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Un œil sur l’Europe - Corinne GOBIN

lundi 23 juin 2008, par Amitié entre les peuples

Corinne Gobin est une spécialiste de la Confédération européenne des syndicats (CES) et de l’Europe. Auteure de L’Europe syndicale, entre rêve et réalité (Éditions Labor, 1997), ainsi que de nombreux travaux sur l’Europe, elle dirige le Groupe de recherche sur les acteurs internationaux et leurs discours (Graid), à l’Institut de sociologie de l’Université libre de Bruxelles. Elle revient sur le congrès de la Confédération européenne des syndicats, qui a eu lieu du 21 au 24 mai, à Séville, en Espagne.

Le mot d’ordre de la Confédération européenne des syndicats (CES) est de « passer à l’offensive ». Elle appelle à manifester le 21 juin, pour le maintien de la Charte sociale dans le futur minitraité. Cette offensive est-elle réelle ?

Corinne Gobin – De Gabaglio, précédent secrétaire général de la CES, à John Monks, secrétaire actuel venant des TUC britanniques, le ton est apparemment plus combatif. La direction s’est vivement félicitée de la remise en cause de la directive Bolkestein. Mais ce lexique plus revendicatif n’est qu’une rhétorique. Quand on examine concrètement ce qui est décidé, la base revendicative est en réalité plus faible. La CES s’agrandit, mais le contenu concret s’amenuise. Si on compare avec les congrès antérieurs, notamment sur la protection sociale, on note une régression depuis le congrès d’Helsinki, en 1999. Le mot « offensive » renvoie surtout à une interrogation de la CES sur elle-même. Pour les confédérations qui la financent le plus (le DGB allemand et les TUC), il y a un problème de forces organisées. Le DGB perd beaucoup de syndiqués. « L’offensive » est donc plutôt un appel au secours devant la chute des effectifs. La campagne de recrutement a été omniprésente dans les débats. Ce souci est articulé avec le thème de la précarité. Celle-ci devient insupportable, et les salariés précaires ne se syndiquent pas. Il y a eu de bonnes dénonciations de cette précarisation générale en Europe.

N’est-ce pas la reconnaissance du caractère nocif du traité constitutionnel ?

C. Gobin – Pas du tout. La fin du congrès va à l’encontre de cette interprétation. Face à l’hypothèse d’un minitraité, une déclaration d’urgence a donc été adoptée pour une manifestation le 21 juin, devant le Conseil européen, pour l’intégration de la Charte sociale dans le minitraité. Quelques rares syndicats (une déléguée FO France, une déléguée des TUC, le syndicat basque LA, la CGT française étant ambiguë) sont montés au créneau de manière critique sur la Constitution, mais ont été très isolés. Les syndicats espagnols, organisateurs du congrès, ont soutenu le traité constitutionnel de manière tellement délirante, que cela s’est terminé par une standing ovation ! Le soutien politique aux traités va donc très loin. John Monks a considéré que les voix discordantes ressemblaient à des attaques contre la loyauté de la CES. La CGT portugaise n’est pas intervenue sur ce débat, mais ses amendements pour durcir la résolution ont été rejetés. La FGTB [Belgique] a été beaucoup plus effacée qu’au dernier congrès. Un syndicat grec a expliqué que c’était à cause des opposants au traité que nous allions avoir une Europe beaucoup plus libérale, et qu’il était inconcevable, en démocratie, que deux pays puissent bloquer un processus majoritaire dans dix-huit autres pays. Les Commissions ouvrières espagnoles estiment qu’il faut oser remettre en cause les Constitutions nationales datant du XIXe siècle, périmées, et qu’il faut maintenant un traité transnational, sur le modèle du capitalisme. Le DGB a défendu l’idée qu’on ne pouvait pas accepter un minitraité sans la Charte sociale, et qu’il fallait maintenant que les syndicats s’organisent pour appeler à une majorité progressiste dans le prochain Parlement européen.


lI y eut aussi des débats sur la flexisécurité…

C. Gobin – Oui. À la suite du débat sur la désyndicalisation et la précarisation, il y eut deux moments de tensions fortes, mais sans véritable débat et échange (impossible à faire en cinq minutes d’intervention). La question de la flexisécurité est apparue avec le « Livre vert » de la Commission sur la modernisation du droit du travail. La direction de la CES, qui dépend matériellement de la Commission, est très mal à l’aise à ce sujet. Ils veulent voir appliquer le traité constitutionnel, mais tout ce qui s’élabore du côté de la Commission Barroso va très à droite. Le noyau dur du « Livre vert » est une dénonciation du contrat de travail à durée indéterminée (CDI), rendu responsable des multiples contrats dérogatoires et précaires pour faire face à la concurrence. Il faudrait donc un seul contrat flexible général, notamment pour faciliter les licenciements. Le « Livre vert » valorise aussi le droit civil par rapport au droit du travail trop « rigide », et il remet en cause implicitement la hiérarchie des normes entre lois et conventions décentralisées. Tout ceci est insoutenable pour le mouvement syndical, y compris la CES. La flexisécurité a donc été une proposition tortueuse, mise en avant par John Monks et les syndicats nordiques, afin de répondre à la Commission et de trouver un compromis. Cette flexisécurité assouplit aussi les licenciements, mais avec une politique d’activation des dépenses visant à encadrer les chômeurs, avec des formations obligatoires et l’acceptation de n’importe quel emploi. Les syndicats du sud de l’Europe, la FGTB, FO, la CGT ont refusé cette approche. Mais il n’y a pas eu de vote.


Qu’en est-il du Smic européen ?

C. Gobin – Cette proposition a été initiée par le réseau de gauche des économistes alternatifs en Allemagne, proches d’instituts de recherche travaillant pour le DGB. Ils se battent pour un salaire minimum interprofessionnel garanti en Allemagne et en Europe. Le DGB l’a repris, l’Institut syndical européen (lié à la CES) en a discuté aussi. L’ambition était de revendiquer une règle commune pour un salaire minimum, avec des pourcentages variables calculés selon le PIB des pays, élevés pour les plus riches, moins pour les autres. Mais ce projet a été combattu par les Italiens et les Nordiques, au nom du refus de normes étatiques interprofessionnelles cassant la négociation collective dans laquelle les syndicats seraient plus forts. Mais c’est un faux débat, à mon avis : les normes protectrices peuvent parfaitement être issues des lois ou des conventions négociées, selon les pays. Les exemples montrent qu’on peut utiliser les deux procédés. Ce débat a donc échoué. Or, l’établissement de normes salariales minimales était le seul moyen de résister aux délocalisations intra-européennes.

Propos recueillis par Dominique Mezzi

Rouge n° 2209, 07/06/2007


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