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Roms : la règle d’or des socialistes. E Fassin

samedi 1er septembre 2012, par Amitié entre les peuples

Roms : la règle d’or des socialistes

31 août 2012 Par Eric Fassin

À quoi servent les Roms ? Au cœur de l’été 2012, Manuel Valls ne se sera pas contenté de célébrer l’anniversaire du discours de Grenoble. Il nous aura distraits de la ratification du traité « Merkozy » par François Hollande. Pour combien de temps ? (Éric Fassin et Michel Feher)

http://blogs.mediapart.fr/blog/eric-fassin/310812/roms-la-regle-d-or-des-socialistes


On pouvait déjà s’émerveiller que la France fût parvenue si longtemps à constituer « l’immigration clandestine » en un enjeu majeur – alors que l’on compte seulement 200 à 400 000 « sans-papiers » pour 65 millions d’habitants. La comparaison avec les États-Unis (même rapportée à une population presque 5 fois plus importante) est édifiante : ils y sont 11 à 12 millions. Or, outre-Atlantique, cette question pèse moins qu’en France sur la vie politique. Mais avec les Roms, un nouveau palier est franchi : ils sont en France environ 15 000 migrants (ceux de nationalité française sont 30 fois plus nombreux). Malgré les mesures d’éloignement volontaire ou forcé, ce chiffre est constant : si, pour prendre 2010 en exemple, les Roumains (presque tous Roms) constituaient 30% du quota de 28 000 reconduites à la frontière, les mêmes ne manquaient pas de revenir bientôt. Depuis l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Europe en 2007, ce sont donc des dizaines de milliers de mesures d’éloignement pour rien : d’un côté, il n’y a pas d’invasion, et de l’autre, les expulsions sont sans effets (sinon humains !). La valse des contradictions ne fait que continuer : on rend difficile l’accès à l’emploi pour les Roms étrangers, afin de les empêcher de faire concurrence aux Français, quitte à leur faire grief d’un taux de chômage élevé…

Devant pareille absurdité, on peut s’interroger : pour quelle raison, malgré le changement de majorité présidentielle, les démantèlements de camps sont-ils devenus un marronnier politico-médiatique ? Pourquoi le ministre de l’Intérieur s’emploie-t-il à célébrer en 2012 l’anniversaire du discours de Grenoble de 2010 ? De Nicolas Sarkozy à François Hollande, à quoi servent les Roms ? Et aujourd’hui, à quoi sert Manuel Valls ? Rien ne permet en effet de penser que la « question rom » soit la préoccupation principale des Français, comme l’atteste dans les sondages de fin d’été leur impatience devant l’inaction gouvernementale en matière économique et sociale. Mais n’est-ce pas là, justement, tout l’intérêt de l’opération ? On met le projecteur sur l’accessoire pour mieux laisser dans l’ombre l’essentiel.

Car l’événement estival majeur, au moment même où la machine administrative, judiciaire et policière se mettait en marche à grand fracas contre les Roms, c’est le feu vert que le Conseil constitutionnel a donné le 9 août pour l’adoption du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), avec sa fameuse « règle d’or » : miracle, il ne sera pas besoin de toucher à la Constitution ! Ainsi François Hollande se voit-il épargner les humiliations symétriques d’une révision constitutionnelle adoptée grâce au soutien de l’UMP ou, pire encore, d’un camouflet référendaire.

Nul n’a oublié 2005, et le rejet du Traité constitutionnel européen. Au lendemain de ce référendum, c’est Nicolas Sarkozy qui avait prétendu répondre aux inquiétudes des électeurs pour accéder au pouvoir : convaincu que les Français avaient dit non à l’Europe parce que celle-ci les privait de leur souveraineté sans pour autant les protéger, il se proposait de leur rendre la maîtrise de leur destin en les autorisant à « choisir » les étrangers habilités à séjourner en France – à défaut de pouvoir se prononcer sur la sécurité de leurs emplois ou la qualité de leurs services publics – et d’assurer leur protection contre le déferlement de l’immigration « subie » – faute de s’en prendre à la dérèglementation des flux financiers et à la délocalisation des entreprises. Bref, en réponse à l’insécurité économique, le futur président s’engageait à combattre l’insécurité identitaire. Une fois parvenu au pouvoir, il allait sans cesse recourir au même procédé, quitte à jouer les pompiers pyromanes : ainsi, après le débat sur l’identité nationale, et avant celui sur l’Islam et la laïcité, l’été sécuritaire de 2010 était la réponse du président à la crise de 2008.

De même aujourd’hui, le « cirque rom » a vocation à nous distraire de l’actualité brûlante de la « règle d’or ». Mieux encore, au lieu de réagir a posteriori au référendum, comme Nicolas Sarkozy en 2005, François Hollande agit a priori. Dispensé de réforme constitutionnelle, ilanticipe sur le mécontentement que pourrait bien susciter l’inscription dans le marbre des principes néolibéraux, en particulier parmi les classes populaires, en leur jetant les Roms en pâture. Il est vrai que le temps est compté : les mesures transitoires imposées à la Roumanie et à la Bulgarie, prolongées deux fois deux ans par le gouvernement Fillon, mais déjà abandonnées par les deux tiers des pays de l’Union, ne pourront pas être étendues au-delà de 2013. Ainsi, dès 2014, ces migrants auront accès aux élections municipales en France – sauf à décider, une fois pour toutes, qu’ils sont interdits de citoyenneté européenne… La « question rom » est donc d’autant plus utile politiquement aujourd’hui qu’elle sera demain inutilisable.

Reste qu’il ne s’agit pas simplement de détourner l’attention publique de la ratification de l’accord « Merkozy » par François Hollande. L’été rom vise également à montrer qu’il existe encore des domaines où le nouveau chef de l’État maintient le cap qu’il s’était fixé alors même que sa politique européenne peine à l’attester. Tout au long de la campagne présidentielle, le candidat socialiste s’est en effet engagé à convaincre ses partenaires de l’Union que la relance de l’activité était au moins aussi urgente que la réduction des déficits publics. Sans doute pouvait-on aisément lui rétorquer que les deux objectifs ne sauraient être poursuivis en même temps : l’un doit nécessairement être subordonné à l’autre, en tout cas à moyen terme. Il est vrai qu’à l’époque, l’objectif n’était pas tant de tenir des propos rationnels que de projeter une image raisonnable – celle d’un homme également déterminé à répondre aux attentes de ses électeurs, à ne pas effaroucher les marchés et à faire partager son esprit de synthèse à la chancelière allemande.

Une fois François Hollande élu, la renégociation promise du texte signé par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy a fait long feu : le contrôle rigoureux des dépenses publiques imposé par la « règle d’or » est maintenu à l’identique, tandis que le « pacte pour la croissance », même agrémenté d’une hypothétique taxe sur les transactions financières, s’apparente davantage à un hochet qu’à un contrepoids. Le président de la République et ses ministres ont beau assurer que le « compromis » obtenu n’est qu’un premier pas, personne n’est dupe : le rapport de force entre la France et l’Allemagne demeure aujourd’hui le même qu’hier. Aussi cherchent-ils à éviter au maximum un débat public autour du Traité sur la stabilité où se feraient entendre à la fois l’amère déception des électeurs qui ont voulu croire à la possibilité d’un changement sans heurts et les ricanements vengeurs de leurs adversaires de tous bords.

Puisque l’adoption du TSCG ne s’y prête pas, le chef de l’État se voit contraint de mettre en avant des sujets plus propices à l’illustration d’une rupture à la fois substantielle et responsable avec son prédécesseur. Or, telle est bien la vertu prêtée à la « question rom ». D’un côté, le ministre de l’intérieur poursuit les démantèlements médiatisés : c’est une question d’ordre public. « Je ne dis pas que ça règle le problème », reconnaît-il bien volontiers ; mais ne s’agit-il pas surtout d’afficher le refus du « laxisme » ? D’un autre côté, la ministre du logement s’emploie à compenser la logique sécuritaire en l’assortissant d’un traitement social – soit en cherchant des « solutions alternatives ». On ne renonce pas aux mesures transitoires, mais on les assouplit ; c’est ainsi qu’est maintenue la liste des métiers ouverts à ces nouveaux Européens, mais qu’elle « sera prochainement élargie ». C’est l’équilibre instable que met en scène la circulaire du 26 août « relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites », pour répondre à un « double objectif de fermeté en matière de sécurité et d’humanité dans la prise en charge des personnes. »

Sans doute la sélection des priorités en fonction de leur aptitude à illustrer un programme est-elle devenue une technique de gouvernement familière. Dans la mesure où les dirigeants de nos États-nations font reposer leur communication politique sur un mot d’ordre, ils tendent généralement à susciter des débats sur des thématiques qui leur permettent de l’incarner. « Quand on veut, on peut » : telle aura été la devise de Nicolas Sarkozy, soucieux d’agiter seulement des questions où il lui était facile d’en faire la preuve. La reconduite à la frontière du quota de sans-papiers fixé en début d’année et la diminution programmée des titres de séjour délivrés aux candidats à l’immigration se sont donc imposées comme des manifestations privilégiées du volontarisme présidentiel. C’était au détriment d’engagements plus difficiles à tenir : pour le « président du pouvoir d’achat », il eût été plus incertain d’aller « chercher la croissance avec les dents » ou de mettre fin à la « dictature des marchés financiers ».

De même, pour le mandat qui vient de s’ouvrir, les sujets porteurs seront ceux où le chef de l’État pourra arborer la solidarité responsable ou la générosité ferme dont il se réclame. Les désillusions de l’austérité croissante s’étant trop vite substituées aux vains espoirs d’une croissance austère, il aura fallu proposer, au risque du « déjà vu », un discours de Grenoble « à visage humain ». La séquence rom touchant peut-être à sa fin, on brûle maintenant de connaître le prochain terrain où la gauche raisonnable cherchera à s’illustrer : à qui le tour ? Reste que montrer à quoi servent les Roms dans la communication gouvernementale ne suffit pas à démontrer que cette mise en scène sert réellement l’intérêt du chef de l’État : après tout, c’est parce qu’en pratique il avait inversé sa devise, pour finir par se contenter d’un « ce qu’on peut, on le veut ! », que Nicolas Sarkozy a fini par s’attirer un discrédit auquel François Hollande doit largement son élection. En politique, tout compte fait, le cynisme n’est pas une garantie de lucidité.