Accueil > Entente entre les peuples > Géopolitique des conflits - Autodétermination des peuples - Extension (…) > Afrique > Au Cameroun, Roger Mbédé, mort pour avoir été homosexuel

Au Cameroun, Roger Mbédé, mort pour avoir été homosexuel

jeudi 20 février 2014, par Amitié entre les peuples

Au Cameroun, Roger Mbédé, mort pour avoir été homosexuel

PERDRIZET Terence
17 février 2014

Roger Mbédé, mort le 10 janvier à l’âge de 34 ans, dans une chambre de la maison familiale, à Ngoumou, sa ville natale dans le nord du Cameroun, est l’un des symboles de la lutte que mènent les homosexuels sur le continent africain. Sa mort serait due à des mauvais traitements subis au cours de sa détention et à l’insuffisance de soins reçus à sa sortie de prison. Aucune autopsie n’a toutefois été pratiquée avant que son corps ne soit inhumé, lundi 13 janvier, et sa mort reste entourée d’interrogations.

En 2011, Roger Mbédé avait été condamné par la justice camerounaise à purger une peine de trois ans d’emprisonnement pour avoir envoyé par SMS « Je suis très amoureux de toi » à un autre homme. Provisoirement libéré en juillet 2012, après une détérioration de son état de santé, il fut pris en charge par un hôpital de Yaoundé. Mais n’ayant pas les moyens de payer les soins, il a dû quitter l’hôpital et partir vers le nord du pays.

Son avocate, Me Alice Nkom, a relaté à la chaîne France 24 les obstacles qu’elle a dû surmonter pour lui venir en aide dans les jours précédant sa mort : « Roger Mbédé s’était réfugié là [à Ngoumou] car il y avait un mandat d’arrêt qui faisait qu’il pouvait être arrêté à tout moment. Il nous a alors annoncé la mauvaise nouvelle : il était séquestré. La famille nous accusait, mon association et moi, d’avoir passé un pacte avec le diable. Il fallait qu’on leur ramène toutes les photos, toutes les vidéos où l’on voyait Roger Mbédé et où l’on parlait de son homosexualité. On était en train d’envisager comment l’extraire de cet endroit, on a même pensé à envoyer une ambulance avec des gardes du corps. Et puis, on a appris la nouvelle. »

DÉLIT PASSIBLE DE 5 ANS DE PRISON SELON LA LOI

Me Nkom est elle-même une figure de la lutte pour la défense des droits de la communauté homosexuelle au Cameroun. Lauréate du prix des droits de l’homme d’Amnesty International en 2013, régulièrement menacée de mort, elle bataille depuis plusieurs années pour changer tant les mentalités que les lois qui pénalisent l’homosexualité au Cameroun.

La mort de Roger Mbédé comme les difficultés de son avocate constituent une nouvelle illustration du statut extrêmement précaire des personnes homosexuelles et de ceux qui les défendent au Cameroun et dans le reste de l’Afrique. Le cas du militant Eric Lembembe, dont le cadavre mutilé avait été découvert à Yaoundé à l’été 2013, avait particulièrement choqué hors des frontières du Cameroun. De nombreux diplomates étrangers, dont l’ambassadeur des Etats-Unis à Yaoundé, avaient assisté à ses obsèques et manifesté leur inquiétude quant à la montée des violences perpétrées à l’encontre de personnes homosexuelles dans le pays. Une semaine plus tard, deux jeunes hommes homosexuels, dont un mineur, étaient condamnés par un tribunal de Yaoundé à des peines de deux ans de prison ferme et d’un an de prison avec sursis.

Selon la loi camerounaise, être homosexuel est passible de 5 ans d’emprisonnement. Si la majorité des pays africains limitent les droits des homosexuels (au Nigeria comme en Ouganda, ils pourraient prochainement être de nouveau restreints), certains font figure d’exceptions comme l’Afrique du Sud, seul Etat du continent à avoir autorisé le mariage homosexuel mais où les violences perpétrées à l’encontre des homosexuels perdurent.

Le rejet par les sociétés peut s’avérer plus destructeur encore que la menace des tribunaux. Un certain conservatisme religieux au sein de nombreux pays, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, explique en partie le regard porté sur les pratiques homosexuelles. Le sociologue Charles Gueboguo interprète le sentiment anti-homosexuel prégnant dans la population camerounaise comme une tentative de construire une identité culturelle « originelle ».

PHÉNOMÈNE DE « BILINGUISME »

« Dans les imaginaires locaux, on observe comme une manière de penser qui voudrait que l’homosexualité soit une importation de l’Occident », explique M. Gueboguo, professeur à l’université du Michigan. S’il soutient que l’homosexualité existait au Cameroun avant que la colonisation ne débute, il estime important l’héritage colonial sur les législations actuelles : « Plusieurs pays africains, après les indépendances, et copiant les législations des anciennes puissances coloniales d’alors, interdirent l’homosexualité en la considérant comme un crime. »

Charles Gueboguo, qui a consacré l’essentiel de ses travaux à l’étude de l’homosexualité en Afrique, doute que la mort de Roger Mbédé puisse engendrer une prise de conscience au sein de la population camerounaise ou chez les responsables politiques. Aucun homme politique camerounais n’aurait, selon lui, le courage, ou l’intérêt, de se poser en tant que défenseur des droits des homosexuels. « Ils ne sont pas nombreux, ceux qui oseraient plonger dans la gadoue, si ce n’est pour pourfendre l’homosexualité », estime M. Gueboguo.

Le sociologue assure toutefois que « le rapport homosexuel s’exprime de plus en plus en public ». Deux boites de nuit gays ont ainsi successivement ouvert – et fermé – dans les années 2000 à Douala, capitale économique du pays. Nombreux sont aujourd’hui les hommes mariés, explique-t-il, qui fréquentent occasionnellement de jeunes hommes mais qui s’affichent publiquement comme étant homophobes afin de faire taire tout soupçon dans leur entourage. Certains parlent de « bilinguisme » pour désigner ce phénomène en apparence contradictoire.

Terence Perdrizet

PERDRIZET Terence
* Le Monde.fr | 17.02.2014 à 12h25 • Mis à jour le 17.02.2014 à 15h11.

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article31122