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La dimension mortifère du capitalisme . A Bihr

dimanche 11 juillet 2010, par Amitié entre les peuples

La dimension mortifère du capitalisme par Alain Bihr

in Nouveaux cahiers du socialisme

http://www.cahiersdusocialisme.org/

Source : http://www.legrandsoir.info/

Au fur et à mesure où, semaine après semaine, quasi quotidiennement, la crise générale du capitalisme contemporain nous apporte son lot de nouvelles plus calamiteuses les unes que les autres, c’est la véritable nature de cette crise qui se révèle. Loin d’être seulement une crise économique, fût-elle structurelle, c’est à une véritable crise de civilisation que nous sommes confrontés.

L’expression est certes galvaudée depuis qu’elle a servi à désigner tout et n’importe quoi (surtout n’importe quoi, d’ailleurs !), en permettant le plus souvent de masquer la manière dont elle s’articule avec la dimension économique de la crise : avec la crise dans laquelle la reproduction du capital comme rapport de production se débat depuis maintenant plus d’un tiers de siècle. Par crise de civilisation, j’entends néanmoins que la situation critique dans laquelle le capital est durablement et sans doute même définitivement engagé (et nous avec lui, pour l’instant du moins) conduit à compromettre, inexorablement, toutes les conditions de la vie en société et jusqu’aux acquis les plus fondamentaux de la civilisation.

Quelques exemples des tendances régressives du capitalisme contemporain
Ce catastrophisme fera sans doute sourire le lecteur, qui en a entendu d’autres dans le genre. Quelques exemples pris dans l’actualité la plus récente lui feront, je l’espère, toucher du doigt et ce que je veux dire et la gravité de ce qui est en question.

Commençons par la nouvelle « réforme » des retraites qui se prépare en France (et ailleurs), en fait un nouveau pas en avant vers la destruction programmée de l’assurance vieillesse, avec à la clef et la nécessité de prolonger la durée de la vie active et l’appauvrissement de la partie la plus âgée de la population, dès lors qu’elle n’exercera plus d’activité professionnelle.

Tout le monde sait que la condition humaine se définit, notamment, par la conscience qu’a chaque homme, de sa mortalité, de la finitude de son existence. Il en est résulté, très tôt dans l’histoire et même la préhistoire des sociétés humaines, des rêves d’immortalité dont toutes les religions ont fait leur beurre, en promenant d’illusoires paradis post mortem. De manière plus matérialiste, mais autrement plus efficace, les hommes ont obstinément travaillé depuis des millénaires à améliorer leurs conditions matérielles d’existence : les progrès de la productivité du travail, ceux de l’hygiène publique, ceux de la connaissance scientifique et de la pratique médicale se sont conjugués pour permettre d’augmenter l’espérance de vie moyenne des populations humaines, c’est-à-dire le pourcentage de ceux des humains capables d’atteindre de grands âges tout en faisant reculer les limites de ces derniers.

Le capitalisme a eu partie liée avec ces progrès, dont il a étendu le champ et accéléré le rythme. Et, pourtant, non seulement il en aura limité les pleins bénéfices à la partie de la population mondiale concentrée dans les formations dominantes (les soi-disant « Etats développés »), et encore de manière très inégale ; mais aujourd’hui, il fait directement obstacle à la poursuite de ce mouvement, y compris au sein de ces formations. L’augmentation de l’espérance de vie, qui devrait résonner comme une bonne nouvelle, y apparaît comme une catastrophe parce qu’elle oblige à consacrer une part grandissante de la richesse sociale à l’entretien de personnes économiquement (mais non socialement) improductives et que cette contrainte entre directement en contradiction avec les exigences de la reproduction du capital et les intérêts de ses propriétaires. Autrement dit, la survie du capitalisme exige aujourd’hui de sacrifier la réalisation en cours d’un des plus vieux rêves de l’humanité et des plus beaux acquis de la civilisation : le prolongement de la vie et l’entretien de nos vieux.

Prenons un deuxième exemple, proche du précédent. C’est un autre rêve de l’humanité que celle d’une vie « sans maladie », d’une santé aussi constante et parfaite que possible. Et c’est un autre acquis de la civilisation que d’avoir progressé dans cette voie et que d’avoir étendu le bénéfice de ces progrès au plus grand nombre. Inutile de rappeler que l’institution d’une prise en charge publique, par le biais de l’impôt et de la cotisation sociale, de la lutte contre la maladie y aura largement contribué. Que des progrès restent à réaliser, là encore, sur un plan mondial, c’est l’évidence même ; comme est évidente la disponibilité actuelle en moyens matériels et personnels à cette fin. Là encore, seule l’incompatibilité de leur mobilisation avec les exigences de la reproduction du capital (qui impose non seulement un partage inégal de la richesse sociale mais encore un usage souvent nuisible de celle-ci) stérilise cette possibilité. Et c’est ainsi qu’on vient nous expliquer que la prise en charge sociale de la maladie et des malades est devenue dispendieuse, qu’il faut mettre fin à la « dérive des dépenses de santé » (quid de la dérive des revenus des professionnels de la santé, des profits des groupes pharmaceutiques et des intérêts des fonds de placement propriétaires des cliniques privés dont ces dépenses réputées inflationnistes sont pourtant la condition soigneusement tue sinon cachée ?) et « rationner l’accès aux soins » au détriment d’une part grandissante de la population, en commençant par la plus paupérisée ?

Veut-on un troisième exemple, qui n’est pas non plus sans rapport avec les deux précédents ? Le travail est d’abord une nécessité naturelle, inscrite dans notre condition biologique ; au fil des siècles et au gré du développement de rapports d’exploitation de l’homme par l’homme, il est devenu une contrainte sociale ; et certains y voient même une obligation morale, contractée à l’égard de nos tiers proches ou de la société dans son ensemble. Quoi qu’il en soit, précisément parce qu’il est inscrit à l’horizon de l’existence de la plupart d’entre nous (j’exclus de ce nous les rentiers qui vivent à nos crochets), le travail s’est toujours accompagné du rêve de la fin du travail, qui compte ainsi lui aussi parmi les plus archaïques de l’humanité.

Là encore, à défaut de pouvoir le réaliser tel quel, du moins les hommes se sont-ils avancés sur la voie de la réduction de la quantité de travail et donc de la durée du travail que chaque humain doit fournir pour assurer la reproduction matérielle des sociétés dont il est membre, en en augmentant la productivité. Et, sous ce rapport aussi, le capitalisme s’est montré progressiste en développant considérablement les forces productives de la société. Mais, là encore, sur un mode de plus en plus contradictoire, puisque l’économie grandissante de travail vivant (le travail des hommes par opposition au travail mort des machines) que réalise l’accroissement de la productivité du travail se traduit, dans le cadre des rapports capitalistes de production, par une augmentation constante du chômage et de la précarité salariale. Une fois de plus, comme la fée Carabosse, le capital compromet la réalisation d’un antique rêve d’émancipation en cauchemar.

Allez, un dernier exemple pour faire bon compte. L’ensemble des « rêves » précédents s’articule sur celui de rendre les hommes « maîtres et possesseurs de la nature ». En développant l’appareillage industriel du travail humain ainsi que les connaissances scientifiques qui en sont pour partie la condition, le capitalisme aura également contribué à la réalisation de ce dernier rêve. Tout en le transformant là encore en cauchemar dès lors que ce projet de domination de la nature revient à traiter cette dernière comme un immense réservoir de matières premières et d’énergie dans lequel on pourrait puiser sans tenir compte de sa finitude ainsi que comme un immense dépotoir dans lequel on pourrait rejeter les résidus et déchets de la production industrielle, sans tenir davantage compte de la finitude des écosystèmes à les absorber. La catastrophe écologique qui en résulte n’est nullement accidentelle ni par conséquent évitable : elle est inscrite dans le productivisme inhérent à la reproduction indéfinie du capital tout comme dans le caractère aveugle et incontrôlable d’un procès social de production divisé entre de multiples capitaux indépendants et rivaux les uns des autres [1].

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