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« Soft power impérial » : Néocolonialisme à bas ! C Bruneau CADTM

samedi 9 décembre 2017, par Amitié entre les peuples

Néocolonialisme à bas !
Camille Bruneau - CADTM

http://www.cadtm.org/Neocolonialisme-a-bas

De nombreuses personnes venant de différents pays et continents étaient présentes pour cet atelier qui s’est déroulé le dimanche 2 juillet 2017 pendant notre 5e université d’été. Il traitait de la domination des puissances du Nord sur l’Afrique qui ne s’est pas arrêtée avec la fin de la colonisation, au contraire. De nouveaux outils, surtout dans le domaine de l’économie, sont en place et empêchent l’émancipation des peuples. Parmi ces outils on trouve le Franc CFA, l’extractivisme et le mécanisme de conversion de dettes en investissements utilisé par la France, appelé C2D.

Dette et extractivisme

Nicolas Sersiron du CADTM France a commencé par démontrer qu’en dépit de l’obtention de leur indépendance par la lutte, les pays africains sont aujourd’hui toujours dominés via des outils économiques. Contrairement au « hard power », c’est-à-dire l’utilisation du pouvoir militaire par un État sur un autre État, typique de la période coloniale, le néocolonialisme désigne la capacité des puissances occidentales à imposer leur propre volonté aux ex-colonies par l’utilisation du « soft power », c’est-à-dire à travers des moyens non coercitifs. Ce « soft power » se caractérise par le recours à une entité politique afin d’agir et influencer indirectement sur les prises de décisions des zones et acteurs concernés. Les réseaux françafricains en sont une expression manifeste.

L’extractivisme trouve ses origines dans la recherche de l’or et le pillage des ressources de l’Amérique, puis continue violemment en Afrique notamment durant l’industrialisation. L’extractivisme est basé sur l’exploitation des ressources naturelles, humaines et financières, guidé par la croyance en une nécessaire croissance économique, sans prendre en compte les externalités négatives. Alors que De Gaulle, face aux résistances croissantes des populations, entame le processus de décolonisation pour les colonies françaises, le soft power est utilisé pour déstabiliser les régimes souverains, voire progressiste, en place et les remplacer par des dirigeants corruptibles comme Mobutu en RDC, Eyadema au Togo, ou encore Compaoré au Burkina Faso, qui joueront un grand rôle dans l’accumulation d’une dette illégitime et odieuse.

Cette dette est l’expression de rapports de force existants entre colonisateurs et colonisés et montre bien une volonté très nette d’empêcher les pays du Sud de suivre leur propre voie. Le développement des sociétés adu Nord est basé sur le pillage des ressources de l’hémisphère Sud, que l’on qualifie ensuite de « moins développés ». Les « trente glorieuses » sont en réalité les « trente odieuses » pour les pays africains ! De nombreux pays du Sud souffrent des taux d’intérêts attachés à leurs prêts, des conditionnalités imposées par le FMI en échange de ces prêts et de la destruction des moyens de subsistances face aux produits exportés et subventionnés par la politique agricole commune européenne (PAC). Tous ces mécanismes s’inscrivent dans une logique de domination par le soft power, via une influence à la fois politique et économique, relayée par des représentants politiques véreux, qui ébranle les volontés de développement souverain des populations.

Les C2D : Contrats de désendettement et développement… ou nouveau Cheval de Troie du développement français ?

Derrières les beaux discours d’accompagnement des pays pauvres vers le désendettement, des intérêts néocoloniaux apparaissent et il est nécessaire de les déconstruire, ce que nous avons fait avec Rémi Vilain du CADTM Belgique durant cette partie. « Le C2D est un mécanisme spécifique à la France qui intervient quand un pays débiteur atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE (Pays Pauvre Très Endetté) ». Quand un pays rembourse à la France une tranche de son prêt relatif à l’aide public au développement (APD), la France refinance ce pays par « dons » d’un montant équivalent gérés dans le cadre d’un contrat « de désendettement et développement » (C2D). Ces « dons » sont cependant fléchés et bénéficient souvent aux intérêts publics et privés français à travers des investissements dirigés dans certains secteurs, activités et pays. En réalité, via ce nouvel outil au service du « soft power », les C2D remettent au goût du jour le vieux mécanisme de l’aide liée.

Comment ? Les C2D financent des projets dans les secteurs de l’agriculture (agro-business), la santé (hôpitaux), l’éducation et la formation professionnelle, le développement urbain, les énergies et l’ « environnement » (REDD+, etc.), ou encore dans la justice.

Ces conversions de dette en investissements atteignent dans certains cas des montants considérables (Cameroun environ 1,5 milliard d’euro, Côte d’Ivoire environ 1,75 milliard d’euro), et la présence des C2D dans certains pays reste opaque. En tout, plus de 4 milliards d’euros de dette envers la France ont été convertis en investissements dans 18 pays, particulièrement dans ses anciennes colonies aux régimes dictatoriaux ou fantoches (par exemple en RDC, au Cameroun, etc.).

Si en théorie les C2D prévoient une supervision des projets à la fois par la société civile française et celle du pays « bénéficiaire », en pratique, la France dispose d’un droit de veto sur l’ensemble des projets par l’intermédiaire de son « avis de non objection » (ANO).

De plus, la pertinence de nombreux projets peut être remise en question car ils tendent à promouvoir une agriculture productiviste orientée vers l’export, des projets environnementaux visant à augmenter les crédits carbone de la France, développer le tourisme ou encore à accorder le développement des ressources énergétiques à des mastodontes du secteur de la construction en France. Ces projets entrent également souvent dans le cadre de partenariats publics-privés, qui en plus de leur surcoût pour l’Etat, ont recourt à des partenaires qui font la part belle aux intérêts privés (Banque Mondiale, PROPARCO).

Les C2D peuvent donc être considérés comme un outil géopolitique et un levier de renforcement de la présence de la France dans les pays du Sud, en plaçant des entreprises françaises (VINCI, Eiffage, Razel-Bec, etc.) et leurs profits au centre des projets. En outre, il est faux d’affirmer que les C2D sont des annulations de dettes : la dette continue d’être remboursée en échange de ces « dons » qui sont en réalité des investissements dans l’intérêt de la France, et qui participe au maintien de ces pays sous contrôle ! Le « remboursement » de ces dettes est donc illégitime, renforce la logique néolibérale actuellement dominante et entrave la souveraineté des peuples.

Le Franc CFA : outil de domination économique

Inspirée des mécanismes utilisés par l’Allemagne nazie envers ses territoires occupés, la France a mis en place une monnaie dans ses colonies qui lui permet encore aujourd’hui de piller les ressources ainsi que de sortir systématiquement gagnante des échanges commerciaux. Le Franc CFA (FCFA) – nous explique Broulaye Bagayoko (secrétaire Permanent du CADTM Afrique) - a été créé en 1945 par De Gaulle, le ministre des Finances et le ministre des Colonies, et signifiait à l’origine « franc des Colonies françaises d’Afrique ». L’appellation a changé au fil du temps, mais la première reste la plus réaliste pour beaucoup. La zone Franc CFA, qui comprend en plus des Comores, 14 pays d’Afrique de l’Ouest (UEMOA) et d’Afrique centrale (CEMAC), repose sur 4 grands principes :

La centralisation des réserves de changes qu’on appelle le compte d’opérations ;
Le principe de la libre convertibilité du franc CFA en franc français hier et aujourd’hui en euro ;
Le principe de la fixité des parités ;
Le principe de la libre transférabilité des capitaux de la zone CFA vers la France.
Concrètement, au moins 50 % des réserves de changes des pays de la zone CFA (obtenus grâce aux exportations) sont centralisés sur le compte d’opération du trésor public français géré par la France. Cet argent est mis à disposition des pays africains pour leurs règlements, mais avec des intérêts, ce qui signifie que la France endette les pays avec leur propre argent. Ainsi, lorsque la France désire importer des produits de la zone CFA, elle ne débourse aucune devise, contrairement à quand elle désire importer d’un autre pays. Une chose est certaine : les réserves de change africaines permettent à la France de payer une petite partie de sa dette publique : 0,5 %, selon les calculs de Bruno Tinel.

La fixité des parités signifie que le taux de change entre franc CFA et l’euro est fixe – les pays africains n’ont pas le pouvoir de dévaluer ou de réévaluer leurs monnaie afin de se protéger ou de s’adapter en période de crise.

La France demande aux Trésors des pays africains sous franc CFA d’acheter leur propre monnaie. Or, on ne peut pas acheter le FCFA avec le FCFA, on l’achète avec d’autres devises. En outre, la France puise dans les comptes d’opération plusieurs milliards pour pouvoir faire remonter la demande du FCFA. C’est ce qu’on appelle soutenir la monnaie. Dès lors, les africains passent beaucoup de temps à gaspiller leurs devises pour soutenir le FCFA plutôt qu’à les utiliser en importation de biens.

De nombreux exemples techniques, suscitant beaucoup de questions et d’intérêt de la part des participants ont amené à montrer que, à travers des jeux monétaires, la France s’enrichit alors que l’Afrique s’endette. Au final, on peut identifier une double arnaque :

50 % des réserves de changes sur les exportations remis au trésor français ;
Parité fixe entre le Franc CFA et l’euro, contre un taux de change non-fixe entre l’euro et le dollar, qui est utilisé au lieu de l’euro quand cela arrange les créanciers.
De plus, les conseils d’administration des banques centrales sont largement influencés, voire nommés, par la France. Ce qui entre en conflit avec la souveraineté du peuple sur sa monnaie, comme inscrit dans la plupart des Constitutions.

Broulaye Bagayoko conclut son intervention avec un triste constat : les populations de la zone franc CFA sont totalement déconnectées de sa gestion qui est confiée aux élites françaises et africaines. Il est donc nécessaire de multiplier les discussions sur ce sujet et de démocratiser le débat sur le FCFA.

La discussion ayant suivi la présentation a montré qu’il y a beaucoup de désaccords concernant certains détails des politiques liées au FCFA, tout comme par rapport aux solutions envisagées. Ces discussions ont aussi continué à montrer la perversité de certaines de ces politiques. Mamadou Bah du CADTM Bruxelles, nous rappelle par exemple que son pays, la Guinée-Conakry, avait refusé d’adopter le FCFA : la France l’a alors « détruite » en y injectant de fausses monnaies et en orchestrant des assassinats politiques. Cela démontre à quel point le CFA est un instrument géopolitique indispensable et levier fondamental du processus de néocolonisation de la France vis-à-vis de ses ex-colonies. Mamadou estime également qu’un grand soutien de la gauche européenne va être nécessaire pour changer le FCFA ou l’abolir, ce sont surtout les populations locales qui doivent s’organiser et faire pression sur les gouvernements respectifs.

Pour finir, nous apprenons que l’accueil des migrants en France et dans autres pays européens est comptabilisé en tant qu’aide au développement, ce qui confirme le cynisme odieux des puissances occidentales !

La France, finalement, comme d’autres pays coloniaux, n’a jamais renoncé à « ses » colonies, à travers :
 le pillage quotidien des ressources naturelles depuis des décennies sans aucun respect pour l’autonomie locale et les populations qui vivent sur ses terres ;
 la conversion en investissements productifs pour des dettes largement illégitimes qui ont bénéficié une partie très minoritaire et favorisée de la population ;
 le franc CFA,instrument financier colonial par excellence.

Il est temps d’exiger d’en finir avec le (néo)colonialisme et de permettre aux populations du Sud de s’émanciper de la domination des (ex-)puissances impérialistes maintenant et pour toujours !