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La réforme bancaire, une victoire de l’oligarchie A Trouvé T Coutrot

jeudi 7 mars 2013, par Amitié entre les peuples

La réforme bancaire, une victoire de l’oligarchie

Aurélie Trouvé et Thomas Coutrot

14 février 2013 Par Les invités de Mediapart

« En s’inclinant devant le pouvoir de la finance, le gouvernement de François Hollande ne prépare pas l’avenir » : pour Aurélie Trouvé et Thomas Coutrot, coprésidents d’Attac, la « non-réforme bancaire » présentée au Parlement est « une démonstration du pouvoir des banques françaises ». Ils plaident pour gérer les opérations de crédit comme un bien commun de la société.

La séparation des activités spéculatives et des activités de financement de l’économie, l’interdiction pour les banques d’exercer dans les paradis fiscaux, la fin des produits financiers toxiques : la non-réforme bancaire présentée au Parlement ne réalisera aucune de ces trois promesses du candidat Hollande.

Certes, Pierre Moscovici, ministre de l’Economie, et Karine Berger, députée socialiste qui rapporte sur le projet, se sont dits ouverts à des amendements parlementaires qui pourraient durcir le texte. Mais après les débats en Commission des finances de l’Assemblée, on connaît déjà ceux que le gouvernement s’apprête à accepter : une simple obligation d’information des banques sur leur chiffre d’affaires dans les paradis fiscaux (dont la liste officielle est quasiment vide), et une vague perspective de plafonnement du volume des activités de tenue de marché.

Financement des hedge funds (ces fonds ultra-spéculatifs que Pierre Moscovici qualifie « d’acteurs incontournables et essentiels au financement de l’économie »), spéculation sur les produits dérivés, trading à haute fréquence, paradis fiscaux... Sauf surprise lors du débat parlementaire, pour les banques françaises, l’après-réforme sera business as usual. De l’aveu même de Frédéric Oudéa, patron de la Société Générale, la filialisation des activités spéculatives concernera environ 1% de l’activité des banques ! L’Allemagne s’est empressée de présenter une réforme bancaire calquée sur le projet français. Les ambitions pourtant modestes du rapport Liikanen présenté par la Commission Européenne –qui prévoyait de filialiser toutes les activités liées à la tenue de marché– sont torpillées par l’initiative française.

Comment expliquer une telle attitude de la part du gouvernement qui prétend mener « la politique la plus à gauche d’Europe » (dixit Jean-Marc Ayrault) ? C’est une démonstration du pouvoir des banques françaises. Le bilan de nos quatre géants (BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole et BPCE) représente trois fois le PIB de la France. Et leurs réseaux d’influence s’interpénètrent avec les sommets de l’État. Xavier Musca, ancien Directeur du Trésor et secrétaire général adjoint de l’Élysée sous Nicolas Sarkozy, maintenant directeur général délégué au Crédit Agricole ; à la Société générale, Gilles Briatta, ancien conseiller Europe de François Fillon à Matignon ; à BNP Paribas, François Villeroy de Galhau, ancien directeur du cabinet de DSK à Bercy ; sans oublier bien sûr tous ces grands banquiers énarques et inspecteurs des finances : Frédéric Oudéa, PDG de la Société générale, Baudouin Prot, PDG de BNP Paribas, François Pérol, PDG de BPCE, Michel Pébereau, éminence grise de BNP Paribas et des milieux bancaires français ...

Jouant pour la galerie sur la corde de l’intérêt national face aux méchants banquiers anglo-saxons, nos banquiers n’ont pas eu de mal à convaincre leurs anciens condisciples de l’ENA, aujourd’hui ministres ou président de la République. Car la haute administration et la haute finance forment maintenant une seule oligarchie. C’est notre « 1% » à nous, pour paraphraser Occupy Wall Street. Sa domination sur le reste de la société –les « 99% »– s’est encore accentuée au cours des années qui ont suivi la crise de 2008, pourtant censée sonner le glas de l’hégémonie de la finance.

Mais en ce début 2013, les nuages noirs s’accumulent à l’horizon. La spéculation sur les produits dérivés atteint des niveaux sans précédents. Une nouvelle bulle financière s’est formée, alimentée par la création monétaire des banques centrales américaine et britannique. En Europe, les politiques d’austérité menées dans l’intérêt à court terme des créanciers (au premier rang desquels se trouvent les banques) enfoncent l’Union dans une grave récession. La croissance des pays émergents cahote. La crise bancaire et financière qui se profile risque d’être plus grave encore que la précédente.

En s’inclinant devant le pouvoir de la finance, le gouvernement de François Hollande ne prépare donc pas l’avenir. Une véritable réforme bancaire est indispensable pour mettre la finance au service de la société. Séparer les opérations spéculatives des opérations de financement de l’économie réelle serait un premier pas, mais c’est surtout la spéculation financière elle-même qu’il faut dégonfler. Plus encore, c’est la gouvernance des banques qu’il faut radicalement transformer.

En décidant de financer ou non (« le pouvoir de dire oui ») les investissements et les projets des entreprises, le système bancaire a une fonction sociale décisive. Comme l’a montré le coût exorbitant de la crise de 2008, le crédit est une activité trop sérieuse pour qu’on la laisse aux mains de banquiers qui n’ont de comptes, trimestriels, à rendre qu’à leurs actionnaires. Et qui prennent donc tous les risques puisqu’en cas de problème, l’État viendra à la rescousse et qu’en attendant, il faut servir les mêmes rendements que la concurrence...

Mais même si elle sera sans doute nécessaire lors d’une prochaine crise, la nationalisation-étatisation ne suffira pas : il faudra avancer vers la socialisation des banques, c’est-à-dire leur mise sous contrôle par la société. Il faut gérer les opérations de crédit comme ce qu’elles sont manifestement, un bien commun dont la société dépend complètement. Au conseil d’administration de ces banques socialisées, les pouvoirs publics –régionaux ou nationaux, peut-être un jour européens– auraient la majorité des voix ; mais seraient aussi représentés, dotés de minorités de blocage, les PME, les collectivités locales, les représentants des salariés et des usagers, les associations écologistes. La délibération démocratique déciderait des projets à financer, en prenant en compte non seulement leur rentabilité anticipée, mais aussi leurs impacts sociaux et écologiques. Car il y a urgence à financer de grands programmes de transition écologique et de créations d’emplois. Ce n’est qu’ainsi qu’on pourra réconcilier la finance et la société.

http://blogs.mediapart.fr/edition/reforme-bancaire-promesse-tenue/article/140213/la-reforme-bancaire-une-victoire-de-loligarchie