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MRAP : Il y a du « Sud au Nord » et du « Nord au Sud ». C Delarue

mardi 1er septembre 2009, par Amitié entre les peuples

Il y a du « Sud au nord » et du « nord au sud ».

Intervention de Christian DELARUE lors de l’AG 2009 du MRAP suite à « l’Etat du monde » dressé par Alain Gresh (1)

L’exposé d’Alain Gresh (1) est riche notamment sur le point qu’il a particulièrement développé, à savoir La Palestine. Mais à propos de l’ordre hiérarchisé du monde il me semble qu’il reste dans une vision assez classique des relations internationales. Mon intervention concernera donc plus sa première partie que ses développements sur le conflit israelo-palestinien.

Alain Gresh évoque au lieu et place de l’impérialisme des USA un monde
post-américain avec l’émergence des BRIC à savoir Brésil, Russie, Inde
et Chine. C’est un point certes avéré qui méritait effectivement quelques développements, mais qui en reste à une vision du monde
assez positiviste qui est celle des seules relations inter-étatiques. Cette
présentation ignore les peuples et notamment la situation des peuples-classe en rapport avec leur classe dominante. En effet, en droit international les peuples sont qu’assez peu sujet de droit. Ce sont les Etats, et les alliances entre Etats qui déterminent l’ordre hiérarchisé du monde. Il est présupposé que les peuples sont en accord avec les dirigeants étatiques quelque soit le mode de nomination des dirigeants politiques. Il est présupposé que les profondes inégalités sociales internes sont sans effet quand aux solidarités, aux alliances de classes. Sauf quelques rares exceptions, l’ordre politique international ne prend en considération que ce qui émane des Etats ou des Nations, autre formule englobante.

* Le grand partage économico-politique du monde masque le second fossé des inégalités, donc les classes sociales.

L’altermondialisme a complété voire largement modifié cette conception trop juridico-économique globale. Le MRAP et sa notion d’« amitié entre les peuples » tend à examiner les inégalités économiques internes à chaque continent et chaque pays.

Le premier fossé est réel.

Avec l’approfondissement de la crise économique on observe qu’il existe
bien un Sud face à un Nord . Ainsi pour François Bourguignon et Christian Morrisson les écarts entre pays se sont brutalement creusés à la fin du XIX ème siècle pour atteindre un haut niveau au début du XX ème siècle. Le fossé n’a pas été comblé. Aujourd’hui, l’Amérique latine est plus développée, plus riche que l’Afrique qui elle plonge dans la pauvreté. Eric Maurin écrit (2) en évoquant le niveau de vie moyen que « près de la moitié des habitants de l’Afrique subsaharienne ou de l’Asie du Sud (Bengladesh, Inde...) disposent de moins d’un dollar par jour pour vivre ». Ce qui ne signifie pas absence de riches dans ces pays. En Amérique du Sud la proportion de personnes vivant dans un tel état de dénuement est moitié moindre, tandis qu’en Europe occidentale elle est résiduelle.

... mais le second fossé aussi.

Si l’on cesse de regarder uniquement l’extrême pauvreté pour voir la situation des smicards ou même des prolétaires - celui qui épuise son revenu dans le mois pour vivre alors le Sud au Nord prend plus de place.
Positionner l’Amérique latine par rapport à l’Afrique, à l’Asie et à l’Europe ne suffit pas à voir les profondes inégalités internes à chaque pays . User de l’indice de Gini (cf définition INSEE) est plus pertinent pour repérer les inégalités économiques et sociales internes . On approche alors au plus près de la vérité scientifique lorsqu’on en tient compte. La formule évocatrice de cette vision que la première, est : « il y a du sud au nord et du nord au sud ». C’est là le second fossé à signaler.

Dire qu’« il y a du sud au nord et du nord au sud » signifie qu’il n’y a pas que des pauvres en Afrique ou en Amérique latine il y a aussi des classes sociales qui s’inscrivent dans la mondialisation capitaliste en subissant une domination relative mais qui néanmoins y trouve profit au regard de leur peuple. De même le Nord laisse voir dans chaque formation sociale une classe dominante hyper riche et un peuple-classe lui-même différencié mais néanmoins dominé notamment avec des couches sociales moyennes qui perdent ce qu’elles avaient pu conquérir en terme de droits sociaux et de répartition des richesses. Au total, il importe de différentier les peuples-classes des bourgeoisies, c’est à dire des classes dominantes de chaque pays. En faisant intervenir les clivages sociaux-économiques internes à chaque pays on enrichie l’analyse et on permet aussi de donner prise à la solidarité entre les peuples tel que le MRAP la promeut.

* En conséquence de cet effacement c’est le nationalisme et le néo-campisme qui émergent...

Cette amitié entre les peuples-classe se heurte au nationalisme évoqué
par Alain Gresh. Le nationalisme est une idéologie qui vise à créer une
solidarité de dupe entre la bourgeoisie nationale et son peuple-classe pour combattre une autre nation, elle-même appréhendée comme un tout homogène. Il existe cependant une distinction à propos du nationalisme qui vise à défendre le nationalisme des dominés contre celui des dominants . Cette vision des rapports de force concerne aussi son extension entre les blocs, c’est à dire entre les deux camps en affrontement. On défendra alors l’Orient dominé contre l’Occident dominateur. Il s’agit là d’une perception néo-campiste du monde qui n’est qu’un nationalisme étendu. Cette summa divisio fait suite à celle qui opposait les USA capitaliste contre URSS communiste avant 1989 et 1991. Elle a laissé place à Occident contre Orient et à son avatar le « Choc des civilisations » selon la formule de Samuel Huttington. Mais ici aussi il faut voir d’une part qu’il y a des rapports de classe qui brouillent les solidarités mais aussi qu’il y a des critiques à porter au sud et des acquis à défendre au nord. Ce qui n’empêche pas la solidarité envers les peuples-classe du Sud.

...et qui effacent les autres dominations qui perdurent.

Reste que l’amitié entre les peuples est plus difficile si
l’on admet ce néo-campisme. Il a sa part de vérité, notamment la
forte modalité réunificatrice des individus par le religieux mais aussi
du faux puisque ce religieux masque la conflictualité sociale de classe au profit des couches dominantes ainsi que l’accentuation des oppressions notamment via le « conflit de genre ». En effet, partout dans le monde avec l’émergence et l’approfondissement de la crise, ce sont les femmes qui subissent la précarité, le chômage, les bas-revenus et le retour au foyer avec justification du non partage des tâches domestiques. A la surexploitation au travail s’ajoute toutes les formes de dominations, d’oppressions et de violences . Ici ce type de
regard sur le monde peut alors montrer des individus subissant une
triple domination voire un triple mépris : mépris de classe
(« classisme »), de genre (sexisme), d’appartenance ethnique (racisme). A
la domination contre le peuple-classe il faudrait ajouter celle contre
la nature que l’on oublie trop souvent de part notre objet social mais
que les migrations climatiques nous rappellent.

L’amitié entre les peuples-classe se combine aux logiques d’émancipation humaine et donc un soutien actif aux forces d’émancipation tant au sud qu’au nord ; ce qui ne va pas sans un certain regard critique préalable sur une situation du monde fort complexe.

CD

1) Différences n° 270 a publié l’analyse d’Alain Gresh sous le titre
« ’Etat du monde - Gros plan sur la Palestine »

2) Les inégalités économiques dans le monde d’Eric Maurin in Les nouvelles migrations ouvrage collectif dirigé par El Mouhoub Mouhoud.

L’auteur critique le décollage comme alibi de la prédation économique. Le modèle de l’enrichissement inégal de Kuznet a été du pain béni pour les bourgeoisies émergentes qui n’ont jamais lâchées ensuite les conquêtes matérielles obtenues lors du décollage. Il en a été de même pour les pays développés. C’est par la lutte de classe sans aucune pause que l’on obtient un partage des richesses.

Il écrit : « Dans les années 1950 , Simon Kuznets émit une thèse qui eu longtemps force de loi, selon laquelle l’amplitude des inégalités dans un pays reflétait avant tout son niveau de développement. Selon Kuznetts, les phases initiales de développement sont créatrices d’inégalités (entre secteurs ruraux »anciens« et secteurs urbains »modernes« émergebts) tandis que les phases ultérieures s’accompagnent d’une réduction des inégalités au fur et à mesure que l’ensemble de l’économie bascule dans les secteurs modernes ou les relations sociales sont à la fois mieux formalisées et mieux régulées. Durant les années 1960 - 1980 , la thèse de Kuznets semblait assez bien vérifiée empiriquement. Les pays à revenus intermédiaires comme le Brésil ou le Mexique apparaissaient à cette époque bien plus inégaux que les pays très pauvres d’Afrique ou d’Asie, tandis que les pays industrialisés étaient beaucoup moins inégalitaires. Depuis le début des années 1980, les cartes se sont toutefois quelques peu brouillées. Contrairement à l’esprit du modèle de Kuznets, les inégalités ont cessé de baisser dans la plupart des pays industrialisés et sont même nettement reparties à la hausse aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en Australie. Les pays d’Europe continentale jugulent mieux les inégalités devant le revenu, essentiellement en raison d’un système de protection sociale plus redistributif que les systèmes britannique ou américain. En revanche, les inégalités devant l’emploi et les revenus du travail (avant redistribution donc) semblent avoir augmenté partout dans le monde. »

NB Sur le peuple-palestien : Inscrire la solidarité avec le peuple palestinien dans une perspective altermondialiste pour la région.
http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article530