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Le Citoyen, la République, la Démocratie. G Poulet

jeudi 12 février 2009, par Amitié entre les peuples

Le Citoyen, la République, la Démocratie.

Le citoyen n’est pas un individu concret mais un sujet de droit, car c’est quand il agit et s’exprime en acteur politique qu’il apparaît. Avant, il est comme tout un chacun tantôt un travailleur, tantôt consommateur etc. Aristote en dit ceci : « Un citoyen, au sens absolu, ne se définit par aucun autre caractère plus adéquat que par la participation aux fonctions judiciaires et aux fonctions politiques en générale. » (Politique, III, 1)

Tous les Hommes, selon la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, ont vocation à la citoyenneté qui transcende les particularismes. À la sphère privée la liberté des individus dans toute leur diversité ; au public l’affirmation de l’égalité des droits des citoyens. La séparation du public et du privé est donc bien le principe fondateur de l’ordre social tel que décrit par la Déclaration de 1789. Toutefois, la citoyenneté est une construction historique non figée qui appelle au combat dès lors que les forces au pouvoir enclenchent un processus répressif ou une corruption de l’égalité qui la fonde. Il ne peut y avoir de citoyen de seconde zone. En effet, le point nodal de la citoyenneté est l’universalité parce qu’elle est définie en termes juridiques et politiques et ne saurait se fermer à tous ceux qui sont aptes à participer à la vie politique quelles que soient leurs caractéristiques particulières. La citoyenneté est donc à la fois la source et la voie du lien social. Depuis la chute des monarchies absolues, le sujet étant devenu citoyen et la souveraineté dévolue au peuple, vivre ensemble n’est plus subir les préoccupations du monarque, ni non plus les fantasmes ultramontains, c’est être membre et acteur de la même organisation politique, avec droit de regard sur son fonctionnement ; c’est aussi demander des comptes. En effet, le citoyen ne saurait avoir la mentalité du sujet dont le sort est suspendu au bon vouloir d’un autre ; il n’admet ni maître ni tyran ni fonctionnaire ni oligarque même éclairé, mais il doit avoir pleinement conscience de ses droits, comme de ses devoirs de participation à l’ouvre commune. Une démocratie ne peut pas vivre sans le soutien de ceux à qui elle est destinée. C’est pourquoi l’idée de citoyenneté implique la stricte égalité de droit et l’égale dignité de tous ; toute distinction pouvant être perçue comme discriminatoire. Cependant, force est de constater que chaque homme est un unique et que seule l’égalité de droit est opérationnelle, raison de plus pour la défendre. La société démocratique, fondée sur les citoyens et la citoyenneté, doit donc se méfier des tendances de l’individualisme narcissique qui l’altère et la corrompe. Seule la pratique politique du citoyen instruit et éclairé, conscient de ce danger est en mesure de contrebattre et de triompher de ce penchant naturel.

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À ce stade de notre réflexion il n’est peut être pas inutile de regarder où en est notre démocratie et quel est le positionnement véritable du citoyen en ce début de XXIe siècle.

On établira le constat que la démocratie, cadre dans lequel s’épanoui normalement le citoyen, est en crise. Nous allons tenter de le démontrer.

L’un des premiers points sensibles est l’atteinte quasi permanente à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dont nous avons montré qu’ils fondaient notre société. Ce n’est pas se payer de mot que de constater, par exemple, que la transformation de la notion de sureté en sécurité engendre aujourd’hui des politiques de liquidation partielle des droits des individus au nom de fantasmes sécuritaires qui diabolisent le pauvre, l’étranger et la « racaille » des banlieues. Également et toujours de ce point de vue on notera qu’en son Art XVI, la Déclaration de 1789 précise que là où il n’y a pas de séparation des pouvoirs il n’y a pas de Constitution. Qui peut, aujourd’hui prétendre que ce principe est respecté quand on observe les rapports actuels entre l’Exécutif et la Justice ?

Par ailleurs, on constate aussi le retour en force des féodalités, du corporatisme et de la corruption généralisée de gens en capacité de se servir plutôt que de servir. Pour MONTESQUIEU, le principe de la république est la vertu, la vertu politique, autrement dit le sens du bien commun. Si l’on observe notre société attentivement, on ne peut que constater que nous sommes entre les mains d’un système oligarchique qui s’est constitué peu à peu, passant de la domination des aristocraties, aux élites bourgeoises de la première révolution industrielle, puis à « l’ ère des managers », c’est-à-dire à la domination de la technocratie sensée être seule capable et compétente pour décider de tout et sur tout, en fait l’agent vibrionnant et dogmatique (l’horizon indépassable du libéralisme capitaliste !) de la production pour la production. Puis au tournant des années 70 s’opéra une nouvelle mutation qui vit la finance primer sur la production, le technocrate se faire financier, l’ingénieur s’effacer devant le trader. Ainsi s’installa une oligarchie, régime que Platon a défini comme celui où la minorité des riches exerce le pouvoir. On le voit, ce type de domination marginalise fortement la notion même de citoyenneté puisqu’elle se fonde sur une asymétrie structurelle de la société qui installe au pouvoir des oligarques plus soucieux de leur propres intérêts que du bien commun. Les penseurs qui défendent ces intérêts là opposent à l’idée commune aussi bien à ARISTOTE qu’à HARENDT que le citoyen n’est véritablement libre que dans la vie publique car il s’y réalise dans la participation au pouvoir, là où s’épanouissent toutes ses potentialités ; l’idée de la liberté négative, qui consiste à ne pas être entravé dans l’action en vue de son propre bien pour autant que soit respecté le « droit naturel » des autres. On voit la nuance, c’est le fameux « laisser faire, laisser passer, le marché règle tout » cher à la révolution néo conservatrice et dont on constate aujourd’hui les dégâts. C’est aussi la négation de la citoyenneté et le retour sournois des dépendances subies plus que choisies. Mais ceci est un autre sujet.

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Présentement, la citoyenneté est confrontée à des défis dont le premier, on l’aura compris, est son retour en politique. Voter est bien, faire de la politique et s’investir au jour le jour est mieux ! Mais s’il n’y avait que ce défi là, la tâche serait relativement claire, nous ne disons pas facile. S’ajoutent, en effet, quelques problèmes qui relèvent de sa compétence et dont les citoyens seront bien inspirés de s’emparer pour ne pas qu’ils soient tranchés par l’égoïsme et l’utilitarisme ambiants. En voici quelques uns.

· Peut-on être citoyen d’un pays sans en posséder la nationalité ? Question qui interpelle surtout la solidarité et l’équité dans la mesure où, pour l’essentiel, les étrangers qui travaillent chez nous participent à la richesse nationale, paient des impôts etc.

· La citoyenneté intègre-t-elle la notion de laïcité ? Ce qui peut nous paraître évident, compte tenu de notre culture, peut poser problème à d’autres. Un sérieux effort de pédagogie doit donc être engagé pour faire comprendre à chacun la dimension universelle de la laïcité qui garanti la liberté de conscience et protège les croyants dans le même mouvement qu’elle protège l’État et donc tous les citoyens des ingérences de la religion sur la conduite des affaires de la Nation. La loi de 1905 n’attente à aucun droits, bien au contraire, elle est la solution élégante apportée aux problèmes du vivre ensemble d’hommes et de femmes que tout pourrait opposer irréductiblement. (Qu’on songe aux guerres de religions)

· « Un citoyen ne saurait être dispensé sans dommage pour l’intérêt public d’une culture nécessaire au bon exercice de sa participation personnelle à la souveraineté. » Carnot (1848). Ce propos de bon sens incline à poser la question suivante, faut-il définir un enseignement de la citoyenneté à l’école mais aussi dans la cité, dans quel cadre et avec quels moyens ?

· Et du coup, comment définir les valeurs communes qui sous-tendent l’exercice de la citoyenneté ? Vaste question qui oblige à la prudence et à la vigilance car nul enseignement n’est innocent et si la pluralité n’est pas assurée, on risque de déboucher sur le dogmatisme. Qu’on veuille bien agréer pour preuve l’enseignement de l’histoire qui est si souvent l’objet de manipulations éhontées.

· Enfin, mais sans la prétention d’avoir balayé le champ de toutes les questions, il faudra bien poser le problème de la citoyenneté européenne. Où en est-elle aujourd’hui ? Existe-t-elle seulement autrement que comme fantasmagorie ? Force est de constater que ce qui s’appelle de nos jours l’Europe s’est construit sans les peuples, ce qui à mené aux référendums négatifs de la France, de la Hollande et de l’Irlande ! Caricatural, à ce propos, est le passage en force quelques temps après via le Traité de Lisbonne soustrait à l’approbation des peuples, sauf en Irlande et on a vu ce qu’il en a été, qui constitue un véritable déni de démocratie. On le voit, il y a fort à faire pour créer une Europe des citoyens et en tout cas il ne faut rien attendre de bon d’une « directive » qui prétendrait régler le problème. Certes, le traité de MAASTRICHT de 1992 a posé un certain nombre de principes et droits : double nationalité, droits de circuler et séjourner en UE, droit de vote et éligibilité aux élections municipales et européennes, droit d’élire des députés au Parlement européen. Mais pour l’heure, l’Europe n’est qu’un avatar de plus de la société (ultra)libérale :) qui préfère de loin l’homo caddiecus à l’homo politicus, cajole les gens abrutis de publicité et de contes peoples et se méfie de l’homme debout, du citoyen éclairé. Et puis, espace Schengen ou pas, on préfère à la libre circulation des personnes la libre circulation des capitaux, délivrés des passeports eux. Il y a un rude combat à mener pour que le Parlement européen devienne vraiment représentatif des citoyens européens.

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Pour conclure ce survol forcément lapidaire, nous dirions que la notion de citoyenneté est en déshérence et en danger. Certes, elle est assez bien définie dans ses droits comme dans ses devoirs, mais il semble qu’elle ne soit plus opérationnelle dans la mesure où les citoyens semblent ne plus s’identifier à leur État et avoir perdu tout sens d’un bien commun primant sur leurs intérêts individuels. Nous devons ce recul, qui induit aussi le recul démocratique, à l’individualisme narcissique que nous avons décrit par ailleurs. Il est consternant de voir nos concitoyens se désintéresser des atteinte basiques à la République et à la Démocratie - ne parlons pas ici du démantèlement des outils de l’État, c’est un autre débat - mais méditons sur l’Art 2 de la Constitution de 1958 dont voici la première phrase : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Indivisible, vraiment ? Alors quid de la loi de séparation en Alsace Lorraine et outre-mer ? Laïque, vraiment ? Alors qu’en est-il des attaques et atteintes régulièrement menées contre le principe même de la laïcité par le biais des discours surréaliste de tel ou tel et par les contournements de la loi pour le financement des lieux de culte ? Démocratique, vraiment ? Alors que penser de l’affaire du TCE dénoncé supra comme un déni démocratique ? Sociale, vraiment ? Quand tout est fait pour démolir le droit du travail, quand rien n’est fait pour lutter contre les délocalisations, quand enfin le droit à avoir un travail s’est transformé en droit à en chercher un ! L’un des devoirs du citoyen est de veiller à ce que le gouvernement respecte au moins les principes constitutionnels. Cette Constitution est bafouée et pourtant elle était dès l’origine d’inspiration bonapartiste, mais au fil des ans il semble que cela ne suffisait pas encore aux détenteurs du pouvoir qui n’ont fait que d’en accentuer les tares. Nous sommes aujourd’hui à un moment dangereux de cette dérive, rien ne semble plus exister entre la présidence et le peuple. Il est temps que les citoyens reviennent, se dressent et revendiquent leur droit à la conduite des affaires. Et pour commencer pourquoi pas jeter bas cette Constitution liberticide en exigeant la convocation d’une Assemblée Constituante ? Il faut refonder la République, il faut refonder la Démocratie.

Gilles POULET LE 6 février 2009