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Ecologie : la « vérité qui dérange » F Chesnais

lundi 13 juillet 2009, par Amitié entre les peuples

Ecologie : la « vérité qui dérange »

Un extrait d’un texte de François Chesnais intitulé « Socialisme ou barbarie » : les nouvelles dimensions d’une alternative. | Contretemps

http://contretemps.eu/lectures/socialisme-barbarie-nouvelles-dimensions-dune-alternative

François Chesnais commente le livre d’Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient.

Le livre a été publié en mars 2009 par les Editions Les Empêcheurs de penser en rond/La Découverte.

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Le premier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur le changement climatique (GIEC) date de 1990. Il établissait un premier constat sérieux et présentait des prévisions qui sont devenues, de rapport en rapport, toujours plus précises. Chaque fois que les faits sont venus « démentir » les prévisions, cela a toujours été dans le sens d’une accélération des processus qui marquent le réchauffement, notamment la fonte des glaciers africains et andins et celle de la banquise Arctique et Antarctique. Au cours de ces dernières années il a fallu, dit Stengers, « se rendre à l’évidence : ce qui était vécu comme une éventualité, le bouleversement global du climat, avait bel et bien commencé. La controverse entre scientifiques est close, ce qui ne signifie pas que les contradicteurs ont disparu mais que l’on ne s’intéresse plus à eux que comme à des cas, à interpréter par leurs accointances avec le lobby pétrolier ou par des particularités psychosociales (…) Il était admis que le réchauffement pourrait entraîner une diminution des capacités d’absorption du gaz émis par les océans ou les forêts tropicales, c’est l’une de ces boucles de rétroaction positive redoutables mises en scène par les modèles, dont l’activation devait être évitée car elle accélérerait et amplifierait le réchauffement. Il semble que ce soit déjà en train de se produire » (p.13-14). Elle souligne que nous sommes dans un cas de figure exceptionnel, où dans le cadre du GIEC, les « climatologues, glaciologues, chimistes et autres ont fait leur travail, et ils ont réussi également à faire retentir le signal d’alarme malgré toutes les tentatives d’étouffement, à imposer « une vérité qui dérange » malgré les accusations dont ils ont fait l’objet : d’avoir mélangé science et politique, ou alors d’être jaloux du succès de leurs collègues dont les travaux contribuent à changer le monde alors qu’eux se bornent à le décrire, ou encore de présenter comme ‘prouvé’ ce qui est seulement hypothétique. Ils ont su résister car ils savaient que le temps comptait » (p.58).

Voyons de plus près ce qu’Isabelle Stengers nomme « la vérité qui dérange ». Cette vérité est que « nous avons affaire non plus seulement à une nature ‘à protéger’ contre les dégâts causés par les humains, mais aussi à une nature capable, pour de bon, de déranger nos savoirs et nos vies ». Cette vérité est très dérangeante, non seulement pour les partis « Verts », mais aussi pour ceux que je nomme les « écologistes révolutionnaires ». Les Verts en sont toujours à une meilleure protection des écosystèmes et de l’écosphère et sont prêts dans leur écrasante majorité à se satisfaire de peu. Ils voient le salut dans le « capitalisme vert » et cherchent à faire alliance avec lui[5]. Les écologistes révolutionnaires se donnent surtout comme objectif, la réparation après la victoire du socialisme du maximum possible des dégâts légués par le capitalisme, suivi de l’établissement avec la nature de rapports de gestion très prudente, un retour à une approche nécessairement planétaire, au « faire attention » dont Stengers parle, qui a été détruit par l’injonction du « développement », de la « croissance » (p.75). Lorsqu’ils se dépêtrent de formulations qui ne veulent pas couper les ponts avec le réformisme écologique, les « éco-socialistes » ont ces objectifs de réparation des dégâts et de gestion respectueuse des écosystèmes[6].

Il n’y a pas qu’eux. Il y a quelques mois encore, j’ai formulé moi-même une variante de cette position. J’ai mis l’accent sur les pistes proposées par Marx lorsque dans les derniers chapitres du Capital, il ouvre aux « hommes socialisés, devenus des producteurs associés », la perspective de « combiner rationnellement et de contrôler leurs échanges de matière avec la nature, de manière à les réaliser avec la moindre dépense de force et dans les conditions les plus dignes et les plus conformes à la nature humaine »[7]. Sur ce mode, j’ai défendu de façon très optimiste à l’intention des militants du NPA, l’idée qu’il « n’y a que les producteurs associés, de nombreux pays et à la fin de toute la planète, qui puissent décider ensemble, moyennant la discussion et la négociation, le degré de division du travail entre eux qui paraît nécessaire au plan international ainsi que de planification de l’utilisation des ressources naturelles rares en fonction des besoins prioritaires »[8]. J’ai poussé plus loin dans cette voie dans un texte présenté à la réunion nationale de la Commission écologie du NPA en décembre 2008 : « la protection de la nature contre la marchandisation capitaliste est inséparable de l’homme en tant que partie de la nature. Autrement dit, toute politique qui prendra à bras le corps la question écologique combattra aussi l’aliénation – l’aliénation marchande, mais aussi l’aliénation au travail – et cela avec une tout autre efficacité que les campagnes de « défense de l’emploi » où on peut voir les syndicats s’allier avec les employeurs sur des mesures comme les normes en matière de pollution. Il s’agirait de faire en sorte que l’individu ‘individuel’, création du capitalisme, divisé entre producteur et consommateur, privé de toute instance susceptible de l’aider à comprendre son expérience sociale dans ses principales déterminations, puisse devenir un producteur associé, en mesure de gérer ses rapports à son environnement naturel suivant une rationalité collective. Redéfini ainsi le socialisme est le mot qu’il faut réapprendre à défendre [9] ». Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas vraiment cohérent par rapport à l’idée de « la réaction brutale de la nature brutalisée », avancée peu de temps avant, influencé sûrement par le fait de me trouver en Amérique latine et donc de voir le monde « d’ailleurs ». D’où ma reconnaissance à Isabelle Stengers et à sa capacité à énoncer que « l’intrusion de Gaïa » appartient au hic et nunc, au nombre des questions auxquelles il faut chercher à donner des réponses aujourd’hui.

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