thema Zwangsheirat
http://www.frauenrechte.de/tdf/index.php?option=com_content&task=view&id=164&Itemid=126
[11] « Faits &Gestes » n°15, Octobre-novembre-décembre 2004
http://www.egalite.cfwb.be/upload/album/AP_178.pdf