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Il y a 50 ans Staline mourait G Filoche (Staline de JJ Marie)

vendredi 13 septembre 2013, par Amitié entre les peuples

Retour sur le livre de Jean-Jacques Marie : « Staline » chez Fayard

Il y a 50 ans Staline mourait

C’est l’occasion de revenir sur le dernier livre (mai 2001) de Jean-Jacques Marie, sur « Staline » chez Fayard

Un livre d’épouvante

Buffy et les vampires ? Un film d’horreur ? En mai 2001, deux ans avant le 50 ° anniversaire de la mort de Staline, Jean-Jacques Marie publie une nouvelle biographie du fossoyeur de la révolution d’octobre 1917. Toutes les informations disponibles les plus récentes sur la vie du personnage sont rassemblées, là, dans leur chronologie, leur énormité, effrayantes. On y découvre le martyr ascendant de tout un peuple sous le joug d’un des plus grands tyrans du siècle pendant deux décennies. Toutes les disciplines toutes les connaissances accumulées, historiques, psychologiques, sociologiques, économiques, sont mises au service de ce portrait, au « plus près », de ce trop sinistre dictateur qui a cristallisé l’éphémère bureaucratie soviétique et imposé une si longu eet si féroce dictature à des centaines de millions de ses concitoyens.

La jeunesse de Staline :

Les plus grands meurtriers de l’histoire ont-ils eu une jeunesse ? Celui-là est né le 6 décembre 1878, en Georgie, près de Tiflis, d’un savetier ignorant, alcoolique, qui bat sa femme, puis la quitte et finit sans domicile fixe. La mère, fille de paysan pauvre, bigote, acharné à ce qu’il devienne prêtre, place en séminaire le jeune Joseph Dougachvili, qui souffre de malformations (deuxième et troisième orteils collés, bras gauche plus court que le droit) et qui ne dépassera jamais 1 m 62. C’est « un jeune homme sec, osseux, au visage brun pale, raviné par la petite vérole, aux yeux agiles et rusés, vil, désinvolte et présomptueux » (Arsenidzé, « souvenirs sur Staline » 1963)) « De son expérience au séminaire, il a tiré la conclusion que les gens sont intolérants, grossiers, trompent leur »troupeau« pour le tenir en mains, intriguent, mentent, et, en fin de compte, ont énormément de faiblesses et très peu de vertus » écrira sa fille, Svletana. Pris comme le plus pauvre des élèves, soumis à la discipline religieuse, il s’y moule, s’y cache, résiste sournoisement à l’hypocrisie des prêtres, à leur censure, à leurs sanctions, puis est finalement exclu, rejoint le premier cercle social-démocrate de Tiflis en 1899.

Commence une vie de semi clandestinité, de prison, d’exil, où il joue un rôle actif mais assez terne, entre Tiflis, Batoum, Bakou, puis déporté, en Sibérie près d’Irkoutsk. Sept fois arrêté, six fois exilé, évadé cinq fois, il revient en Georgie, il ne participe que de loin, sans trace, aux débats fondateurs du parti bolchevique, ne participe guère à la révolution de 1905 (lorsque la grève éclate à Tiflis le 11 décembre, il est en Finlande ou il rencontre et s’oppose à Lénine pour la première fois). Le bilan de « Koba » (c’est l’un de ses pseudonymes de l’époque) de toutes ces années est maigre, peu à l’aise dans les meetings ou manifestations, il écrit de rares articles, et ne prononce guère de discours, il n’a pris part à aucun acte décisif. « La révolution ne révèle en lui aucun talent, il en sort comme il y était entré ».

En avril 1906, il participe au congrès de Stockholm où les mencheviks et les bolcheviks se réunifient, mais il ne signe pas le manifeste proposé par Lénine. Rentré il écrit une médiocre brochure « Anarchisme ou Socialisme » ou il annonce le triomphe inévitable du socialisme prolétarien de Marx« . Il revient au congrès de Londres, en mai 1907 où il ne prend pas la parole durant trois semaines, mais, dans son compte rendu imprimé dans »Le prolétaire de Bakou« , il qualifie Trotsky de »magnifique inutilité« . Il n’est guère théoricien ni en ces années-là ni ensuite. Il juge que la polémique contenue dans le livre »matérialisme et empiriocriticisme« de Lénine est une »tempête dans un verre d’eau« . Il commence néanmoins à monter dans l’appareil bolchevique à partir de 1912. Battu à l’élection du Comité central, il est coopté, participe au lancement de la Pravda, prône l’unification avec les mencheviks malgré l’opposition farouche de Lénine : celui-ci l’appelle pourtant à Cracovie puis à Vienne où il travaille à une brochure sur »le marxisme et la question nationale« , seul texte un peu consistant qu’il aura rédigé. Puis de retour à St Petersbourg, »le grêlé« , le »caucasien" comme l’appelle la police, est arrêté et exilé dans le grand nord sibérien : il y restera, passif, jusqu’en mars 1917, végétant, rongé par les difficultés financières, l’alcool et l’ennui... En cinq ans, il écrira... cinq lettres, et ne pressentira rien du séisme provoqué par la guerre qui conduit pourtant à l’effondrement du tsarisme.

Tous les témoignages, sur ces trente premières années, ne décrivent qu’un personnage de second rang, plutôt opiniâtre mais ombrageux, attentiste, hostile aux esprits brillants, mais sectaire lui-même, furieusement, exagérément polémique contre tous les mencheviks et autres socialistes occidentaux, émigrés ou non russes. « Sans parents riches ni amis riches », il se morfond davantage que les autres bolcheviks plus aisés ou plus brillants, mais il va pourtant prendre le pas sur eux.

À l’ombre de la révolution :

Ce n’est pas le soleil révolutionnaire qui illuminera Staline. 1917 le verra commettre à peu près toutes les erreurs, il gère le parti et le mouvement des masses à contre-temps, il est pour l’unification avec les mencheviks alors que ceux-ci veulent poursuivre la guerre, il est contre « les thèses d’avril » de Lénine (« ces thèses ne sont qu’un schéma qui n’est pas nourri de faits » écrit-il) et il sera à peu prés contre toutes les initiatives qui aboutiront à la révolution d’octobre. Mais il saura se tenir présent, s’abriter derrière les positions dominantes, se maintenir indispensable dans l’appareil malgré tous ces flottements : « Les larges masses de Pétrograd ne connaissaient guère Staline alors. Il ne recherchait pas la popularité. Dénué de talent oratoire, il fuyait les meetings publics. Mais aucune conférence du Parti, aucune réunion d’organisation sérieuse ne se déroulait sans un rapport politique de Staline. Aussi les cadres du parti le connaissaient-ils bien. » (P5). À la discussion interne, il préfère déjà l’oukase : même s’il est prudent et réservé, arrondit les angles et recolle les morceaux dans les débats cruciaux de la direction, il transmet durement les ordres et apparaît comme chef à poigne vis-à-vis des cadres militants. Une « aptitude à frapper secrètement par les mains d’autrui, tout en passant inaperçu, fit de Staline un combinard astucieux qui ne reculait devant aucun moyen et évitait toute reddition des comptes, toute responsabilité. » (P 105)

Comment s’impose t il ainsi ? La révolution a peu de cadres. Le prolétariat est composé de 2,5 millions d’ouvriers, il y a 150 millions de paysans. La guerre conduite par le tsar a ruiné le pays : après avoir coûté 4 milliards en 1914, elle s’élève à 60 milliards de roubles en 1917, et il y a sept millions de morts côté russe, autant que tous les alliés réunis. Octobre n’est pas un putsch : la seule tentative de coup d’état est celle des militaires autour de Kornilov. 80 % des électeurs votent pour l’un des partis socialistes, la droite a moins de 20 % des voix, les mencheviks... 4 %. Le parti bolchevique qui, après s’être opposé de toutes ses forces à la révolution de juillet, gagne largement les différentes élections, se trouve en première ligne lorsque le putsch du général Kornilov menace la toute nouvelle démocratie. Contrairement à une idée souvent reçue, les mencheviks sont électoralement balayés avant de l’être physiquement du pouvoir.

Mais pour autant le pouvoir de la droite et des mencheviks se maintient tandis que la dictature militaire se profile. Le choix est impitoyablement entre révolution et contre-révolution : Staline n’est pas de ceux qui débattent et tranchent de la prise du pouvoir mais il en sera pourtant un des nouveaux notables. Le parti bolchevique à peine victorieux sera au centre d’une contre-offensive où il aura besoin de tous ses membres pour survivre : ce ne sera que d’extrême justesse s’il ne connaît pas le sort que les versaillais ont réservé aux communards français.

Le secrétaire général :

Au milieu de la guerre civile qui fait six millions de morts, détruit le meilleur du parti bolchevique et sa base sociale, une poignée d’hommes défendent le nouveau pouvoir qui se durcit, s’isole, se bat désespérément le dos au mur. Staline est de ceux-là, déjà donneur d’ordre obtus, brutal et confus, déjà adversaire de Trotsky qui crée et dirige trop brillamment l’Armée rouge. C’est un long et obscur épisode où il donne des ordres contradictoires, s’embarque dans des aventures militaires qui échouent toutes, se heurte à la direction de l’Armée rouge, en appelle en permanence à Lénine contre Trotsky, et se révêle d’une brutalité féroce.

Puis, de retour au cœur de l’appareil Staline cumule les responsabilités organisationnelles apparemment ingrates (sept en tout, toutes de second rang mais clefs) et prend sournoisement tout en main, personne ne le craignant, tout le monde l’ignorant, le sous-estimant - au début. Au nom de « l’unité du parti », de la « discipline bolchevique » il met en place un système qui n’est combattu par personne tant qu’il s’agit de faire face aux assauts des six armées étrangère (anglaise, française, américaine, japonaise...) qui envahissent la Russie, mais qui s’avère immédiatement retors et paralysant dès que, la victoire assurée, il faudra reconstruire le pays.

Ne vous laissez jamais intimider par les appels « au secret » : ni par les méthodes de discussion appuyées sur un terrorisme verbal, ni par les organigrammes bureaucratiques, ni par les praticiens activistes qui vous clouent le bec en vous reprochant de ne pas avoir assez les mains dans le cambouis. Sinon vous laisserez l’espace à des Staline aux petits pieds, surtout si le parti fusionne avec l’état, l’économie est détruite, la pénurie règne, ainsi que l’ignorance et la routine. La révolution est mort-née : elle ne s’étend pas en Allemagne, malgré la paix et la NEP le pays est en ruine, affamé. Lénine meurt après avoir essayé d’écarter Staline in extremis. La bureaucratie s’installe et Staline avec. La liste nominale est même dressée par Staline : 647 membres des principales administrations, 894 dirigeants principaux de l’état, une section secrète de 90 membres du Guépéou directement relié au « secrétaire général ».

La description de cette incrustation est fascinante : pied à pied Staline manœuvre, ment, dissimule, oppose les uns aux autres, invente des centaines de petits traquenards mesquins, attise les contradictions formelles, divise, s’en prend aux « trotskistes », développe les soupçons, tout cela de plus en plus brutalement. Il remplace d’abord l’élection des responsables à tous les niveaux par la base par des désignations venues d’en haut. Puis il distribue les privilèges, les rations, les pouvoirs, il contrôle tout. Nous sommes au meilleur passage du livre, minutieux, terrifiant : la mise en place, dans la « nouvelle société », dans la douleur, l’angoisse sourde, l’incompréhension générale, du pire des systèmes dictatorial. Aucun bolchevique n’osait à l’époque imaginer ce qui était en train de se mettre en place. Seuil peut-être Lénine mène un dernier combat contre la « brutal argousin grand russe » qu’il identifie et dénonce dans son testament.

« Qu’est-ce que vous croyez ? que nous avons voulu cela ? Que nous sommes allés consciemment dans cette voie ? Croyez vous que Staline savait à l’avance, avait calculé mais se taisait un certain temps. Nous voulions autre chose, nous avions d’autres idées. Nous avons sombré dans cette fosse petit à petit de façon quasiment insensible » écrira plus tard un des secrétaires de Staline. (P 249) Staline savait jouer de toutes les hypocrisies, faire le modeste, menacer en permanence humblement de démissionner, se présenter comme harassé et besogneux, et si Trotsky était, de loin, après Lénine, l’homme le plus populaire dans le pays, c’est Staline qui s’arrangera pour organiser les obsèques de Lénine, pour gérer au jour le jour les basses besognes matérielles, pour se rendre indispensable auprès des cadres intermédiaires de l’appareil, pour le façonner à son image, retorse. C’est le « secrétariat » qui désigne directement 83 % des délégués au 12 congrès du Parti communiste d’union soviétique.

Le socialisme dans un seul pays :

Staline est assurément contre la mondialisation : la révolution allemande, seul espoir des révolutionnaires russes étant écrasée, puis la première révolution chinoise, peu à peu le nouveau pouvoir se replie sur lui-même dans une mission impossible : construire le socialisme dans la seule URSS. Staline qui fait peu de théorie, attaquera bientôt, couvert par Kamenev et Zinoviev, puis par Boukharine, qui ne se méfient pas de lui, publiquement et ignominieusement les positions de Trotsky : sur 500 000 membres du Parti en 1923, moins de 10 000 ont participé aux grands débats des bolcheviks des années antérieures à la révolution. 5 % sont illettrés, 75 % n’ont qu’une instruction élémentaire, 6,3 % ont une instruction moyenne, et 1 % une instruction supérieure : en gros 300 dans tout Moscou, 100 dans toute la Sibérie. « À tous, Staline psalmodie : notre maître vénéré Lénine a dit que Trotsky est un petit Judas ». Le tour de la discussion prend un caractère odieux, personnel, abêtissant. L’histoire du bolchevisme et de la révolution d’octobre est ré-écrite, et l’autarcie prônée comme un système tranquillisant et rassurant.

Tout en se posant en modérateur, en garant de l’unité du parti, en rassembleur des différents clans, en se refusant, dans un premier temps, à « exclure » qui que ce soit, Staline oppose les uns aux autres, et jusqu’en 1929 se situe au « centre » des majorités possibles, il se présente comme démocratique, presque paternel. Khrouchtchev écrira « Staline était un artiste et un jésuite. Il savait jouer, pour se montrer sous son meilleur profil. » Formules simples, évidentes, accessibles aux cadres moyens, tandis que la famine se développe dans une URSS totalement isolée. Les paysans renâclent à vendre leur blé au prix fixé trop bas et le stockent : cette première crise annonce de terribles affrontements dans les campagnes.

Ayant en main l’appareil Staline décidé alors de « prendre en main le couteau de chirurgien pour retrancher quelques camarades ». Après l’expulsion de Trotsky puis son exil (Staline regrettera sa « clémence »), ce sera la tour du bloc Zinoviev-Kamenev. Puis de Bouhkarine. Puis de Rykov ; Il allie la plus grande brutalité à l’apparente modération mais laisse s’organiser un début de culte de la personnalité au sein du parti qui compte désormais 1 200 000 membres, 90 % des secrétaires de cellules (nommés) ayant adhéré après la mort de Lénine.

C’est par la contrainte que Staline choisit d’affronter la crise du blé : il engage la chasse aux Koulaks, paysans aisés, et remplit le goulag (Glavnoe Oupravlenie Ispravitelno-Troudovykh Lageurei« ). C’est la collectivisation forcée, massive, la terreur : répression, déportation, exclusions, exécutions vont se démultiplier dans les années 1929-1931. D’abord 356 00 familles soit 1800 000 personnes sont déportées en Sibérie. 400 000 autres familles sont déplacées sur des terres infertiles à défricher. Conséquences : les paysans abattent la moitié de leur cheptel, la récole baisse d’un tiers, la disette se développe et frappe 30 millions de paysans. Grèves, soulèvements, Alors qu’en 1929, on compte 1300 émeutes paysannes, 20 000 émeutiers sont condamnés à mort. En 1930, il y aura 2200 soulèvements. La classe ouvrière grossit, passant de 6 millions à 12,5 millions grâce au recrutement massif des paysans qui fuient la campagne et à l’embauche massive des femmes. Les lois sont durcies : pour cinq épis de blé détournés, les gens écopent de trois ans de prison. Une peine minimum de 10 ans de réclusion et la peine de mort punissent tout pillage. Le livret de travail obligatoire est établi pour tout ouvrier. La peine de mort est étendue aux enfants de douze ans. Tortures, exécutions sommaires, délations sont organisées. En Ukraine, 4 millions de paysans mourront de faim, 7 millions dans toute l’Urss. Le Guépéou passe de 816 000 agents à 1 300 000 le 1er janvier 1934. Les membres du parti se rebellant, les épurations deviennent régulières et systématiques, accompagnées de dénonciations »idéologiques" : zinovievistes, boukhariniens, contre-révolutionnaires, petit-bourgeois enragé, saboteurs... et trotskistes !

Dans ce socialisme de terreur dans un seul pays, Staline proclame le succès de la collectivisation en truquant les chiffres : mais la réalité est qu’il ressort une production de viande deux fois inférieure à celle de l’année 19, la pire année de la guerre civile, 17,7 millions de chevaux, 10 millions de porcs et 25 millions de bovins ont péri. Mais il existe 240 000 Kolkhozes, ce qui veut dire 480 000 présidents, et 240 000 comptables... et autant de privilégiés. En 1933, 40 millions de soviétiques seulement sur 165 millions sont titulaires d’un ticket de pain, 6,5 millions de tickets de viande, 3 millions de tickets de beurre... Un désastre irréparable pour l’agriculture soviétique...

La contre-révolution :

Dans ce contexte de guerre civile interne et d’affaiblissement de l’URSS, la théorie officielle prônée par Staline et son clan, c’est que la révolution va de l’avant partout dans le monde, que le capitalisme est à l’agonie depuis sa crise de 29, que la social-démocratie et la sœur jumelle du nazisme, que même l’avènement d’Hitler en janvier 1933, rapproche l’heure du soulèvement des masses allemandes...Dans la Comintern, Willy Muzenberg dénonce « la proposition fasciste de Trotsky d’une unité du PC et du PS allemand »,

Le XVI congrès du 26 juin 1930 avait renforcé encore le pouvoir de Staline en épurant ses principaux adversaires des organismes centraux. Staline de toute façon réunit en permanence autour de lui, depuis des années, un « groupe informel » qui « double » le bureau politique, qui bientôt ne se réunira plus.

Le XVII ° congrès de janvier 1934 sera le dernier congrès bolchevique : Staline y est encensé, consacré... mais au vote à bulletin secret, il est massivement rayé et élu... en dernière position. (Sur 1225 bulletins, il luit manque selon les sources, 166, 260 ou 300 voix !). C’est un coup de théâtre qui montre qu’une forte opposition souterraine demeure à Staline, à ses méthodes, au sein du vieux parti bolchevique. Une réunion eut lieu dans un coin de congrès demandant à Kirov d’être candidat au poste de secrétaire général : il refusa. Tous les vieux cadres du parti demeurent frondeurs, insoumis, sur le fond : ils ont gardé leurs vieilles habitudes bolcheviques et le pouvoir de Staline dépend d’eux. L’homme ne peut accepter cette menace de devoir son pouvoir à ces révolutionnaires-là : appuyé sur le Guépéou, dans la foulée de la terreur contre les paysans, il va, en quatre ans, organiser une autre terreur contre tous les survivants du parti d’Octobre. À commencer par ces délégués du XVII congrès qui ont osé le raturer : 80 % d’entre eux - qui avaient adhéré au bolchevisme avant 1920 - seront éliminés physiquement avant le congrès suivant. Assurer les quotas du goulag : 400 000 emprisonnés annuels. Assurer les purges régulières du parti : 18 % des 1916 500 membres sont exclus (ils perdent leur travail, leur appartement, leurs rations spéciales...). Bientôt : « venger Kirov » !

Le premier secrétaire du parti de Leningrad, Kirov est assassiné par un certain Nicolaïev le 1er décembre 1934. La rumeur accuse Staline d’avoir encouragé le meurtre. Mais La Pravda dénonce« un assassinat soigneusement prémédité et préparé ». Staline dénonce un complot puis Trotsky, Zinoviev, Kamenev, et tous les vieux bolcheviques. Rykov murmure à sa fille : « C’est le signal du déclenchement de la terreur ». Zinoviev arrêté le 16 décembre avec 13 vieux léninistes, est condamné malgré ses protestations d’innocence et d’amitié envers Staline. Les affaires sont fabriquées une à une contre « la tourbe puante des trotskistes, zinovievistes, gardes blancs, filous et autres vermines... » Staline suit chaque procès pas à pas, fixe lui-même la liste des arrestations, des exécutions. Chaque condamné, l’est avec sa famille, qui est déportée parfois exécutée, la peine de mort est établie pour les enfants de 12 ans. Le 27 juillet 1935 c’est le tour de Kamenev et des siens, torturés, menacés pour leurs proches. Peu avouent, mais bientôt tous meurent exécutés traités de « roquets, misérables pygmées, chiens enragés » par le procureur Vychinski : Boukharine, Rykov, Tomski, Radek, Toukhachevski, Ordjonikidzé, Lominadzé, seront humiliés, puis suppliciés. Les laxistes à leur égard le seront bientôt, c’est un maelström qui s’abat sur le parti de Lénine, contre la vieille garde révolutionnaire : 31 membres du comité central sont exclus le 20 juin 1937, sans explication. La vieille garde de l’armée rouge est aussi décapitée : 138 gradés sont fusillés, puis 292 autres, ordre signé de la main de Staline. Dont 41 maréchaux, 714 généraux, 8122 officiers, au total 40 000 cadres de l’armée éliminés ou déportés. (Lire A. Nekritch, L’armée rouge assassinée" Paris, Grasset, 1968). En juillet 35 encore sur instruction de Staline toujours, il est recensé 259 450 personnes à arrêter, dont 72 950 à exécuter. Des quotas fixent les exécutions à 10 puis 20 % des arrêtés. En janvier 38, les 4/5 d’une liste de 57 200 personnes seront fusillés. Par vagues successives, et par catégories, l’épuration s’étend inexorablement : la Comintern, les chercheurs, les diplomates, les communistes polonais, les médecins, les jeunesses communistes, puis les responsables successifs des purges, Iagoda, Iejov, sont à leur tour purgés. En tout en 37-38, 1 372 392 arrestations, 681 692 fusillés, en 39-40, 121033 arrestations, 4464 fusillés. Il faut ajouter les millions de paysans morts de la dékoulakisation, les centaines de milliers de morts au goulag, et les sept millions de la famine de 32-33, victimes aussi de la politique stalinienne.

Le parti stalinien de 1939 s’est construit sur les débris de l’ancien parti bolchevique. Lors du XVIII congrès sur 1 589 000 membres, seuls 0,3 % d’entre eux ont adhéré avant 1917.Une nouvelle nomenklatura est née, qui se partage les dépouilles de l’ancienne, entièrement promue par Staline et totalement dépendante de lui.La génération Molotov, Mikoian, Beria, Malenkov, Khrouchtchev, Jdanov... prend les rênes autour du « petit père des peuples » glorifié. Les salaires et privilèges des dirigeants sont augmentés tandis qu’une législation antiouvrière est promulguée : la durée du travail est augmentée, le repos hebdomadaire supprimé, les sanctions pour retards, fautes sont aggravées, l’ouvrier affublé d’un nouveau « livret de travail » où tout est noté, ne peut quitter l’entreprise de sa propre initiative.

La contre-révolution est achevée. Octobre 17 est enterré.

Dans le monde peu d’intellectuels, très peu de forces militantes ont osé s’élever en temps utile contre Staline. Il n’y a personne excepté Trotsky pour écrire un « livre noir du stalinisme » en ces temps-là. Peu analysent l’ampleur et la nature du désastre. Dans le monde entier, l’URSS continue d’être présentée comme « socialiste » à droite comme à gauche. Les rares et courageux militants résistants qui osent dénoncer l’infâme contre-révolution (Kristian Racovski notamment, le fils de Trotsky, Léon Sedov, Ignace Reiss, Rudolf Klément, Ernst Wolf, les vieux trotskistes, qui osèrent même manifester au goulag de la Kolyma) sont isolés. Il y a bien eu des centaines de milliers de résistants sur le terrain en URSS même dont on peut citer les actions, les paroles, les écrits, mais ceux-là ont finalement péri, exécutés pour trotskisme. Le jeune physicien Lev Davidovitch Landau, futur prix Nobel devait écrire un tract courageux en 1935 dénonçant « la trahison de la révolution d’Octobre par le dictateur fasciste et sa clique. Le pays est noyé sous des flots de boue et de sang. Des millions d’innocents sont en prison. L’économie se désintègre. La famine s’annonce. Dans sa haine furieuse du socialisme, Staline a égalé Hitler et Mussolini. En détruisant le pays pour conserver son pouvoir, Staline le transforme en une proie facile pour le fascisme allemand enragé ».

Rares seront les écrivains comme Victor Serge qui décriront « Minuit dans le siècle » (Lire notamment « l’affaire Toulaev » « Et nos fières balles socialistes sont encore trop belles pour vous trotskistes... ») . Rares les André Gide qui se détacheront de l’URSS ou les Georges Orwell qui combattront Big Brother. Les Ian Valtin qui raconteront « Sans patrie ni frontière ». Les Charles Plisnier dans « Faux Passeports », les Manes Sperber, les Felix Morrow (Révolution et contre-révolution en Espagne")...

Rares les militants qui auront la vision lucide de ce que représentent à la fois et symétriquement Hitler et Staline. Rares ceux qui se dégageront du piége de la division fatale entre PS et PC, des assimilations « social-démocratie et fascisme » « hitlérisme et trotskisme », qui combattront le fascisme sans céder au stalinisme ni renoncer aux idéaux d’Octobre.

Et seul Trotsky dénoncera en temps réel « Les crimes de Staline ». Seul il analysera la contre-révolution sanguinaire, la marche violente au rétablissement du capitalisme par une caste dirigeante toute puissante exerçant sa dictature non pas pour mais contre les travailleurs. Il comparera l’appareil politique d’Hitler et celui de Staline, ce dernier ne se « distinguant en rien de celui des pays fascistes, sinon par une plus grande frénésie ».,IL dénoncera les « deux étoiles jumelles Hitler et Staline ». Il prophétisera dés 1993, la marche à la guerre mondiale facilitée par les ouvertures répétées de Staline vers Hitler, jusqu’au pacte germano-soviétique inclus.

Les « démocraties » ont maintenu un silence complice sur les procès de Moscou. De même qu’elles laisseront vaincre la république espagnole et chercheront à s’accorder avec les nazis à Munich. Toutes ont feint de lier la terreur stalinienne à la révolution et la révolution à la terreur stalinienne, comme si la continuité existait de 1917 à 1937. La propagande dominante, profonde et encore ancrée aujourd’hui, au lieu de condamner la prise de pouvoir totalitaire de Staline, s’acharnera à mettre sur le même plan les bourreaux et les victimes, la caste bureaucratique et les révolutionnaires d’Octobre.

Le 20 août, lorsque, après plusieurs tentatives, Staline réussit à faire tuer Trotsky à Mexico par son agent Mercader, le monde plongé déjà dans la guerre, se verra servir comme principale explication qu’il s’agit d’un règlement de compte final entre extrémistes. Le Larousse ose encore écrire aujourd’hui, comme le souligne Jean-Jacques Marie, (P 592) dans sa notice sur Trotsky « il fut assassiné par son secrétaire ». Alors que pour les staliniens et Beria, Trotsky restait une menace : « L’élimination de Trotsky se traduira par l’effondrement total de son mouvement et nous n’aurons plus besoin de dépenser de l’argent pour combattre les trotskistes et les empêcher de détruire la Comintern ou de nous détruire » (P 590).Ainsi que pour l’ambassadeur de France Coulondre qui déclarait à Hitler le 25 août 1939 : « J’ai aussi la crainte qu’à l’issue de la guerre, il n’y ait qu’un seul vainqueur : monsieur Trotsky ». (P 591)

« L’aveuglement » face à Hitler :

Staline dés le début considère Hitler d’un oeil favorable. Son accession au pouvoir en janvier 33 lui semble même de bon augure... pour la révolution allemande.Ensuite,ilchercheàse rapprocher des dirigeants nazis et multiplie les signes en leur direction. Il trahit et assassine froidement la république espagnole, pillant son or, lui livrant de médiocres armes et infligeant purges et divisions dans les rangs antifranquistes. Enfin il signe le Pacte germano soviétique. Ces quelques « prouesses » en matière de politique extérieure sont déjà très indicatives de ses choix contre-révolutionnaires : le « grêlé », le caucasien madré, après avoir créé sa propre base sociale matée, disciplinée, à sa botte, en URSS même, cherche ses appuis internationaux pour survivre. Jusqu’au bout il va donc rechercher l’alliance avec Hitler et parier que celui-ci n’attaquera pas l’URSS : mais la révolution permanente frappe, et malgré tous les efforts contre-révolutionnaires de Staline, le grand capital préfère des hommes et un système contrôlé par lui. Or, Hitler a été encouragé et mis en place, justement, pour s’attaquer au bolchevisme. Pas seulement pour liquider le PC allemand, pas seulement pour mater tout mouvement social indépendant en Europe, mais aussi pour renverser les rapports de force tels qu’ils étaient sortis de la guerre 1914-18, pour vaincre cette révolution russe à laquelle on donne encore, dans la propagande, l’apparence du communisme. Le chef nazi doit remplir son rôle : il attaquera le 22 juin 1941. Staline aura tout fait pour démobiliser son pays, pour désorganiser son armée, et ce sera la débâcle.

L’armée rouge compte 186 divisions contre 153 à l’armée allemande, elle dispose d’autant de mortiers, elle ligne 9000 avions contre 4400 pour la Luftwaffe, 11000 tanks contre 4000 panzers, mais cette supériorité matérielle apparente sera balayée en trois jours en raison de l’impréparation délibérée de l’armée de Staline.

Lorsque l’attaque se produit dans la nuit du 21 au 22 juin, Staline dort. Réveillé, il n’y croit pas avant de se dire « trompé ». Il espère que son ami Hitler « ne sait rien de tout cela ». Cela va coûter à l’Armée rouge des millions de morts et des millions de prisonniers. La débandade est telle que Staline semble perdre pied : lorsque six membres du Bureau politique (Molotov, Mikoian, Malenkov, Vorochilov, Beria, Voznessenski) débarquent chez lui, le 29 juin, affolés par la défaite, et le trouvent prostré, il se pétrifie, enfonce la tête dans les épaules et croient qu’ils viennent l’arrêter...« C’est le sort que lui auraient réservé des hommes indépendants du système qu’il avait fondé, mais il a, heureusement pour lui, façonné des serviteurs » écrit Jean-Jacques Marie. (P. 627)

Puis Staline se redresse, accuse, comme d’habitude, les autres de ses propres erreurs, fusille des généraux incompétents qu’il a lui-même placés là, se garde bien d’aller sur le front, met en place un lourd système de guerre entièrement dépendant de lui, ce qui aggrave les difficultés, et bientôt Moscou est menacé. Les ordres de Staline sont alors grandiloquents et impuissants, il préconise d’irréalistes contre-attaques, il bluffe malgré la défaite qui s’aggrave en cascade. Il menace, terrorise ses généraux et responsables politiques, limoge, fusille, fixe des objectifs inatteignables, appelle les Alliés au secours, aggravant le bilan. « Son indifférence face aux souffrances de la population valait celle d’Hitler ». (Antony Beevor, Stalingrad, page 49). Son incompétence, son mépris de la vie humaine, sa méconnaissance du front, qu’il ne visite pas, provoquent un gâchis énorme en être humains et en matériel précieux. Fin septembre l’Armée rouge a perdu 2 millions de soldats prisonniers et 1,5 million de morts ou disparus contre 500 000 pour la Wehrmacht. L’URSS a perdu son grenier à grains, deux tiers de sa production de charbon, et de fonte, 60 % de son acier. Alors Staline rétablit certaines libertés religieuses notamment, redonne certains droits aux paysans, tient un discours patriotique, nationaliste, rétablit de nouveaux privilèges, l’uniforme avec grades, et les valeurs traditionnelles grand’russes. « Plus un pas en arrière, les paniquards et les lâches doivent être exterminés sur place ».

L’ancienne Tsaritsyne, devenue Stalingrad, sur la Volga, va être le champ de bataille décisif : la plus grande bataille de l’histoire de l’humanité va s’y dérouler. C’est le peuple russe, malgré Staline, qui va la gagner au prix d’immenses sacrifices. Il faut lire « Vie et destin » l’extraordinaire, l’exceptionnel et trop méconnu roman de Vassili Grosman pour le comprendre de l’intérieur. Des bilans détaillés de cette bataille, et des responsabilités de Staline ont été écrits, notamment par Antony Beevor (Editions de Fallois, 1999, 445 pages). Bien meilleurs que le film de Jean-Jacques Annaud (lequel après un premier quart d’heure excellent, finit en Sergio Leone, et ce qui était bien pour un western, sonne faux en cet affreux moment historique). Cependant, c’est le tournant de la seconde guerre mondiale, le glas sonne pour l’hitlérisme et le paradoxe inouï est que cette bataille s’appelle : « Stalingrad ». Alors qu’on débaptisera, à peine quelque dix ans plus tard de nombreuses rues et places « Staline », on aura toujours une hésitation à enlever le nom fameux de « Stalingrad » en raison de ce qu’il signifie de courage, de souffrances populaires dans la lutte héroïque contre le nazisme. Au total d’après Beevor, le coût pour l’Armée rouge est de 9 millions de morts et 18 millions de blessés, les pertes civiles s’élèvent à 18 millions de victimes soit cinq fois le total connu pour l’Allemagne.

L’Armée rouge arrive la première à Berlin.
Mais même pendant la guerre patriotique, le NKVD a continué la répression : en 1943, 931 549 arrestations, dont 80 296 déportations ont eu lieu. Entre 1943 et 1944, 69 000 Karatchaïs ont été déportés, 80000 kalmouks, 309 000 tchétchènes, 81 000 Ingouches, 37 000 Balkars, 200 000 tatars, 86 000 meskhètes, 140000 ukrainiens. Le parti n’a plus de rôle, le Comité central a été convoqué une seule fois pendant la guerre... pour entériner la liquidation du maréchal Koulik. Le Bureau politique n’a jamais été réuni. Il a dissous l’internationale communiste.

Victoire, grand partage, tyrannie, restauration manquée :

Evidemment Staline sauvé malgré ses incommensurables crimes et trahisons, par le sacrifice de millions de morts soviétiques, est au-devant de la scène mondiale après cette victoire : Il fit apparaitre les désastres de 1941 comme faisant partie d’un plan diaboliquement asticieux. C’est donc lui qui négocie le partage du monde, sans davantage de souci pour les droits des peuples, à Yalta, Potsdam et Téhéran, avec Churchill et Roosevelt. Il n’est bien sur plus question de révolution, encore moins de droits des humains, mais de diplomatie d’état cynique.

De même Staline ne cesse de freiner les mouvements populaires en Europe de l’Est, d’imposer des partages comme au temps du tsarisme, avec un mépris de fer pour les petites nations. Les concessions à la grande Bretagne et aux Etats-Unis sont considérables : coup de poignard dans le dos aux partisans grecs, lâchage des Yougoslaves, soumission des roumains et bulgares, rétablissement de l’ordre capitaliste en Europe excepté là où cela s’avère impossible car les systèmes craquent sous les mouvements des masses : en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Hongrie, Roumanie, Bulgarie...

L’URSS est exsangue 1710 villes détruites, 70 000 villages, 32 000 usines, 65 000 km de voies ferrées, 100 000 sovkhozes et kolkhozes (sur 250 000) ont été détruits. 25 000 000 d’humains logent dans des ruines. La guerre aurait coûté 7 500 000 morts selon Staline mais les historiens russes rétabliront la vérité : au total 27 millions.

Ainsi ce pays, entre la guerre de 14-18, la famine due à cette guerre, la guerre civile provoquée par les blancs et les différentes armées capitalistes, puis la contre révolution stalinienne (dékoulakisation, puis terreur politique) enfin la deuxième guerre mondiale, aura perdu plus de 60 000 000 de morts.

À 66 ans, en 1945, Staline concentre tout le pouvoir et personne n’a d’influence sur lui. Encore plus méfiant, secret, imprévisible, entreprend d’épurer à nouveau la caste militaire victorieuse, puis les cadres du parti, l’intelligentsia, la sécurité d’état, les juifs, les minorités nationales (déportation de 32 000 lituaniens, de 42000 lettons, de 20 000 estoniens, de 100 000 moldaves). Il organise le culte de sa personnalité, réécrit l’histoire de son rôle dans toute la révolution, et s’en prend à nouveau par la terreur aux paysans alors qu’une nouvelle famine se développe en 1946. Le Goulag se re développe avec 2 700 000 prisonniers, main d’œuvre forcée. Il rétablit en 1950 la peine de mort temporairement supprimée en 1946. Il organise complots permanents, - dont celui dit des « blouses blanches » - et des jeux de bascules incessants entre ses propres sbires, devient obsédé de sa propre sécurité, paralyse l’état, le parti, l’économie : tous sont à l’écoute de la moindre de ses humeurs et décisions. Le régime épuisé, tout comme son tyran, n’a plus de force propulsive, il ne cessera plus de vaciller entre une « restauration » et des remodelages incessants et vains.

Il s’opposera bientôt à Tito (dont il tente de préparer l’assassinat), à Mao (qu’il maltraite et méprise lorsque celui-ci vient à Moscou), il approuvera le plan Marshall, soutiendra militairement (par des livraisons d’armes tchèques) la création de l’Etat sioniste d’Israël, bâtira un pseudo et inconsistant « Comiform », freinera toute grève, mouvement social, et subordonnera tous ses actes à la recherche d’une alliance ou au moins d’un statu quo avec les Etats-Unis. Il ne défendra la Corée que du bout des lèvres. Des procès sont organisés à Prague et Budapest, Varsovie, à la mode des procès de Moscou d’avant-guerre et Staline qualifie Tito qui refuse de s’incliner devant lui, de « criminel de droit commun ».La chasse aux titistes va remplacer la chasse aux hitléro-troskistes.

Toute cette politique obscure, brutale, recommence en moins important celle des années 36-38. Cela sert le maintien du pouvoir absolu de Staline : la peur, l’incertitude régnante, le soupçon tiennent la caste des privilégiés, en haleine, sous le joug. Mais le système tout entier en est paralysé, gabegie, gâchis, parasitage, maffias, dominent toute l’économie, toute la société. Il ne reste plus rien des « acquis » ni des idéaux pas même la mémoire, de la révolution d’octobre : quand le système s’effondrera entièrement après une longue survie artificielle, il n’y aura plus rien à sauver.

Dans le monde entier, pourtant, aveugles, des centaines de milliers de staliniens récitent ses louanges. En France, Paul Eluard écrit :

"Et Staline pour nous est présent pour demain
Et Staline dissipe aujourd’hui le malheur
La confiance est le fruit de son cerveau d’amour...
Car la vie et les hommes ont élu Staline
Pour figurer sur terre leurs espoirs sans bornes. (P 805).

Le 5 octobre 1952 s’ouvre le XIX° congrès du PCUS où Staline se fait ovationner 15 minutes pour une intervention creuse de 7 minutes. Le poste de secrétaire général est supprimé... Brejnev, Malenkov, Mikhailov, Souslov, Khrouchtchev, Beria, Kaganovitch, Boulganine, Vorochilov restent ou deviennent « secrétaires », mais au comité central suivant Staline s’en prend à Molotov et Mikoïan qu’il accuse de « lâcheté et de capitulation » devant « l’impérialisme ». Tous s’observent. Tous ont peur. Quel dauphin ? Celui qui montrera le bout de son nez... sera exécuté. Staline est de plus en plus malade, irascible, imprévisible à un point tel que le samedi 28 février 1953 lorsqu’il est atteint d’une congestion cérébrale mortelle, ses proches attendront pendant onze heures avant d’ouvrir la porte de sa chambre et de le trouver inconscient, allongé sur le plancher.

Il meurt à 21 h 50 le 5 mars 1953, il est à peine disparu que tout l’édifice institutionnel qu’il avait mis en place est mis à bas par les secrétaires. À peine embaumé, son héritage est bientôt liquidé. En 1940, Trotsky rappelait que les innombrables statues de Néron avaient été renversées et brisées dès le lendemain de son suicide forcé et prédisait le même sort à celles du secrétaire général. La réalité allait confirmer cette prophétie de façon inexorable jusqu’à ce que s’effondre l’empire bureaucratique en 1989 et 1991. (P 864)

Le régime despotique, bâtard, d’une restauration inachevée du capitalisme, d’une bureaucratie parasitaire, « ne peut être réformé sans que ses fondements mêmes soient ébranlés, ni être maintenu tel quel ». ( P 870).

C’est certes une lecture épouvantable et éprouvante. A chaque page, on s’enfonce plus loin dans l’horreur. Cela peut paraitre une histoire de vampire, de terreur aveugle et incroyable. Non ces 994 pages conscrées à une partie effrayante de l’histoire de l’humanité et de la trahison des plus beaux idéaux du socialisme, tout au long du 20° siècle, sont necessaires, indispensables. Après ceux de Trotsky lui-même, le livre de Jean-Jacques Marie, chez Fayard, imprimé en mai 2001, mérite d’être un classique pour tout militant sérieux. Tant que le stalinisme ne sera pas éradiqué, et si toutes les leçons théoriques, politiques, pratiques de cette contre révolution barbare, ne sont pas tirées, assimilées, il ne peut y avoir de nouveau pas en avant vers le socialisme.

Gérard Filoche

(lire aussi : « Ces années-là, quand Lionel… » Ed Ramsay, été 2001

http://www.democratie-socialisme.org/spip.php?article38