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ESTIME DE SOI : DANS L’AMOUR ET AU TRAVAIL ; ET AILLEURS ?

mercredi 26 mai 2010, par Amitié entre les peuples

ESTIME DE SOI, L’AMOUR ET LE TRAVAIL .

ET LE RESTE ?

Rapportons la question de l’estime de soi, abordée trop souvent en un sens exclusivement psychologique, au deux grands vecteurs pourvoyeur d’estime selon Freud. La crise culturelle du capitalisme incite à souligner les insuffisances de ces deux vecteurs. La participation à une activité militante n’est pas un simple supplément d’âme mais un réel vecteur complémentaire estime se soi, une estime fondée sur des engagements réels et soutenus qui prennent en considération la triple aliénation évoqué par Alain Bhir (1)

I - DE LA THEORIE…

Il s’agira de partir des bases en matière de connaissance de ce que l’on nomme estime de soi et d’élargir la perspective au plan théorique.

A) - Eléments de psychologie sur l’estime de soi .

On sait que s’aimer soi-même est aussi essentiel qu’aimer autrui. Aimer dit Eric Fromm c’est « prendre soin de », c’est « faire attention à ». S’agissant de soi, il ne s’agit pas d’aimer que son image mais aussi ce que l’on est, ce que l’on a fait, ce que l’on fait ici et maintenant. Mais l’estime de soi, à écouter les spécialistes, va au-delà de l’amour de soi . Un détour est nécessaire. Pour Christophe André et François Lelord (2) les trois piliers de l’estime de soi sont l’amour de soi, la vision de soi et la confiance en soi. L’ensemble s’apprécie selon plusieurs aspects.

1. Pour nombre de personnes, l’estime de soi varie selon les secteurs de la vie : la vie amoureuse n’est pas la vie professionnelle. Il peut y avoir des décalages.

« Dans la vie amoureuse, ne pas être aimé rabaisse le sentiment d’estime de soi, être aimé l’élève » disait Freud. Dans la vie sociale le chômage a des effets similaires. Parce qu’il rend le futur incertain, écrit le sociologue Pierre Bourdieu à propos du chômage, il oblige à faire une sorte d’inventaire des ressources utilisables, et rend patents, chez certains, des manques jusqu’alors refoulés ou travestis. Mieux vaut être beau et au travail que moche et au chômage ! Mais certains en font trop sous l’effet du mode de production dominant. Prendre soin de son corps est louable et même signe de bonne santé mais surinvestir les apparences et la séduction est néfaste. Il faut savoir préserver un équilibre. De même participer à la production de l’existence sociale semble être juste et positif si cela ne se transforme pas en addiction et en surtravail.

2 L’estime de soi s’apprécie aussi en niveau (basse-haute) et en solidité (stable ou instable).

Il est avantageux d’avoir une bonne estime de soi mais pas trop. Trop d’estime de soi engendre de la suffisance débouche sur de l’obstination plus que sur de la persévérance. Une basse estime de soi permet naturellement l’humilité ce qui favorise une bonne acceptation de soi du moins dans les milieux non compétitifs. Une basse estime de soi forgerait des individus modestes, la modestie étant elle-même la cousine laïque de l’humilité, cette dernière ayant été longtemps préconisée par les religions. Une basse estime pousse vers l’excès en deux sens soit vers une compensation narcissique favorisée par la publicité marchande soit vers l’effacement de soi et l’austérité matérielle des conditions de vie favorisée par certains courants religieux. Aujourd’hui les décroissants en professent une version laïcisée avec l’école de la simplicité volontaire. En fait la simplicité volontaire a plusieurs courants, certains font l’apologie de l’austérité en complément de la religion d’autres se rattachent à une critique écologique du productivisme qui ne débouche pas sur une religion de l’austérité répondant à une religion du marché (3). Un souci élémentaire de justice social veut que la sobriété (4) soit à exiger d’abord des riches et des possédants mais pas aux prolétaires (5).

3 Les nourritures de l’estime de soi sont le sentiment d’être aimé et le sentiment d’être compétent. Ou l’importance du bien relié à autrui .

Si l’estime de soi passe par autrui alors l’autre est à concevoir aussi comme participant à sa propre liberté. La liberté et l’estime de soi sont co-construites dans une relation de respect, d’amitié et d’amour avec autrui. Cette conception de l’autre et de la liberté est inaudible aujourd’hui ou l’on a plutôt retenu en la généralisant la formule de Sartre « l’enfer, c’est les autres » ou celle de Hobbes : « l’homme est un loup pour l’homme ». Or autrui est ambivalent à la fois porteur d’oppression mais aussi porteur de libération. Une mise en situation faisant apparaître les inscriptions de soi et d’autrui non plus dans des relations interindividuelles choisies mais dans les rapports sociaux obligés de la société actuelle permet une clarification des enjeux. Mais n’allons pas trop vite ! Notons bien que contre la solitude et l’impuissance déjà évoqué par Alain Bhir (1) il importe de prendre toute l’importance des simples liens constructeurs du « savoir vivre » ensemble. Pour paraphraser une définition courante de la religion il s’agira d’un « religerer » horizontal entre humains et non vertical à Dieu mais néanmoins tendus vers un mieux être possible dans les instertices non aliéné du social envahi par le marché. Cette hypothèse basse valorise le souci de se développer dans le respect mutuel donc sans écraser autrui.

La liberté et l’estime de soi se co-construisent aussi dans le travail collectif au sens anthropologique celui donc qui diffère fondamentalement du travail salarié aliéné et exploité inventé et généralisé par le mode de production capitaliste. Cela se réalise dans « l’œuvre » ( A Arendt) et dans la libre activité militante. Ici, la thématique de l’estime et de la reconnaissance lorsqu’elle entend clairement sortir des conditions sociales qui la bride débouche sur une thématique de l’émancipation.

B) Ouverture du champ d’analyse : estime de soi , reconnaissance et émancipation.

1 - Ouverture théorique vers le social et le politique.

Une praxis (articulation de la théorie et de la pratique ) de l’émancipation va plus loin qu’une praxis de la reconnaissance car elle donne puissance de libération des cadres aliénants. Citons ici avec les altermondialistes les processus abstraits de financiarisation, de marchandisation et d’appropriation privée qui appauvrissent moralement et matériellement une grande fraction de l’humanité.

Contre l’oppression et contre l’impuissance érigée en fatalité de nature, il importe de forger une politique d’émancipation qui suppose non un Léviathan policier mais des liens sociaux avec autrui. Marx en tant que penseur de la politique émancipée a posé la nécessité de l’association des travailleurs et à vu dans la Commune de 1871 la réalisation de la liberté du peuple (6) ce dernier faisant l’expérience de son auto-reconnaissance mutuelle, une variété de l’estime de soi socialisée à la suite d’un processus d’émancipation politique et social.

2 - Ouverture concrète articulant reconnaissance et émancipation.

L’estime de soi se forge à la suite de Freud dans les rapports humains sexués et au travail. Au plan relationnel comme au plan social, une politique concrète de reconnaissance s’oppose à celle du mépris. Elle s’articule à une politique d’émancipation. On retrouve là le thème de la reconnaissance horizontale (6) qui touchent de nombreux aspects de la vie - dignité humaine et respect hors du travail, amitié et amour authentique - et verticale : donner une formation diplômante et qualifiante, combattre l’idéologie du « mérite » et de la compétence (7) et ne pas imposer le « travaillisme » (8). Combattre le travaillisme en travaillant tous et toutes via une forte RTT permet de laisser du temps au « savoir vivre » amical, familial et amoureux mais aussi du temps aux activités de transformation sociale.

Précisons cela pour les quartiers les plus défavorisés. Il importe de rompre ici avec le sécuritarisme, qui surdéploie les effectifs policiers (il en faut certes) et réduit la présence des autres services publics. La jeunesse a besoin d’encadrement – plus de moniteurs de sport par exemple - mais aussi et surtout d’instruction. Il faut une école à la hauteur des enjeux. Une école publique réellement pour tous et toutes. Le service public du logement est aussi après l’emploi une priorité. L’offre HLM de logements spacieux dans un cadre urbain mieux aménagé est un indice clair de civilisation. La création de zone de grandes propriétés luxueuses à côté de quartiers en jachère est un signe de tiers-mondisation du pays. La question de l’estime de soi culturelle est abordée en fin de texte.

II - … AU DEBAT SUR LES PERSPECTIVES CONCRETES.

A la suite de ce défrichage des grandes lignes théoriques sur l’estime de soi, il s’agira de se mêler à la bataille concrète des débats sur les conceptions intermédiaires en matière de reconnaissance et d’émancipation. La religion divine et la religion du marché pousse une mésestime contradictoire (A) alors que les revendications identitaires d’ordre culturel pose la question de l’articulation du social et de la diversité (B).

A ) - Les chemins possibles contre les idéologies méprisantes et les pratiques sociales de la destruction de l’estime de soi .

Ce cadre alternatif reconstructeur étant posé il importe d’aller plus loin sur quelques points en rapport avec l’estime de soi. Si les religions ont beaucoup poussé à l’humilité et au rigorisme contre l’orgueil, favorisant ainsi une basse estime de soi, notamment chez les femmes, il apparaît que le capitalisme dominant incite lui à un sur-investissement marchand et libidinal de l’image de soi qui complète un sur-investissement au travail. Nous vivons une époque ou les individus sont coincés entre d’une part les exigences religieuses de retrait du corps et l’interdiction absolue de la séduction et d’autre part les exigences du marché du soin et de la beauté qui incitent à toujours renouveler une bonne apparence de soi.

Sans sombrer dans « l’addiction à la consommation » (9) ni subir une quelconque stigmatisation sociale il est concevable de soigner son apparence tout en prenant soin de soi fondamentalement. D’un point de vue pragmatique on pourrait en appeler à une attitude du juste milieu entre ces deux excès (nommés « hybris ») - soigner une bonne présentation de soi mais sans excès, travailler mais avec modération, faire du jogging mais pas de compétition de course à pieds (JM Brohm) . Nietzsche dirait que cela respire encore la morale du sous-homme, qui doit contenir son élan. Marcuse dirait qu’il faut libérer la libido mais dans sombrer dans la « sublimation répressive ». Eric Fromm, un brin austère lui reprochera cette position.

Mais le problème est plus vaste car « le capitalisme du XXe siècle a capté notre libido et l’a détournée des investissements sociaux » (10). Il importe alors outre le travail et outre le relationnel d’investir la politique en citoyen mais sans sombrer dans le modèle du « curé austère », sans libido, quoiqu’athée. Au plan mondial il importe de bien mesurer la puissance de contrainte de deux phénomènes contradictoires, d’une part « la marchandisation du monde », d’autre part les intégrismes religieux et la promotion de l’austérité libidinale et du sexo-séparatisme. Il importe de lutter contre les deux fronts. Le front de la marchandisation du monde st le plus puissant mais le front issu des mouvement religieux théocratiques et sexo-séparatistes n’est pas à négliger.

Qui dit marchandisation dit soumission à la logique de solvabilité et de concurrence . Une telle logique débouche sur de profondes inégalités : certains ont accès aux soins du corps plus que de besoins et d’autres n’ont pas le minimum vital. Certains doivent travailler beaucoup pour gagner peu alors que d’autres gagnent énormément en restant rentier et actionnaires.

B) - Revendication de reconnaissance : jusqu’où ? Estime de soi et ouverture culturelle : quel muticulturalisme dans le creuset républicain ?

La République se rapporte à la « chose commune », à la « res républica ». Elle s’adresse à un peuple « démos » (au sens démocratique-citoyen et au sens social ) et non à un peuple ethnos. La leçon de Rousseau et d’autres a été entendue. Cela empêche-il une reconnaissance des cultures différentes ? Pas à priori. Le communautarisme y est certes refusé. La constitution française de 1958 ne reconnaît pas en effet les « sections de peuples ». Mais toutes les cultures sont librement acceptées, ainsi que les diverses religions sous réserve du respect de la laïcité. Les langues et les cultures régionales peuvent se déployer dans la société civile mais pas ou peu dans les appareils d’Etat, assez peu dans l’Education nationale.

Le multiculturalisme sans mur est pluriel et métissé. Le métissage implique non seulement une lutte conséquente contre les discriminations racistes et sexistes – on l’a dit plus haut – mais aussi une rencontre et un mélange des cultures autres . Ces rencontres permettent de s’éloigner d’un vivre séparé chacun dans son quant à soi communautaire. Le repli communautaire existe fatalement dans les sociétés traversées par les conflits ethniques entre l’ethnos dominant et les minorités culturelles. Il n’y a pas lieu de s’en étonner. Cela ne débouche pas nécessairement sur du communautarisme. La demande peut au contraire porter sur une société de diversité acceptée et surtout dans l’égalité. Le combat contre les inégalités sociales accompagne nécessairement de celui contre les discriminations racistes et sexistes. Le combat du MRAP complète celui d’ ATTAC et plus globalement de l’altermondialisme. Le multiculturalisme suppose un accès à la citoyenneté de résidence. Une telle citoyenneté va favoriser l’égalité politique et juridique de tous.

Le muticulturalisme n’implique pas un relaivisme culturel sans rivage même si par définition une tolérance des mœurs différentes y est posé comme principe fondateur. Un tel muticulturalisme est respectueux de la laïcité et de la démocratie. Revendiquer une ouverture aux cultures différentes ce n’est pas accepter les oppressions sexistes ni les inégalités sociales crées par le néolibéralisme. C’est au contraire promouvoir un autre monde plus égalitaire et plus fraternel.

Le multiculturalisme n’est pas contraire à la « compétence » comme le disent ceux qui refusent de voir que l’absence de diversité dans les institutions est l’effet des discriminations racistes et sexistes. Les femmes et es minorités visibles sont beaucoup moins présentes dans les instances des grandes entreprises, des institutions publiques locales, nationales ou internationales. Il faut faire mentir Zemmour qui dit que les noirs et les arabes forment la population des tribunaux et des prisons. Car relever le propos raciste de l’auteur ne suffit pas à changer le réel. Les jeunes des quartiers défavorisés doivent recevoir autre chose que du contrôle policier. Il leur faut plus de scolarité, plus de classes moins remplies, plus d’enseignants attentifs, donc plus d’enseignants bien reconnus par la population pour la tâche accomplie.

Le multiculturalisme ne valide pas une mainmise des religions mais la France laïque est l’un des pays au monde les plus chatouilleux sur le « retour du religieux » et notamment sur leur visibilité. La République a distingué ce qui ressort de la société civile et ce qui est lié à l’Etat, à ses institutions, et selon certains à son domaine public. De ce fait les signes religieux ostensibles sont interdits à l’école publique comme dans la fonction publique et dans les institutions politiques. Mais dans les autres espaces sociaux ces signes sont autorisés. Les personnes qui portent voile ou kippa ne doivent donc pas être inquiétées par leur affichage religieux. La chose est plus facile à dire qu’à mettre en pratique tant cet affichage est critiqué.

Christian Delarue

1. LA CRISE CULTURELLE DU CAPITALISME (La triple aliénation) A BHIR

http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article1088

2) Note sur le « Parcours de la reconnaissance » de Paul Ricoeur - C Delarue

http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article1085

3) La religion du marché Eric Toussaint CADTM

4) Sobriété pour les riches C Delarue

5) Prolétaires CDelarue

6) Le très possible communisme Lecture croisée Marx, Arendt Annie Coll

Editions MLD à St Brieuc

7) LA MISE EN CONCURRENCE DES COMPETENCES ou LES DEVOIEMENTS DE LA RECONNAISSANCE LIBERALE

http://www.france.attac.org/spip.php?article6574

8) Contre la doxa travailliste vive la RTT et le partage du travail.

http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article1076

ainsi que : Monde commun, écart de revenus , méritocratie, égalité des chances.

http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article1007

Le fondement républicain de la qualification.

http://www.lepost.fr/article/2010/01/28/1911604_le-fondement-republicain-de-la-qualification.html

9)Les causes psychosociologiques de l’addiction dans une société capitaliste par Thierry BRUGVIN (non publié)

10) le capitalisme, crise et critique : de Marx à Stiegler et nous
Bernard Stiegler

http://wikipedia.un.mythe.over-blog.com/article-26703330.html