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Insurrection fiscale. JM Harribey

mardi 31 mars 2009, par Amitié entre les peuples

Insurrection fiscale par Jean-Marie HARRIBEY

La mise à bas des paradis fiscaux et judiciaires est devenue aujourd’hui une urgente nécessité et un acte de salubrité publique.
Une nécessité pour deux raisons. Parce que les paradis fiscaux sont la pointe avancée, bien que mystérieuse et entourée de secrets, du capitalisme financier. Depuis plus de trente ans, celui-ci a imposé au monde sa logique froide et glacée du profit à tout prix, et, pour satisfaire l’appétit vorace des banques, des fonds spéculatifs et des entreprises transnationales, a organisé des circuits financiers échappant à tout contrôle. Dans ce dispositif, les paradis fiscaux jouent un rôle majeur. Non seulement, des milliers de milliards de dollars y transitent chaque année pour échapper à l’impôt ou pour y retrouver une blancheur qu’ils ont perdue dans de multiples trafics, qu’ils soient légaux, illicites ou carrément mafieux. Mais, de plus, leur responsabilité dans le dérèglement de la finance ayant abouti à la plus grave crise depuis quatre-vingts ans est écrasante. La totalité des banques et des institutions financières ayant trempé dans la spéculation des subprimes ont pignon sur rue dans les « tax-havens » et les places « offshore ». 80% des hedge funds sont localisés dans les paradis fiscaux, dont les îles Caïman. Saura-t-on jamais combien d’argent les dirigeants des Lehman Brothers et autres Northern Rock ont mis à l’abri avant que leurs banques soient déclarées en faillite ? Pour échapper aux règles de prudence, pourtant bien timorées, qui obligent les banques à posséder au moins 8% de fonds propres par rapport aux crédits « risqués » qu’elles accordent, celles-ci sortent de leur bilan certains de leurs crédits en les titrisant et en les attribuant à des entités juridiques de paille domiciliées dans les paradis fiscaux.

Une nécessité aussi parce que les sociétés démocratiques ne retrouveront pas la maîtrise de leur avenir si elles ne se réapproprient pas radicalement le contrôle de la monnaie et du crédit, et donc des institutions qui en assurent l’émission. Comment pourrait-on exercer un contrôle public précis et permanent du système bancaire si on laissait exister à côté de nous des zones de non-droit, des zones où l’opacité et la fraude sont érigées en vertus cardinales ? La crise bancaire et financière nous a rappelé une chose que nous n’aurions jamais dû oublier : la monnaie est un bien public que nous ne devons pas laisser gouverner par les intérêts privés, à plus forte raison lorsque ceux-ci sont guidés par la spéculation. Celle-ci emprunte aujourd’hui tous les circuits possibles : ceux des marchés libéralisés (les bourses, les marchés de produits dérivés, de matières premières, de céréales) et les circuits de recyclage des profits que sont les paradis fiscaux.

La suppression immédiate et sans concession des paradis fiscaux serait en outre un acte de salubrité publique. L’explosion des inégalités à travers le monde a atteint un tel seuil qu’elle menace gravement l’équilibre social et géopolitique planétaire. Cette explosion est d’abord due à la captation de la richesse par une minorité de privilégiés. Mais elle est aggravée et surtout pérennisée par la remise en cause des systèmes fiscaux dans le monde entier. La libéralisation du mouvement des capitaux s’est accompagnée de politiques fiscales fondées sur le « moins-disant ». Tous les États ont rivalisé pour diminuer les taux d’imposition des bénéfices des sociétés et les taux progressifs d’imposition des revenus. Au nom d’un seul argument : la concurrence. Concurrence d’autant plus aggravée que, grâce à la liberté de circuler, les grandes sociétés, financières ou industrielles et commerciales, pouvaient domicilier leurs sièges ou expatrier leurs profits dans les paradis fiscaux. À cet égard, l’Europe est un modèle de vice. Non seulement, l’Union européenne compte en son sein plusieurs pays qui se livrent à une concurrence acharnée en matière de fiscalité ou de secret bancaire, mais elle s’accommode de la présence à ses portes de havres pour capitaux défiscalisés : Suisse, Liechtenstein, Andorre, Monaco, Îles anglo-normandes… N’oublions pas que Jersey, où nous sommes aujourd’hui, ne serait pas un paradis fiscal si, non loin de là, la City de Londres ne cachait pas, derrière sa respectabilité de façade, la nature profonde de la finance capitaliste : captation et prédation sont les deux mamelles de la rente financière.

Acte de salubrité publique encore parce que, à la dégradation des systèmes fiscaux rendant de plus en plus difficile la fourniture aux citoyens de services publics de haut niveau, s’ajoute la dégradation des systèmes de protection sociale. En restreignant l’assurance maladie et les retraites collectives, les gouvernements capitalistes ont mis en orbite les compagnies d’assurance et les fonds de pension pour qu’ils captent une épargne individuelle, laquelle vient grossir les fonds spéculatifs et s’intégrer dans les circuits de la finance mondiale dont les paradis fiscaux sont une pièce maîtresse.

De quelque côté que l’on se tourne, l’existence de paradis fiscaux est corrélée avec celle d’enfers sociaux. L’extraordinaire exacerbation de cette contradiction vient de dégénérer en une crise globale inédite. Ses multiples dimensions s’entremêlent et se renforcent mutuellement : financière, sociale, économique, alimentaire et écologique. Et c’est pourtant le moment où les tenants de l’ordre mondial établi s’arc-boutent pour maintenir leurs privilèges, dont le privilège fiscal est le plus grossier parce qu’il vise à interdire toute redistribution des richesses. Nous sommes peut-être en 1788, avec la conjonction dans le monde d’une spéculation tous azimuts, d’une crise alimentaire ouverte ou latente et d’une privation des droits humains les plus élémentaires pour une grande majorité des êtres.

Aujourd’hui, l’heure est venue de l’insurrection fiscale pour exiger la suppression des paradis fiscaux. C’est le premier verrou à faire sauter pour réussir une profonde transformation sociale ensuite.