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Atelier pour l’autogestion 12 : Remarques finales de R Mouriaux

dimanche 10 août 2008, par Amitié entre les peuples

FSE Paris - Ateliers pour l’autogestion

REMARQUES FINALES
RENÉ MOURIAUX

http://www.atelierspourlautogestion.org/

Il ne s’agit pas de conclure mais de tenter de synthétiser les grands axes de la discussion. Celle-ci a porté sur trois points :

1 - la nécessité de comprendre le passé du mouvement ouvrier. 2 - les caractéristiques du monde contemporain. 3 - la démarche autogestionnaire progressive qui suppose trois conditions.

1 - Compréhension du passé :

Si le refus des ravages du libéralisme s’étend et s’intensifie, l’espoir d’un changement de société a disparu. Pour la masse des salariés, le capitalisme apparaît indépassable puisque l’expérience ouverte par la révolution d’octobre 1917 a échoué. A ce fiasco historique, s’ajoutent les diverses défaites de la gauche réformiste dans le monde. Une triple critique du modèle soviétique, des pratiques social-démocrates, des renoncements de la deuxième gauche est nécessaire pour construire une autre voie et susciter la confiance dans un processus clairement dégagé des errements anciens.

2 - Caractéristique du monde actuel

Des désaccords existent sur la structuration des sociétés contemporaines avec une approche classiste et une approche réticulaire. Néanmoins, des analyses très proches sont effectuées sur l’évolution du travail (intellectualisation, densification de la compétition, fragmentation de la production, hégémonie de la logique financière), les transformations de l’Etat, la crise du politique, l’unipolarisation des rapports internationaux, la radicalisation du problème écologique.

3 - Perspectives autogestionnaires

Pour éviter la délégation, le substituisme autoritaire, le renoncement cauteleux, le socialisme d’avenir comportera une large part de démocratie participative. La diversité existante des grilles d’analyses et des points de vue imposent la confrontation dans l’élaboration de solutions alternatives aux défis du présent. La recherche ici et maintenant, de pratiques en rupture avec les normes en vigueur est une contradiction à assumer comme telle. Et en même temps il faut chercher à ce que les diverses tentatives communiquent et que la dynamique d’ensemble travaille les conditions d’amplification, la liaison entre démocratie directe et représentation rénovée, propriété publique et capital privé, projet d’entreprise et planification. Bref élaboration démocratique, expérimentation, convergences soutenues par une stratégie de généralisation autogestionnaire.

[1] C’est en septembre 2003 que cette invitation au séminaire et aux deux ateliers organisés sur ce thème lors du Forum social Européen de Paris , Saint Denis et Bobigny a été envoyée par : Les Ateliers pour l’Autogestion (F), Alternative libertaire le mensuel (F),le Autonomie (I), Cercle 25 avril (F), Forum Ambiantalista (I), Observatoire des Mouvements de la Société (F), Politique la Revue (F), Rouge et Vert (F), Veualternativa (E-C). Lors de la préparation des débats, plusieurs des intervenants sollicités ont souhaités que soient abordés le projet et la stratégie autogestionnaires. Les organisateurs sont trop attachés au respect de la spontanéité pour s’opposer à cette modification des intentions initiales.

[2] Le débat sur les transformations en cours dans le capitalisme est trop riche et trop important pour s’y engager à la légère. Le risque serait ici de minorer celui concurremment nécessaire sur la construction et la généralisation de l’autogestion. Par facilité de langage il m’arrive de désigner l’époque actuelle comme celle du « capitalisme cognitif ». Cela ne signifie nullement que je me retrouve dans les hypothèses qui voudraient que le savoir soit produit en dehors du processus global de la production des biens et des services et qu’il y ait donc lieu de rejeter sans autre forme, les concepts hérités des socialistes et des communistes du XIX° siècle. Certes, comme tout outil, concepts et théories doivent être retravaillés lorsque la matière révèle des propriétés ignorées, des mutations imprévues. Nous sommes en face d’une nouvelle phase du capitalisme -« tardif » disait Ernest Mandel, « en survie » renchérissait Henri Lefebvre- pas d’un nouveau capitalisme. Les interrogations exprimées entre autres par Antonella Corsani ne me paraissent donc pas fondées. « Le capitalisme cognitif : les impasses de l’économie politique » in « Sommes-nous sortis du capitalisme industriel ? » sous la direction de Carlo Vercellone- La Dispute 2002.

[3] « On ne décèle...aucune tendance d’une montée en puissance du modèle cognitif suffisante pour supplanter le modèle actuellement dominant que l’on peut qualifier de néo-taylorien. On assiste au contraire à une articulation entre ces deux modèles. » Michel Husson "Sommes nous entrés dans le « capitalisme cognitif » ? ». Critique communiste n° 169/170.

[4] « L’immatériel ». André Gorz. Galilée 2003.

[5] Un Atelier précédent a abordé la définition et la mise en œuvre du projet autogestionnaire donc la stratégie, les acteurs du changement, les formes de la démocratie autogestionnaire, les articulations entre le plan et le marché, l’appropriation sociale, etc.. Comme on pouvait s’en douter, le débat n’est pas clos. Il est vraisemblable que la transition entre la société capitaliste que nous connaissons et celle que nous entrevoyons ne pourra s’accomplir qu’au travers d’une « chaîne de révolution ». Mais si le XVIII° et le XIX° siècles nous ont appris ce qu’était la révolution bourgeoise, si le XX° nous a montré ce que n’était pas la révolution socialiste, il reste à concevoir et à réaliser la « révolution de l’autogestion » ou pour le dire autrement l’autogestion de la révolution.

[6] « La connaissance devient un input primordial : sa production et sa détention obéit à des logiques cumulatives qui engendrent des inégalités croissantes entre les individus et les territoires. Dés lors la mondialisation est loin de correspondre à une véritable intégration planétaire des économies aux échanges de biens, de capitaux et de technologies. Elle se traduit en réalité par un processus de polarisation de ces flux entre et à l’intérieur des pays riches de la Triade, selon une logique qui, tout en impliquant certains pays émergents, aboutit pour la plupart des pays à dotations naturelles à une déconnexion forcée, les seuls avantages de ces derniers résidant dans la disponibilité de ressources naturelles ou de main-d’œuvre à bas prix. » El Mouhoub Mouhoud « Division internationale du travail et économie de la connaissance« in »Sommes-nous sortis du capitalisme industriel ? » œuvre citée.

[7] Thomson a annoncé le 3 novembre 2003 la création avec le groupe chinois TLC d’une co-entreprise dont le français ne détiendrait que 33% et serait donc minoritaire, temporairement au moins. La construction et la commercialisation de téléviseurs et de lecteurs de DVD de Thomson sont cédées au nouveau groupe avec notamment les usines situées au Mexique, en Pologne, en Thaïlande. Elles viendront s’ajouter à celles de TLC en Chine , au Vietnam, en Allemagne. TLC-Thomson electronics sera le premier groupe mondial dans sa branche avec 8 % du marché européen, 18 % du marché états-unien et 18 % du marché chinois devenu le 1er marché mondial. A moyen terme la mise en bourse d’une partie des actions détenues par TLC devrait aboutir à un nouvel équilibre entre les deux partenaires. (D’après Le Monde du 4 novembre 2003).

[8] La délocalisation de « matière grise » aura des conséquences sérieuses tant en Occident qu’en Asie. L’Inde forme déjà 260 000 ingénieurs de haut niveau par an. Ceux-ci sont déjà plus nombreux à Bangalore (150 000) que dans la Silicon Valley (120 000). Plus de 200 000 emplois sont menacés en Grande Bretagne. Les services financiers américains prévoiraient de transférer 500 000 emplois à l’étranger d’ici 2008, principalement en Inde. Dans ce pays, les foyers « aisés » représentaient 284 millions d’individus en 2000, soit deux fois plus qu’en 1994-1995. (Le Monde du 9 novembre 2003). Ces mutations sociales font augurer de profondes crises politiques à terme. Ces nouvelles élites seront amenées à réclamer une participation aux pouvoirs politiques. Une crise politique explicite ne manquerait pas alors, de faire apparaître d’autres prétendants, les centaines de millions de paysans sans terre et d’ouvriers sans travail.

[9] « Les salariés utilisant les ordinateurs voient leur travail transformé par les changements organisationnels que facilite l’informatisation. Ils sont plus autonomes et en même temps plus contrôlés. Ils sont soumis à une plus grande pression et aux exigences parfois contradictoires d’organisations complexes. Leur implication personnelle est plus forte. Le niveau scolaire, la qualification, les responsabilités hiérarchiques ou l’ancienneté restent déterminants dans l’accès à l’informatique et encore plus à Internet. Au total, l’informatisation reste largement tributaire des structures sociales préexistantes même si, dans les entreprises fortement réorganisées, les salariés ont, à profil égal, plus facilement accès à l’informatique. » « L’informatisation de l’ancienne économie » in « Economie et statistique » n° 339-340, 2000-9/10 -Michel Gollac et alii.

« ...seules les entreprises ayant simultanément adopté des pratiques de travail flexibles et fortement investi en informatique ont enregistré une forte hausse de la productivité totale des facteurs. En revanche, la mise en œuvre de changements organisationnels sans recours aux nouvelles technologies ou l’informatisation sans réorganisation, ont un impact négatif sur la productivité. » « Le paradoxe de productivité » dans la même livraison de « Economie et statistique ». Philippe Askenazy et Christian Gianella.

[10] Le concept de « travail complexe » est avancé par Marx dans « Le Capital » : ...comparé au travail du fileur, celui du bijoutier est du travail à une puissance supérieure...l’un est du travail simple et l’autre du travail complexe où se manifeste une force plus difficile à former et qui rend dans le même temps plus de valeur ».Une note de bas de page en fait un commentaire rapide. (Œuvres - La Pléiade, tome I, page 749). C’est peut-être dans l’original allemand, rappelé et traduit par Maximilien Rubel (page 1650) que Marx est le plus explicite : « Le travail qui est considéré comme travail supérieur et complexe par rapport au travail simple et moyen, est l’expression d’une force de travail dont le coût de formation est plus élevé, dont la production coûte plus de temps de travail et qui a, par conséquent, une valeur supérieure à celle de la force de travail simple ». Il est sans doute nécessaire de poursuivre l’élaboration du concept alors que les scientifiques, les enseignants, les artistes, sont devenus des acteurs incontournables de la formation de la force de travail du plus grand nombre et donc qu’ils participent ainsi effectivement à la production de la valeur des biens et des services marchands. D’autant que le mode de vie, les rapports sociaux et politiques dans leur ensemble, conditionnent le savoir faire et le savoir être ; non seulement le travail qualifié, complexe se généralise, il est de surcroît un produit social.

[11] « De nombreuses compétences (financières, économiques, sanitaires , environnementales, etc.), qui jusqu’à une époque assez récente entraient dans le champ de la compétence générale des Etats (par application de la « compétence des compétences » qui est l’essence juridique de la souveraineté), sont désormais hors de sa portée parce qu’il n’est possible de les gérer qu’à un échelon plus vaste. »

« Les fondements divers et successifs sur lesquels s’est érigée la souveraineté de l’Etat donnent à voir leur fragilité et, ce faisant perdent leur pouvoir légitimant. Ni Dieu, ni la nature, ni même la raison ne peuvent plus emporter la conviction dès lors que les droits du citoyen si hautement proclamés, ne permettent pas la réalisation des droits de l’homme. Ces derniers s’effritent pour tous ceux qui sont atteints par l’exclusion. Des individus, parfois des fractions des peuples ou des peuples entiers, sont rejetés dans une difficile survie qui est la négation de la vie et la privation des droits réels. L’Etat ne joue alors le rôle attendu que pour un cercle d’individus qui va se rétrécissant et ne correspond plus à l’universel social »

« Affaiblissement des Etats, confusion des normes » Monique Chemillier-Gendreau, in « Le droit dans la mondialisation »- PUF 2001

[12] Je ne vise pas ici ceux qui considèrent que les idées et les lois sont les matrices de toute société. Avec eux c’est un tout autre débat dans le fond, voire dans la forme, qu’il faut mener. Je n’ignore pas la réhabilitation de la « loi », nécessaire dans certains corpus anti-capitalistes. Mais ici, nous sommes souvent confrontés à une posture intellectuelle qui tout en reconnaissant nécessaire l’Autogestion, fait de la « prise du pouvoir » un préalable pratiquement absolu et renvoie celle-là aux lendemains. Au contraire je prétends que non seulement la construction du projet et de l’acteur, mais aussi le contenu et les formes des ruptures, dés à présent réclament une pratique-critique, d’auto-organisation et d’auto-gouvernement.

[13] Henri Lefebvre écrit dans « Sociologie de Marx » (P.U.F. 1974 - page 41) : « la praxis est avant tout acte, rapport dialectique entre la nature et l’homme, les choses et la conscience » mais aussi ( page 49) : « Tout dans le social et l’homme est acte et œuvre. Même la nécessité historique suppose le passage par l’action - la praxis - du possible au réel, et laisse place à l’initiative...La praxis au plus haut degré (créatrice, révolutionnaire) inclut la théorie qu’elle vivifie et vérifie. Elle comprend la décision théorique comme la décision d’action. Elle suppose tactique et stratégie. Pas d’activité sans projet ; pas d’acte sans programme ; pas de praxis politique sans exploration du possible et de l’avenir. ». C’est avec ces significations que j’emploie le terme.

[14] Cf. Samary, Le marché contre l’autogestion, l’expérience yougoslave, Publisud/La Brèche

[15] Les débats autour des modèles ou de l’expérience ont été trop nombreux pour qu’on les cite ici. L’ouvrage coordonné par Tony Andréani le socialisme de marché à la croisée des chemins (Temps des Cerises), 2004, regroupe quelques textes significatifs. Nous explicitons, quant à nous notre approche dans plusieurs articles sur la question de la citoyenneté et du dépérissement de l’Etat, ou encore de l’articulation de l’individuel et du collectif, notamment dans la revue Contretemps n° 3, février 2002, Dossier Emancipation sociale et démocratie et n° 5, septembre 2002, Propriété et pouvoirs ; voir également les Cahiers de Critique Communiste dirigés par Antoine Artous et Francis Sitel : Marxisme et démocratie, Syllepse 2003