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Féminisme universaliste : mise au point - M Monica

samedi 11 avril 2015, par Amitié entre les peuples

FÉMINISME UNIVERSALISTE : MISE AU POINT

publié sur blog Médiapart Le club de Monica M le 04 avril 2015.

http://blogs.mediapart.fr/blog/monica-m/040415/feminisme-universaliste-mise-au-point

Le féminisme ou anti-sexisme universaliste est une lutte politique menée par des femmes et des hommes qui combattent les multiples effets de l’oppression patriarcale, dite sexiste, partout dans le monde.

L’oppression patriarcale, très ancienne, s’appuie sur l’idéologie naturaliste de la différence des sexes, qui assigne à chaque être humain, dès la naissance, des places, rôles et fonctions, en imposant la croyance que cette bipartition du genre est naturelle et donc fatale, ce qui est mensonger. La différence anatomique et physiologique des sexes existe, mais elle ne prescrit qu’à la marge la vie psychique et sociale des êtres humains qui est aussi, et surtout, un fait de culture.

La bipartition imposée par la logique du genre assigne un statut inférieur aux femmes, à tous les niveaux de l’existence et aussi parfois dans la loi. L’épure de cette bipartition peut se résumer ainsi : les femmes sont définies uniquement comme objets de désir des hommes, et mères. Elles ne sont pas pleinement sujets.

Selon les pays, selon les cultures, la bipartition du genre a des figures singulières, mais qui procèdent toutes de la même logique.

On a bandé durant plusieurs siècles et jusqu’en 1942 les pieds des petites filles chinoises de bonne famille pour qu’ils restent minuscules (faisant des femmes des handicapées à vie).

On mutile encore le sexe (excision et infibulation) de petites filles africaines pour qu’elles ne puissent jamais éprouver de plaisir sexuel.

On recouvre de toile en Afghanistan ou en Arabie saoudite les femmes des pieds à la tête pour les rendre invisibles, réservées à leur seul seigneur et maître.

On les pousse en Occident à s’érotiser de plus en plus jeunes pour susciter et entretenir le désir et les pulsions masculines. On les enlève pour les enrôler dans la prostitution : un réseau de prostitution de jeunes filles bulgares vient d’être démantelé à Besançon (1), pendant que le dirigeant nord-coréen Kim Jong remet en fonctionnement des « maisons de plaisir » dans la plus pure tradition familiale (2).

On les empêche ici de s’instruire, d’aller à l’école, là de conduire, de se déplacer seules et librement, d’apprendre certaines matières, d’exercer certaines professions, on les rémunère moins que les hommes à travail égal, on limite leur carrière par des plafonds de verre, on les confine dans des espaces temps et dans leur tête afin qu’elles ne sachent pas qu’elles sont des humains à part entière comme les hommes.

Et on les dresse à devenir rivales et ennemies les unes des autres, voire à devenir des agents du patriarcat, excisant elles-mêmes les petites filles (3), assassinant parfois elles-mêmes leur belle-fille en Inde pour des conflits de dot (4). La haine de soi produit toujours le pire à l’égard de l’autre qui vous ressemble.

Si les femmes sont les plus opprimées par la bipartition du genre, les hommes en pâtissent également car elle les ampute de nombreuses potentialités et les contraint à jouer un rôle, souvent très pesant, de mâle et de dominant. Un certain nombre d’entre eux savent depuis toujours que leur sœur, leur compagne, leur fille, leur copine, sont leurs égales et ils ne supportent pas qu’on les humilie, qu’on les rabaisse, qu’on les confine. Ils veulent pour les femmes la liberté et les droits auxquels chaque être humain peut prétendre. Ils ont rejoint la lutte antisexiste, n’hésitant pas, parfois, à se dire féministes en dépit du radical « femme » que contient ce mot. Ces frères humains ont compris que l’humanité ne peut avancer si elle cache, exhibe, réduit et ampute « l’autre moitié du ciel » (expression chinoise jadis utilisée par Mao pour désigner les femmes, ligotées par la « quatrième corde », celle du patriarcat).

Toutes les sociétés, toutes les cultures, ont évolué au cours du temps. Dans certaines, les femmes ont acquis de plus en plus de droits car l’idéologie du genre y a été battue en brèche par des femmes et des hommes, parfois au péril de leur vie. Le combat n’est jamais fini, il doit continuer sans désemparer, comme tous les combats en faveur de l’égalité des humains et de la justice. L’être humain n’a jamais été ni très juste ni très égalitaire. Et plus les crises financières étouffent les sociétés, plus la « cause des femmes » y apparaît, pour certains groupes politiques, secondaire.

D’autres sociétés aujourd’hui peinent et sont à la traîne en matière de droits des femmes, surtout quand des religions y exercent leurs emprises. Car les trois religions monothéistes sont des courroies de transmission très fortes de l’idéologie du genre et du pouvoir patriarcal (5).

En France, tant que le catholicisme a été puissant, il a imposé une vision rigide de l’identité des hommes et des femmes, des rapports entre les hommes et les femmes, se mêlant de régir leur vie sexuelle, leurs capacités reproductrices, leurs liens conjugaux, prêchant la « Norme » au nom de la « Nature » prétendument dictée par Dieu. Depuis que la révolution et la laïcité ont réduit son pouvoir, la religion catholique a perdu une grande partie de son influence et les femmes ont pu obtenir le droit de contrôler leur corps (contraception, avortement), les couples de divorcer, les homosexuels de vivre comme tout le monde. Mais quand certains prélats s’expriment, ils montrent le bout enflammé et sexiste de leur oreille : ainsi le Cardinal Giovanni Battista a osé affirmer que le viol d’une petite fille de 9 ans était moins grave que l’avortement préconisé par les parents et les médecins (6).

Tous les pays ne sont pas libérés du joug sociopolitique religieux : c’est le cas notamment des pays sous loi musulmane salafiste et wahhabite, où la religion édicte la charia, prescrit intégralement la vie des gens (habillement, alimentation, pensée, croyances, séparation des hommes et des femmes, prières ...), punit de mort le blasphème, réprime l’agnosticisme et interdit l’apostasie. La bipartition du genre que ces branches de la religion musulmane imposent est très forte et très oppressive, pour les hommes et surtout pour les femmes.

Certains de ces pays, remettant la religion à la place qui aurait dû toujours être et rester la sienne (s’occuper de spiritualité, de culte, et non de contrôle social et politique) ont combattu les règles patriarcales, la loi du genre et ont parfois plus ou moins promu la laïcité. C’est le cas de la Turquie et de la Tunisie, où la religion tente aujourd’hui de reprendre son emprise. Dès que ces pays ont été libérés des dictats religieux, les femmes ont acquis des droits, et le voile qui cachait leurs cheveux s’est envolé. Dès que la religion revient en tant que force politique, les droits des femmes tendent à reculer et le voile des femmes à étendre de nouveau son ombre.

La France, qui a colonisé des pays du Maghreb, est devenue une terre d’immigration de personnes venues de ces pays. Certaines de ces personnes se sont installées et leurs enfants sont nés français, puisque la France est régie par le droit du sol et non du sang. Une grande partie de ces personnes (désignées comme musulmanes, arabes, maghrébines, beur, rebeu, immigrées ou de la diversité) vit dans des conditions socioéconomique très défavorables et leurs enfants, bien que bénéficiant en théorie des mêmes droits que tous les autres enfants, se sentent insuffisamment reconnus, ils sont discriminés, stigmatisés, ni tout à fait de France, ni du pays de leurs ancêtres. Les filles et les femmes sont écartelées entre d’une part des valeurs de laïcité et d’égalité des droits des hommes et des femmes qui prévalent en France, et d’autre part leur désir d’être solidaires de la communauté musulmane stigmatisée, leur besoin d’affirmer leur dignité et leurs différences, y compris à travers le voile.

Le problème est que les religieux salafistes se sont infiltrés « en douceur » depuis des années dans les mosquées et dans les quartiers (ainsi que le dénoncent avec d’autres Ghaleb Bencheikh et Boualem Sansal), et qu’ils ont profité du malaise, du désarroi et de la colère des citoyens d’origine musulmane pour proposer leurs réponses et imposer leur mode de contrôle social archaïque, peu conforme aux sociétés laïques et séculières. Le voile islamique est toujours l’une de leurs premières prescriptions, car il marque doublement les femmes du sceau patriarcal et religieux, les assignant à être potentiels objets sexuels (devant cacher leurs cheveux pour ne pas tenter le désir des hommes) et membres visibles de la religion musulmane. Le voile qui couvre les cheveux des femmes est fondamentalement l’un des symboles de la discrimination des femmes et de leur soumission à la loi du genre et au patriarcat. C’est le principal étendard de l’intégrisme musulman, figé dans ses antiennes et refusant de les réformer. Nos amis laïcs du monde musulman, comme le Collectif Femmes sans voile d’Aubervilliers, le disent sans hésitation. « Le fait que le port du voile n’est exigé que pour les femmes est une discrimination en soi et met la femme dans un rapport inégal avec l’homme dans la société. Le port du voile réduit la personne des femmes à leur sexualité. Il affirme la domination et le contrôle de la femme par l’homme, ce qui revient à restreindre ses libertés dans l’espace public comme ses libertés de choix liées à son corps. Le voile n’est ni un simple tissu ni une relation à Dieu, il est l’instrument privilégié de la remise en cause de ces droits fondamentaux que sont l’égalité et la liberté pour les femmes » (7).

Dés lors, vu la complexité et le caractère contradictoire des enjeux, comment s’étonner de la place prise par Ce voile qui déchire la France selon le titre de Fawzia Zouari (8) et des conflits qui opposent parfois Islam et laïcité comme l’a finement analysé Abdelwahab Meddeb (9) ?

Comment ne pourrait-il pas y avoir de tension en France entre, d’une part, les aspirations féministes et laïques de confinement des religions à l’espace spirituel et cultuel, de dépassement de la loi du genre et, d’autre part, le besoin de certains citoyens d’afficher leurs croyances religieuses, d’affirmer leur identité et leur appartenance communautaire, notamment en recourant à ce qui est un indéniable symbole de discrimination des femmes dans l’ensemble du monde ?

On nous rétorque que des femmes musulmanes en France portent librement le voile, que son sens n’a rien à voir avec celui qui a cours dans les autres pays musulmans et que, en critiquant le voile, nous ne respectons pas leur liberté.

A cet argument, on peut répondre de trois façons.

 Étant femme moi-même, et ayant fait un long et coûteux parcours pour affirmer ma liberté, je sais quels mécanismes d’aliénation j’ai dû dénouer en moi, quels mensonges intériorisés j’ai dû déjouer pour m’extirper du carcan et arriver à penser ce qui était impensable. J’y ai été aidée par des femmes, plus avancées que moi dans leur prise de conscience, qui m’ont interpellée, sollicitée, parfois bousculée, pour que je m’extirpe de cette étouffante idéologie du genre. J’y ai été aussi aidée par des hommes, qui m’ont encouragée à exprimer ma force, mon indépendance, mon autonomie. J’ai pu mesurer ainsi la profondeur terrible du consentement à l’oppression. Ces leçons de nos expériences de femmes, nous devons pouvoir continuer à les transmettre aux femmes musulmanes sans qu’il nous soit envoyé à la figure des accusations de paternalisme, de mépris néocolonialiste ou, pire encore, de racisme criminel.

 Des filles et femmes musulmanes de France sont tout à fait libres de voiler leur chevelure partout, sauf à l’école lorsqu’elles sont mineures et dans certains espaces publics qui sont assujettis à la neutralité. Il faut cependant qu’elles sachent exactement pourquoi ce « morceau de tissu » choque tant de leurs concitoyens. Qu’elles sachent que notre pays, si décrié par certains avec raison pour son passé colonial, n’est pas seulement critiquable et rance. Qu’elles sachent que l’histoire de ce pays, et notre mémoire à tous, portent la trace de combats violents toujours en cours pour les droits des femmes, la laïcité, l’égalité, la solidarité.

 Vu l’universalité de l’oppression des femmes, il est radicalement impossible aux féministes universalistes d’oublier ce que le voile islamique représente pour tant de femmes dans le monde, et de penser qu’en France il pourrait être complètement différent. D’ailleurs, des femmes musulmanes en France demandent qu’on les soutienne pour se débarrasser de ce carcan. Il faut donc traiter cette contradiction : ne pas contrarier la quête identitaire et religieuse de celles qui veulent se voiler, et accompagner la quête de citoyenneté et de laïcité de celles qui veulent se dévoiler.


(1) http://www.estrepublicain.fr/faits-divers/2015/04/03/un-reseau-de-proxenetisme-bulgare-demantele-a-besancon

(2) http://www.bfmtv.com/international/coree-du-nord-kim-jong-un-reforme-sa-troupe-de-plaisir-874268.html

(3) http://www.planetoscope.com/Criminalite/1100-nombre-d-excisions-qui-sont-realisees-sur-les-femmes.html

(4) http://www.terrafemina.com/societe/international/articles/30284-les-conflits-de-dot-tuent-une-femme-par-heure-en-inde.html

(5) http://atheisme.org/femmes.html

(6) http://www.marieclaire.fr/,cardinal-giovanni-battista-re-le-viol-est-moins-grave-que-l-avortement,734632.asp ?

(7) http://www.marianne.net/Le-voile-ou-l-etendard-du-patriarcat-antifeministe_a243240.html

(8) Fawzia Zouari (2004). Ce voile qui déchire la France. Ramsay

(9) https://collab.itc.virginia.edu/access/content/group/3773a2c7-fc6b-4fc9-b6fd-914f2b55ef1c/02_projets_des_etudiants/Vie_politique/Vie_Politique/LIslam.html