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Les politiques européennes d’immigration - M Cahouet

dimanche 7 septembre 2008, par Amitié entre les peuples

Université d’été d’ATTAC Toulouse 2008 :
Les politiques européennes d’immigration. 2008

I) La politique de l’Union Européenne

Deux faits ont marqué la période récente.

1er élément : le pacte européen sur l’immigration et l’asile. ( l’analyse du texte a été faite dans l’intervention précédente ce n’est pas mon propos ici). Il s’agit de caractériser ces politiques, de voir ce qui les fonde depuis le début.

« Avec ce pacte, rien ne sera plus comme avant prévient Brice Hortefeux en présentant le projet de pacte européen sur l’immigration et l’asile. En effet, la France fait de ce texte une des quatre priorités de la présidence de l’Union Européenne.

2 ème élément : l’adoption de la directive dite de la honte en juillet 2008.

Le pacte s’inscrit dans l’histoire de la politique européenne qui se construit lentement de façon chaotique en tension entre souveraineté et politiques nationales. Les Etats ont toujours eu de grandes réticences dans les domaines qui touchent à leur souveraineté. Les directives adoptées ne sont pas toutes déclinées en droit dans les états ni les engagements tous traduits dans la législation européenne. Le gouvernement français a proposé à ses homologues européens la conclusion d’un pacte européen « fondateur d’une politique commune de l’immigration et de l’asile » et entend en faire un programme de l’UE. Rappelons-en les cinq points :

 organiser l’immigration légale en tenant compte des priorités, des besoins et des capacités d’accueil des états et favoriser l’intégration,

 lutter contre l’immigration irrégulière,

 renforcer l’efficacité des contrôles aux frontières,

 bâtir une Europe de l’asile

 créer un partenariat avec les pays d’origine et de transit.

C’est la continuité de la mise en œuvre du programme de la commission européenne et des Etats membres depuis plus de dix ans soit dans un processus intergouvernemental soit dans un processus communautaire.

Historique.

Des dates :

Schengen 1985 :

C’est le socle de la politique européenne : la liberté de circulation dans un espace qu’on définit ensemble. Les pays d’accueil dictent leurs lois.

C’est la protection d’un espace intérieur de prospérité et de contrôle de l’entrée, de la circulaire et de l’éloignement de personnes vues a priori comme indésirables. D’ou la notion d’Europe forteresse pour les empêcher d’atteindre l’espace européen par des barrières administratives et physiques. D’où le Déploiement d’un arsenal guerrier : camps (Libye et Mauritanie, financés par l’Union Européenne), plus sous-traitance à des Etats de transit, subventions augmentées de Frontex, agence européenne avec gardes frontières, charters européens…Mais son impact est faible sur les réductions de flux.

Amsterdam1999 :

C’est la définition d’un espace de « justice, liberté et sécurité ».

Le texte prévoit l’unification des politiques des Etats ensemble à échéance de cinq ans. Le texte porte sur cinq points :

 Lutte contre l’immigration clandestine

 Regroupement familial

 Résidence de longue durée

 Harmonisation de l’asile

 Définition du réfugié.

Il comporte aussi quatre directives : accueil des demandeurs d’asile, définition du réfugié, protection temporaire en cas d’afflux massif procédure pays tiers. A Lisbonne (depuis 2004 pour l’immigration illégale).

Lisbonne 2009 :

L’Union Européenne acquiert la responsabilité juridique. Elle pourra adhérer à la Convention des droits de l’homme et sera justiciable devant elle.On va passer à la majorité qualifiée ou en co-décision.

La politique actuelle.

La logique européenne : on ferme les frontières et on externalise.

Il y a volonté de faire que les actions au niveau national et européen se complètent :

Il s’agit de définir « la forme d’immigration nécessaire pour l’Europe » y compris les mesures d’intégration. « Afin de faire face à l’immigration clandestine, le plan contiendrait un ensemble de mesures qui cibleraient les immigrés clandestins sur le territoire de l’Union Européenne et ceux qui s’y trouvent déjà ». (08-01-2008 communication)

L’Union Européenne parle d’une approche globale de la question de l’immigration mais de fait, fait de la lutte contre l’immigration illégale sa priorité, politique qui bafoue les droits fondamentaux.

Cette politique provoque des drames au sein de l’Europe par la politique de répression de chasse aux migrants, des emprisonnements, des expulsions violentes , La mort de centaines de migrants en rendant le passage vers l’Europe de plus en plus compliqué est au rendez-vous.

Cette politique favorise également le développement des filières criminelles de trafic et de traite des êtres humains qu’elle prétend combattre. Par ailleurs elle est peu efficace : rien n’empêchera ceux qui édésirent de partir de le faire.

C’est en contradiction avec les principes de « liberté, de sécurité, de justice » définis à Amsterdam pour qualifier l’espace de l’Union Européenne.

« C’est une vision des migrations avant tout sécuritaire, qui nuit aux relations avec les pays tiers et porte atteinte aux droits des migrants ». (publication de la Cimade) et l’Union Européenne mène un combat idéologique avant tout.

C’est une politique qui veut masquer sa violence en la rejetant en dehors de son espace et veut être légitime en s’appuyant sur ces principes de « liberté, sécurité, justice ».

C’est un projet discriminatoire de sécurité intérieur, au détriment des peuples des pays du sud.

Exemples de quelques aspects de cette politique :

 L’externalisation

 Le co-développement

 Le contrôle technologique

a) Externalisation : il s’agit de délocaliser les contrôles aux frontières (réseau d’officiers de liaison, Frontex etc.) et de déresponsabiliser en faisant peser sur les pays tiers les conséquences des obligations qui incombent à l’Union Européenne en application des clauses et d’accords de réadmission.

L’agence Frontex créée en 2004 (réseau de garde-frontières, coordination des charters commun) pour améliorer « la gestion intégrée des frontières extérieures à l’Union Européenne va voir une augmentation de crédits.

L’ accord de réadmission : c’est un accord bilatéral ou multilatéral qui permet de formaliser une obligation de réadmission entre deux Etats. Il concerne aussi les migrants ayant transité ou séjourné dans le pays.

De fait les pays du Sud font le sale boulot de l’Union Européenne : on est dans une logique de sous-traitance.

Avec l’Union Européenne ont été signés des accords avec les pays suivants : Albanie, Hong-Kong, Macao, Russie, Sri-Lanka, négociations avec le Maroc, le Pakistan, l’Ukraine, l’Algérie, la Chine, la Turquie. La France a des accords de « gestion concertée » des flux avec Sénégal, Gabon, Congo Brazzaville, Bénin, Tunisie.

b) Le co-développement : dialogue des pays riches parlant à des pays pauvres.

Recommandation du 12 juillet 2007 : « Le développement n’est pas utilisé à des fins de régulation des flux mais il y contribue ». L’aide au développement est une monnaie d’échange qui s’accompagne d’un volet de réadmission, de contrôle de l’immigration pour obtenir le retour des migrants au pays et la lutte des pays tiers contre l’immigration illégale.

Il faut, pourl’UE, favoriser les transferts de fonds en les orientant vers les circuits bancaires et les infrastructures – comptes épargne avec prestations offertes pour les migrants.

Il faut valoriser la circulation de l’argent des migrants pour subventionner les infrastructures des pays d’origine (l’aide officielle est inférieure à l’apport financier des migrants)

L’Union Européenne et/ou les Etats exercent une pression pour mettre en place la même politique répressive (cf Union Méditerranéenne) sur le territoire africain. « On veut des africains mais on veut que ça nous rapporte en attirant la main-d’œuvre la plus qualifiée (projet de carte verte européenne) alors que l’aide officielle diminue et le co-développement s’appuie de plus en plus sur les ressources des migrants pour subventionner les infrastructures des pays d’origine (rapport du Conseil Economique et Social de 2008).

Il s’agit de jeter les bases d’une coopération en matière d’asile et d’immigration pour tenter de prévenir les conséquences supposées négatives de la libre circulation des personnes par l’adoption de mesures compensatoires. Il s’agit de réduire les flux bien plus que l’élaboration d’une véritable politique d’immigration jamais vue sous l’angle de la contribution positive au développement.

Le migrant est vu en négatif : le demandeur d’asile est soupçonné de vouloir abuser des mécanismes de protection internationale. Le migrant, le clandestin est celui qui alimente les économies souterraines voire les réseaux criminels ou terroristes.

L’Europe est un îlot de prospérité et de stabilité à défendre contre le péril d’une invasion migratoire, figure floue et inquiétante du migrant clandestin.

c) Moyens technologiques : On s’oriente vers des pratiques de surveillances de plus en plus sophistiquées, par des processus d’identification techniques de surveillance des individus et de leurs déplacements. Les tests ADN sont dans la loi française et imposés çà et là en Afrique..

Les visas biométriques permettent aussi de repérer ceux qui sur un territoire donné ne sont plus en situation régulière.

Pas d’approche globale, pas trace d’une approche compréhensive du phénomène de l’immigration clandestine (jamais cause économique, sociale, politique) mais défensive : on vise à endiguer les flux.

La politique de l’Union Européenne : c’est un discours sur le péril migratoire qui nourrit les inquiétudes et alimente les demandes de sécurité et rend acceptable la violation des droits

II) Idéologie de la sécurité

Objectifs de l’Union Européenne

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C’est à la fois faire obstacle aux déplacements des personnes considérées comme indésirables car menaçant les structures sociales, politiques et culturelles européennes. L’Union Européenne se présente comme un îlot de prospérités à défendre contre un péril : les migrants.

Ce n’est pas de tant s’attaquer aux causes des flux migratoires ni à l’exploitation des migrants par des réseaux criminels que d’afficher pour l’Union Européenne un espace sécuritaire. D’où une politique de répression pure.

C’est donc un discours sur le péril migratoire et une approche essentiellement sécuritaire en direction des opinions publiques nationales pour répondre à une demande sociale réelle ou supposée de sécurité, demande que l’on va créer en façonnant une image de l’Autre, en construisant la peur de l’Autre.

Le vocabulaire est intéressant : clandestin, illégal, irrégulier : il justifie de fait des pratiques hors la loi. Le migrant apparaît comme tricheur, menteur : le demandeur d’asile veut profiter de la protection internationale. Le clandestin cherche à profiter de l’économie du pays d’accueil pour nourrir sa famille ici et là-bas.

Ce discours assez consensuel, hélas, nourrit les inquiétudes et alimente les demandes de sécurité : il rend acceptable la violation des droits.

Il fait aussi diversion : c’est un discours assez consensuel qui légitime une politique, pour faire oublier l’absence d’une véritable politique sociale progressiste.

La légitimité de l’autorité politique découle de moins en moins de la possibilité d’imposer des choix sociaux et davantage de l’aptitude à identifier et à faire accepter comme tels les phénomènes menaçant le corps social. La mise en forme de la réalité des dangers supposés qu’elle contient devient des enjeux essentiels.

N’essaie-t-on pas de fonder une identité européenne sur la peur de l’Autre ?

L’Union Européenne se forgerait ainsi une « destinée sécuritaire » à l’intérieur d’un espace.

III) Conclusion et perspectives de luttes

Objectif de l’Union Européenne : faire obstacle aux déplacements de personnes indésirables a priori car menaçantes pour les structures sociales, politiques et culturelles européennes et non s’attaquer aux causes des flux migratoires (co-développement) ni à l’exploitation criminelle.

Discours sur le péril migratoire.

L’approche essentiellement sécuritaire est problématique : elle se
heurte :

 aux droits des migrants,

 à l’universalité des droits limités aux ressortissants,

 à la détérioration de l’image de l’Europe,

 en contradiction avec la logique économique globalisée.

On oppose des groupes dont la mobilité est légitime à ceux dont la mobilité est néfaste.

Bien distinguer les objectifs affichés et les dimensions non explicites : d’ou rétablir l’illusion du discours de répression pour produire un effet de dissuasion.

L’Union Européenne s’adresse aux opinions publiques nationales pour répondre à une demande sociale réelle ou supposée de sécurité. D’où la spectacularisation de l’action communautaire.

C’est une politique contraire aux principes : elle alimente l’image de l’Europe forteresse, la xénophobie, les traitements dégradants, la violation des droits de la personne. Elle est inefficace (contraire à l’efficacité économique et aux stratégies de l’entreprise) et favorise certaines formes de criminalité et d’économie souterraine.

La politique de sécurité intérieure menée par l’Union Européenne a pris les traits d’une stratégie de contrôle des frontières extérieures. La légitimité de l’action communautaire ne repose pas sur l’efficacité des politiques mises en cause ni sur les valeurs prônées par l’Union Européenne mais sur la construction sociale de l’altérité adaptées aux spécificités de l’Union Européenne. Le clandestin est une menace dans le processus de formation d’une identité.

La lutte contre l’immigration clandestine est politiquement conservatrice. Elle nourrit les angoisses : peur du chômage, de la délinquance, du multiculturalisme, du terrorisme…

On a façonné une représentation insécurisante de l’autre, susceptible de structurer une identité collective européenne par la peur de l’Autre (vecteur d’unification supposé), entreprise de diversion pour compenser la légitimité perdue dans le champ social.

Ere plus subtile du contrôle social et de la coercition. On s’oriente vers des pratiques de surveillance de plus en plus sophistiquées, des processus d’identification et d’évaluation des dangers. D’où des techniques de surveillance des individus et de leurs déplacements, des formes nouvelles de contrôles basées sur la collecte et l’échange d’informations (VIS : bases de données informatiques communes).

D’ou le déplacement des frontières vers le mythe de l’étanchéité.

Face à ces politiques, les résistances s’organisent.

 dans les états eux-mêmes : En Europe, en France notamment

En Algérie, Tunisie, Maroc notamment

- par des mobilisations plus larges : en 2006

 directive de la honte, en Europe, surtout en France et en Amérique du Sud,

 conférences non gouvernementales à Rabat en réponse à la conférence officielle en 2006,

 forum social pour un Maghreb des peuples en juillet 2008

 Meeting de solidarité avec les peuples tunisien, algérien, marocain en juillet 2008,

 17 et 18 octobre : sommet citoyen avec conférence non gouvernementale , manifestation et concert..

Marylène Cahouet

Bibliographie :

Denis Duez : les politiques européennes d’immigraton.