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« Avec l’Opus Dei, j’ai compris que l’on pouvait mettre Dieu dans toutes les choses de la vie »

jeudi 2 octobre 2008, par Amitié entre les peuples

« Avec l’Opus Dei, j’ai compris que l’on pouvait mettre Dieu dans toutes les choses de la vie »

LE MONDE | 30.09.08 | 16h01 • Mis à jour le 30.09.08 | 16h12
RENNES ENVOYÉE SPÉCIALE

Une imposante croix noire tranche sur les murs clairs de l’oratoire aménagé au rez-de-chaussée de la maison. Vissée sur le côté, une plaque ternie par les ans précise : « Pie XII accordera 500 jours d’indulgence chaque fois que l’on baisera avec dévotion cette croix de bois ». Sur un banc, un livre blanc, les Homélies de Josémaria Escriva, fondateur de l’Opus Dei, semble abandonné à la disposition des fidèles. Il n’y a pas d’heure pour la piété au centre Guerlédan.

De l’extérieur, rien ne distingue cette maison de l’Opus Dei, installée en plein coeur de Rennes, de ses voisines. La grande bâtisse à la décoration désuète et aux gravures sans âge est impeccablement tenue par Adine Abeille, « maîtresse de maison » à la mise classique. Nul objet personnel ne vient rompre l’harmonie des tons pastel ; seules les photographies du fondateur et de ses deux successeurs, trônent dans le vestibule et le salon.

Laïque ayant fait voeu de célibat, une « numéraire » dans le jargon fourni de l’Opus Dei, Adine veille aux destinées de quatre autres femmes, engagées comme elle « au service de l’Œuvre et de Dieu » tout en exerçant une activité professionnelle. Avec une bonne humeur revendiquée, marque de fabrique des opusiens, les pensionnaires de Guerlédan se prêtent au jeu de la transparence orchestré par l’organisation pour célébrer ses 80 ans, le 2 octobre.

L’espoir affiché par l’institution catholique conservatrice, qui compte plus de 85 000 membres à travers le monde, mais seulement 1 600 en France, est de redresser une image marquée par le goût du secret, une proximité avec des régimes dictatoriaux, des accusations de dérives sectaires, des soupçons de misogynie et des règles de vie à la rigueur suspecte.

Portée par son désir d’être « sainte au milieu du monde », comme le prévoit la philosophie de l’Opus Dei, Laetitia Camilleri, 33 ans, balaye en riant ces « clichés ». Pimpante, cette enseignante en BTS explique avec verve qu’elle n’aurait pas pu « être une religieuse normale » et justifie ainsi son choix : « Avec l’Opus Dei, j’ai compris que l’on pouvait mettre Dieu dans toutes les choses de la vie. » Quand elle n’enseigne pas, elle accueille, au centre Guerlédan, des jeunes filles à qui sont dispensées « formation spirituelle, aide aux devoirs et activités artistiques ».

Le reste de son temps se passe en prières, récitations du chapelet, oraisons, messes, récollection et formation théologique. Auxquelles il faut ajouter une confession par semaine et une rencontre régulière avec sa directrice spirituelle. De temps à autre, une « correction fraternelle » administrée par ses « soeurs » complète ce « plan de vie », sorte de planning des actions quotidiennes que chaque opusien se doit de consacrer à Dieu.

Ces pratiques rigoureuses, parfois assimilées à un contrôle social et spirituel digne d’une secte, comblent les membres de l’Opus Dei. « La correction fraternelle, c’est trop génial », s’exclame Agnès Bottin, numéraire et conseillère juridique de 26 ans. « Cela oblige à être authentique, à dire les choses en face, ce qui n’est pas vraiment répandu dans notre société », plaide cette fille de surnuméraire (membre de l’Œuvre vivant en famille).

Elles contestent aussi toute coercition dans la « direction spirituelle » opusienne. « La directrice spirituelle nous donne des conseils sur la difficulté de la confession ou la manière de bien vivre la messe. Après, on en fait ce que l’on en veut », témoigne Anne Merlin, mère et grand-mère au foyer, surnuméraire depuis quatre ans. « Pour régler des petits problèmes, ma directrice m’avait conseillé de mieux prier mon ange gardien », confie Christine, secrétaire et surnuméraire rennaise. « A partir du moment où je l’ai fait, les choses sont allées mieux ». En contrepartie de « l’apaisement » trouvé à l’Opus Dei, les numéraires lui versent leur salaire et les surnuméraires participent « chacun selon ses moyens », assure Mme Merlin, qui a opté pour « le prélèvement automatique ».

Les « clichés » doloristes popularisés par le roman Da Vinci Code, dont l’un des héros se mortifiait avec un cilice, font s’esclaffer les numéraires de Guerlédan et les mères de famille, qui se disent surtout « ferventes catholiques, porteuses d’un grand amour à l’Eglise et au pape ». « Pour moi qui suis impulsive, une mortif’, c’est de parvenir à me taire ! », assure Laetitia. « Se mortifier, c’est prendre avec bonheur les contrariétés de la vie, c’est faire mourir l’égoïsme qui est en nous », théorise-t-elle. La mortification comprend aussi des épreuves corporelles.

Elles assument de même la stricte séparation des sexes, où affleure pourtant une certaine misogynie, si l’on en croit Blanche, étudiante engagée dans le centre. Cette fille de surnuméraire, aînée de huit enfants, s’indigne que lors d’un séjour estival en Espagne, elle ait dû « faire la cuisine et le ménage alors que les hommes ne faisaient rien ». Sur le rôle de la femme dans l’Œuvre et dans la vie, Adine a sa petite idée. « Il y a un effet de balancier : aujourd’hui, les jeunes filles sont demandeuses de cours de cuisine et de ménage. Notre conférence qui a eu le plus de succès s’intitulait »Je suis débordée à la maison«  », se réjouit-elle. Quant à Agnès, elle s’étrangle à l’idée de vivre avec des hommes. « On n’est pas des anges, on partirait en couple et on ne pourrait plus faire ce pour quoi on est appelées ! »

Les efforts de banalisation manifestés par l’Opus Dei pour son 80e anniversaire coïncident avec une première en France : mi-octobre à Toulouse, un prêtre opusien sera installé comme curé de paroisse.

Stéphanie Le Bars

http://www.lemonde.fr/societe/article/2008/09/30/avec-l-opus-dei-j-ai-compris-que-l-on-pouvait-mettre-dieu-dans-toutes-les-choses-de-la-vie_1101236_3224.html