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Du communautaire au communautarisme...

lundi 1er septembre 2008, par Amitié entre les peuples

Du communautaire au communautarisme...

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1er mars 2005

Actuellement, s’il y a bien un terme qui prête à confusion dans les débats citoyens ou dans les médias, c’est certainement l’adjectif “communautaire”. Notre société en général, et Bruxelles en particulier, sans nul doute métissée et interculturelle, charrie inévitablement dans son sillage rhétorique multiculturel l’idée de communauté.

Pendant des décennies, au moins à partir de 68, ce terme séduisait par le sens qu’il donnait à une forme de solidarité que je qualifierais de ciblée et de son corollaire, plus “efficace”, nous éloignant de celui, plus vague, de solidarité nationale. Au-delà de ce que j’appelle les communautés légales dues au choix, dans notre pays, d’un fonctionnement politique fédéral, il existe bien évidemment, -c’est tellement visible, il suffit de se promener dans le métro bruxellois-, une réalité multiculturelle constituée d’étrangers ou de personnes d’origine étrangère installés en Belgique depuis plusieurs générations. Pour les personnes d’origine étrangère, de toute façon, si le profil est trop typé, ils sont assimilés de facto à leurs origines et donc aussi, à leur communauté d’origine, comme par exemple les Africains et les Maghrébins. C’est dans les années 80, devant la réalité de la mosaïque constituée de ce qu’il est d’usage d’appeler minorités culturelles, que le mot communautaire s’ethnicisa, et qu’un autre aspect de ce terme émergea dans les médias et les débats sur le sujet qui, rien qu’à son intonation, inquiète et questionne le quidam citoyen : le communautarisme. A part les communautés légales, tous : Juifs, Africains, Maghrébins... courent le risque un jour ou l’autre d’être pris dans le collimateur du isme qui résume toutes les peurs.

D’une manière générale, dans la littérature sociologique qui touche le concept de communautés, le communautarisme revêt le sens du repli sur soi, ou encore dit autrement, le repli identitaire. Par exemple, et sans me prononcer sur la communauté africaine que je connais très mal, on ne peut que constater, chez les Juifs et les Maghrébins, qu’il existe actuellement un véritable glissement de ces communautés vers un communautarisme de plus en plus virulent, voir même violent.

Avant d’aller plus loin dans ma réflexion, il serait bon qu’un petit rappel théorique précise ce qui pour moi définit pleinement le terme communautarisme. P-A Taguieff, dans sa récente contribution (mars 2004) parue dans l’excellente publication de l’UEJF [1], nous explique que : dans ses usages contemporains dominants, ce terme en isme ne désigne pas une idéologie politique (comme le nationalisme), ni une configuration idéologique (comme le racisme), ni un style politique (comme le populisme), ni une école de pensée (comme la philosophie politique des “communautariens” américains ou canadien) : il dénomme un ennemi abstrait, il désigne une menace, il signale un danger, il exprime une inquiétude et indique en conséquence une tendance inquiétante, il dévoile une tentation supposée croissante, il dénonce une dérive (dont on sait que, conformément à l’idée reçue, elle ne peut que mener au pire). En bref, le communautarisme est la dérive, dans son acception la plus négative, du communautaire, qui est, rappelons-le, l’exercice d’une solidarité effective et l’adhésion volontaire à une culture et à sa transmission.

P-A Taguieff, dans la même contribution, nous enjoint, au vu de l’actualité, de nous atteler à la tâche critique de désamalgamer communautaire et communautarisme, mais de ne pas nous contenter uniquement d’une démarche conceptuelle. Il faut, nous dit-il, transformer le terme polémique communautarisme en une catégorie descriptive, c’est-à-dire pouvoir repérer comment dans la réalité et la pratique le communautarisme s’exprime dans les différentes minorités culturelles, et en ce qui nous concerne, de Bruxelles. C’est ce que je vais tenter de faire, en mettant en exergue ce qui pour moi relève du communautarisme d’une manière édifiante dans la communauté juive et dans la communauté maghrébine. Je m’attarderai plus particulièrement sur la communauté maghrébine puisque c’est le sujet de cette chronique, et pour cette dernière, je ne me contenterai pas uniquement de mettre en relief les aspects de communautarisme, mais je citerai également des éléments d’ordre communautaire parce que, quoi qu’on en pense, cela existe aussi dans la communauté maghrébine.

Dans les deux communautés, juive et maghrébine, ce qui à mon sens révèle d’une manière symptomatique la dérive vers le communautarisme, est ce que j’appelle : l’excommunication communautaire. Les prémisses du repli identitaire et donc du communautarisme, peuvent être identifiés selon moi, lorsque les membres d’une communauté commencent à en exclure d’autres, sous prétexte qu’il font du mal à la communauté, ou dans un autre genre, qu’ils deviennent traîtres à la communauté. Illustrons cela par les exemples suivants. Dans la communauté juive, les débats sur les liens qui existent entre les Juifs de la diaspora et Israël ont toujours existé, mais c’est tout récemment, que des Juifs, publiquement, excluent d’autres Juifs pour cause de différends politiques au sujet d’Israël. La communauté maghrébine également exclut à tour de bras si d’aventure l’un de ses membres émet un doute sur son appartenance à l’islam, ou même simplement sur son respect de la morale islamique. Lors d’un débat télévisé entre Juifs, n’ai-je pas vu et entendu des Juifs communautaires s’acharner, en pratiquant une étymologie sauvage, pour signifier que l’UPJB par exemple, par son appellation progressiste, se mettait d’elle-même en dehors de la communauté. Certains se sont laissé aller jusqu’à les traiter d’antisémites ; un non-sens s’il en est. Moi-même, lors d’une discussion qui se passait en pleine section locale d’un parti politique, où j’essayais d’argumenter contre le port du foulard à l’école par des jeunes filles musulmanes, je fut interpellé par un autre militant d’origine marocaine, pratiquant religieux notoire et ami de longue date, de la manière suivante : “Là Omar, tu exagères, tu dévies”. J’ai dû lui expliquer qu’on était en train de participer à un débat contradictoire et, qui plus est, dans une section de parti, et qu’il devait préciser devant l’assemblée, de quel dogme ou de quelle morale je “déviais”, alors que j’étais dans une réflexion citoyenne et surtout personnelle. Israël est également un sujet de discorde intracommunautaire dans les deux communautés dont je parle. Il est effectivement piquant de relever que l’exclusion qui frappe les Juifs qui expriment dans leur communauté une distance par rapport à Israël, est proportionnelle à celle dont sont victimes certains Maghrébins s’ils manifestent leur sympathie, même lointaine, avec Israël. Cette presque obligation faite d’être fidèle au discours dominant de l’une ou l’autre communauté, écarte toute tentative de débat avec “les siens”, et ne laisse le choix aux brebis égarées de parler de leur communauté, qu’avec des personnes d’autres origines. Le débat contradictoire intracommunautaire est ainsi étouffé. Quel dommage quand on sait à quel point les Anciens encourageaient ce mode de discussion : “La vérité disaient-ils s’élève sous des vents contradictoires”. Le premier signe de communautarisation est l’exclusion.

Le communautarisme dans la communauté maghrébine, et donc par glissement dans la communauté musulmane à franchi une autre étape. Étape qui doit faire prendre conscience à tous ses membres du danger qui les guettent, et qui est ce que Taguieff décrit comme une tentative par des groupes, sur des bases identitaires, en référence à une origine ethnique commune, à une même religion, à une langue d’origine minoritaire, de jouer un rôle dans le champ politique... Le communautarisme maghrébin ou musulman s’exprime bel et bien dans le champ politique à Bruxelles. Ce qui relève, me semble-t-il, de la sphère privée fait son irruption dans le débat public démocratique. Des groupes issus de la communauté musulmane n’ont pas hésité à revendiquer une représentation religieuse, et encore des plus intolérantes, comme un droit, et à se constituer en partis politiques. Le PCP, le MJM Bruxellois, partis islamistes, revendiquent publiquement, à terme, l’application de la loi islamique en Belgique et remettent en cause l’égalité entre l’homme et la femme, sans aucun complexe. Le danger qui se profile pour la communauté maghrébine, serait de laisser banaliser la vulgate islamiste parmi ses membres. Ceci, non pas en raison d’un éventuel risque de se faire mal voir de la société civile, mais bien parce que la jeunesse maghrébine, déjà fragilisée socio-économiquement et culturellement, risque d’emboîter le pas à ceux qui se posent pour eux, en miroirs de l’extrême droite “autochtone” (Blok, FN) pour ses électeurs, comme la chance d’un meilleur lendemain qu’ils fraient, dans notre société en crise à tout point de vue, à grands coups de diatribes rhétoriques, dont la peur, la haine et l’exclusion de l’autre différent sont les fondements.

Heureusement, les résultats électoraux des partis islamistes aux dernières élections, quasi insignifiants, révèlent que les Maghrébins, dans leur écrasante majorité, sont restés insensibles à leurs programmes, et ont voté massivement pour les partis démocratiques classiques. Le vote ethnique s’est fortement exprimé en faveur de candidats d’origine étrangère inscrits sur des listes de partis démocratiques. L’électorat d’extrême droite, Blok ou FN, devrait méditer la leçon de maturité politique de la majorité des Maghrébins de Belgique.

Enfin, dans mon quotidien et parmi mes connaissances, je constate une conscientisation croissante d’adultes maghrébins par rapport à l’avenir de la jeunesse maghrébine. Ces adultes citoyens s’engagent quelquefois dans le travail social comme dans un sacerdoce ou bien même, sont actifs bénévolement pour, disent-ils, : faire quelque chose pour les jeunes, maghrébins s’entend, qu’ils considèrent à tout le moins, disons le joliment, désenchantés par un système social qui ne les tient pas en compte, qui ne les calcule pas.

Structurer les temps de loisir, ouvrir de nouveaux horizons aux jeunes adolescents maghrébins et encadrer les enfants dans leur parcours scolaire, sont les traits d’une responsabilisation de plus en plus importante des membres de la communauté maghrébine, vis-à-vis de sa propre jeunesse. Voilà des exemples d’un processus communautaire qui cloue le bec aux tentatives de communautarisme maghrébin et musulman, qui s’expriment sporadiquement pendant les périodes de campagne électorale.

Pour finir, P-A Taguieff nous suggère ce qui peut, si l’on s’en conscientise, être une possibilité de cohabitation harmonieuse des différentes communautés. Une nation, une communauté de citoyens, dit-il, même dans sa pluralité culturelle, est certes une communauté de destin, mais elle ne l’est qu’a la condition d’être en même temps une communauté de mémoire, d’expérience et de responsabilité - c’est la confluence des coresponsabilités civiques qui rend possible un avenir commun. Et comme s’il voulait préciser sa pensée, Taguieff cite Dominique Schnapper : Tout pays démocratique est à la fois civique et ethnique, et il se définit par le projet de dépasser l’ethnique par le civique ; on peu définir le communautarisme, par la prétention inverse de dépasser le civique par l’ethnique, ou par la volonté de réduire le civique à l’ethnique.

Ces tentatives existent.

A bon entendeur...

[1] Union des étudiants juifs de France, Les enfants de la république. Y a-t-il un bon usage des communautés ?, Editions de la Martinière.