Accueil > Altermondialisme > Anti-libéralisme, anti-capitalisme, anti-classisme > L’apparition de la notion de classisme comme domination . Christian Delarue

L’apparition de la notion de classisme comme domination . Christian Delarue

samedi 21 octobre 2023, par Amitié entre les peuples

L’apparition de la notion de classisme comme domination

Bref propos sur le lien entre peuple-classe et classisme au sens de domination de classe. C’est un changement de regard qui permet de voir ce lien.

https://bellaciao.org/L-apparition-de-la-notion-de-classisme-comme-domination

Retour en arrière.

Tant que les études sur les classes sociales portaient sur les ouvriers, le prolétariat et le salariat on ne parlait quasiment pas de classisme, sauf au sens restreint de discrimination mais pas au sens large de domination, sens plus large encore que exploitation capitaliste frappant le salariat (sauf les cadres en poste de commandement dans le 1%). C’est qu’on ne parlait que fort peu des classes dominantes. Certes, il y avait la bourgeoisie dans ses châteaux et ses réseaux (cf le couple de sociologues Pinçon Charlot) ainsi que le petit live Bourgeoisie, état d’une classe dominante , soit chez Syllepse en 2001 maisnpas de référence au classisme. Hypothèse : Il a fallu que l’on pose « classe, sexe, race » pour que l’on trouve « classisme, sexisme, racisme » mais classisme avait plus le sens d’une discrimination sociale qu’une domination large d’une classe dominante.

L’année 2005 : En 2005 sort chez Syllepse dans la collection « Les cahiers de critique communiste » le petit livre (jaune et orange) « Classe ouvrière, salariat, lutte de classe » (1) : le terme classisme n’y figure pas. A cette époque, on parlait beaucoup dans le mouvement altermondialiste de multitude et dans un milieu universitaire, beaucoup plus restreint de peuple-classe (cf Yves Meny et Yves Surel en 2002) mais ici en rapport avec le populisme et la démocratie (2). Pourtant c’est aussi en 2005 que Warren Buffet déclare sur la chaîne de télévision CNN que la lutte des classes est une guerre mondialisée et qu’elle vient d’en-haut : « Il y a une guerre des classes, où ma classe gagne de plus en plus, alors qu’elle ne le devrait pas (It’s a class warfare, my class is winning, but they shouldn’t be) ». Wikipédia reprend d’ailleurs ce propos fort connu dans « classisme » ou c’est surtout le sens de discrimination qui est développé. Wikipédia ne dit rien sur peuple-classe.

Cette phrase de Warren Buffet est très connue et a pu être interprétée comme étant surtout portée par une mince oligarchie mondialisée ce qui permettait à leurs auteurs de replacer la nation comme vecteur anti-oligarchie et d’effacer à nouveau la (ou les) classes dominante(s) perçue(s) comme de simples couches d’appui à l’oligarchie du fait de leur rémunération élevée. Or les classes dominantes ne se limitent pas, pour nous, à l’oligarchie et n’englobent pas non plus, en sens inverse, ce qu’on va appeler, plus tard, la « sous-bourgeoisie » (19% sous le 1%) et ce à la place de la petite-bourgeoisie (3 ) montrant ainsi un retour du point de vue stratificationniste issu, selon nous, de la perception de la forte poussée des inégalités économico-sociales ou les ultra-riches le sont de façon intolérable eu égard à la pauvreté persistante mais aussi aux politiques d’austérité qui ne frappent pas que les pauvres mais une population beaucoup plus large : 90 % au moins.

Incise militante.

Quoique n’ayant jamais publié de livre académique sur ce thème je suis connu dans certains milieux pour avoir développé ce concept ou cette notion de peuple-classe, un peu dans l’ex-LCR mais beaucoup plus au sein d’ATTAC France (ancien site archivé) et surtout à la suite du livre de Yves Meny et Yves Surel précité. Le terme du peuple-classe a pu avoir le sens de « peuple social », hors tout idée de rapport social de domination du haut vers un en-bas large, un peu comme multitude mais en mode passif (attributaire de politiques publiques sans contestation) et dans un cadre national.

Si l’on pense en terme de rapport de domination venue d’une classe alors il devient facile d’user aussi en parallèle du terme de classisme comme rapport de domination voire de guerre de classe (sans reprendre Waren Buffet) et surtout en pensant que ce terme a plusieurs sens, pas que discrimination ou mépris de classe, ni en le limitant à pauvrophobie. Le classisme ne frappe pas que le (les) « sous-sol » de la hiérarchie sociale si on parle en terme de stratification. Par exemple la loi sur le « taux de l’usure » imposée aux banques délivrant des prêts a pu frapper les membres inférieurs de la sous-bourgeoisie (plus le second décile sans doute) qui n’ont pas pu avoir de prêt immobilier pour l’achat de leur maison principale. Cela relève, pour moi, du classisme, de la domination de classe.

Le « we are the 99% » (« nous sommes les 99%  » ) contre la prédation des riches du 1% des Etats-Unis par le mouvement Occupy Wall Street a permis de démultiplier l’usage militant et non académique de peuple-classe. Dans l’altermondialisme français pour l’essentiel, au sein d’ateliers d’université d’été mais aussi dans un livre du CADTM sur l’extractivisme (simple mention), ainsi et surtout dans la revue Mouvements ou l’on trouve par contre un long texte construit en juillet 2012 (4 ) puis plus tard au CADTM (4) .

Altermondialisme : De multitude à peuple-classe.

Point sur deux usages : si multitude sonne contestation transnationale le terme reste relativement interclassiste bien que déjà l’idée apparaisse que cette multitude lutte surtout contre les « puissants » du système mais l’oligarchie ou les classes sociales dominantes ne sont pas expressément visées. Les « puissants » sont partout aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est (Chine et Russie avec un système économique différent), au Nord comme au Sud (ou l’on distingue parfois les bourgeoisies nationales des bourgeoisies compradores) . Par contre le terme de peuple-classe visait lui plus un rapport social global de domination plus large que l’exploitation capitaliste en provenance d’une classe sociale dominante, pas que l’oligarchie des ultra-riches. Plus tard, cette classe sera mise parfois au pluriel : classes sociales dominantes mais l’important est de noter que ce qui était pointé c’était l’existence de cette classe que l’on de disait pas forcément bourgeoisie comme les Pinçon-Charlot qui parlaient eux surtout de la haute-bourgeoisie .

Le problème du triptyque : Ni classisme, ni sexisme, ni racisme

Il y a une première critique qui pointe que les dominations sont plus nombreuses. Certes : Accord sur une extension.
Ces trois refus pose surtout la question des niveaux de dominations (d’ou leur usage) : un camarade a pu me faire remarquer qu’ici classisme se rapportait « simplement » à discrimination tout comme sexisme et racisme. Et donc une conception circonscrite, réduite . C’est alors concevoir le sexisme comme simple discrimination (au sens juridique) et non une vaste domination (au sens social) beaucoup plus importante liée à l’ancestrale domination masculine. Quant au racisme, la question est plus complexe mais on peut aussi distinguer deux niveaux entre les discriminé.es effectifs et l’ensemble de celles et ceux recevant un discours jugé raciste ou racisant . On mesure que les perceptions subjectives sont variables y compris au sein des milieux militants . Débat à poursuivre donc sur ce point.

Christian Delarue

1) « Classe ouvrière, salariat, lutte de classe »
https://www.syllepse.net/classe-ouvriere-salariat-luttes-de-classes-_r_100_i_246.html

2) Yves Mény, Yves Surel, Par le peuple, pour le peuple. Le populisme et les démocraties in Fayard Coll L’Espace du politique 2000
Un chapitre IV a pour titre « Au(x) nom du peuple » , le peuple-classe y est évoqué largement - pas qu’un court paragraphe - tout comme le peuple nation et le peuple souverain
https://www.fayard.fr/livre/par-le-peuple-pour-le-peuple-9782213600772/

Wikipedia cite aussi pour le terme classisme la longue et riche analyse d’Adrien Mazières-Vaysse intitulée Au-delà de l’exploitation. Genèses, enjeux et usages de problématisations des classes sociales en termes de « classisme » et de « mépris de classe »
https://www.academia.edu/40344611/Au-delà_de_lexploitation._Genèses_enjeux_et_usages_de_problématisations_des_classes_sociales_en_termes_de_classisme_et_de_mépris_de_classe

3) Les trois types de petite bourgeoisie
https://blogs.mediapart.fr/christian-delarue/blog/150911/les-trois-types-de-petite-bourgeoisie

4) En juillet 2012 dans Mouvements : « Classe dominante et oligarchie contre peuple souverain et peuple-classe »
https://mouvements.info/classe-dominante-et-oligarchie-contre-peuple-souverain-et-peuple-classe/
puis plus tard en 2021 sur site du CADTM avec « Penser l’oligarchie, la classe dominante et le peuple-classe ».
https://www.cadtm.org/Penser-l-oligarchie-la-classe-dominante-et-le-peuple-classe