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Qui peut sauver l’euro ? Th Coutrot
dimanche 4 août 2013, par
Qui peut sauver l’euro ?
16 AVRIL 2012 | PAR THOMAS COUTROT
Une rencontre-débat avec les signataires de l’appel Sauvons le peuple grec de ses sauveurs a eu lieu le samedi 31 mars au Théâtre de l’Epée de Bois à la Cartoucherie. Sont intervenus : Alain Badiou, Etienne Balibar, Thomas Coutrot, Frieder Otto Wolf, Panos Angelopoulos, Maria Kakogianni, Vassia Karcayanni Karabelia, Cristina Semblano, Vicky Skoumbi et Dimitris Vergetis. Une assistance nombreuse a suivi avec beaucoup d’intérêt ce débat organisé par la revue grecque αληthεια. A la fin de la rencontre, un comité européen d’intellectuels et d’artistes a été constitué, sous l’intitulé Sauvons les peuples européens de leurs sauveurs, ce qui élargit l’horizon de l’appel initialement centré uniquement sur le paradigme grec. La revue met à la disposition des signataires un blog pour que les échanges puissent se poursuivre et des nouvelles propositions être lancées.
http://aletheiareview.wordpress.com/
Voici le texte de mon intervention à cette conférence.
Qui peut sauver l’euro ?
La crise de l’euro prend aujourd’hui des formes paroxystiques en Grèce, mais ses ravages s’étendent progressivement à l’ensemble de la zone. Elle trouve ses racines non dans une quelconque spécificité de la Grèce, qui n’a pour seul tort que d’être le premier maillon à céder, mais provient des carences génétiques de la monnaie européenne. Le traité de Maastricht a été conçu pour imposer aux corps sociaux européens une stricte discipline budgétaire et salariale au bénéfice de l’industrie financière. Mais la résistance inévitable et justifiée des sociétés à cette convergence aux forceps amène aujourd’hui l’euro au bord du gouffre. Avec le nouveau « Traité pour la stabilité la convergence et la gouvernance » (ou Pacte budgétaire), signé par les chefs d’État et de gouvernement le 2 mars dernier, l’oligarchie cherche à resserrer encore l’étau de la finance autour des peuples en imposant une austérité budgétaire sans limites. Radicaliser une politique qui a échoué ne peut qu’amener au désastre. Pour sauver l’euro il faudra une vague de fond des luttes sociales européennes initiant la construction d’une souveraineté démocratique plurinationale.
L’euro, une construction intentionnellement bancale
La construction de la monnaie unique est fondée sur des principes en apparence contradictoires avec tout projet crédible d’unification monétaire. Ces principes visent en réalité à empêcher à tout prix que l’unification monétaire ne favorise l’émergence d’une communauté politique. On peut repérer cinq traits caractéristiques de cette volonté, qui ne pouvait aboutir qu’à l’échec du projet tant il est avéré que toute monnaie viable doit reposer sur une communauté politique souveraine.
D’abord les États mettent en commun leur monnaie alors qu’ils ont instauré une liberté totale de circulation des capitaux, non seulement entre eux, mais également entre eux et le reste du monde. Cette liberté de circulation fonde le pouvoir disciplinaire de la finance, mais signifie en même temps une liberté totale de spéculation, l’exposition volontaire aux tempêtes répétées inhérentes à la logique mimétique des marchés financiers.
En second lieu, la construction de l’euro est associée à laconcurrence fiscale et sociale « juste et non faussée ». Le résultat a été un effondrement des recettes publiques au nom de l’attractivité des territoires : baisse de l’impôt sur les sociétés (de 10 à 15 points depuis la création de la zone euro), suppression de la taxe professionnelle, les cotisations sociales des entreprises, etc.). Tout ceci a aggravé les déficits et la dette publics.
Troisièmement, cette zone de monnaie unique n’apas de véritable budget commun (celui-ci représente 1 % du PIB de la zone). Alors que les pays avaient au démarrage de l’euro des niveaux de productivité et de compétitivité très différents, les fonds structurels qui avaient auparavant permis un certain rattrapage des économies du Sud ont été diminués et dilués avec l’élargissement aux pays d’Europe de l’Est. L’absence de solidarité budgétaire a été un obstacle à la convergence économique des Etats périphériques du sud de la zone.
En quatrième lieuinterdiction était faite à la BCE de financer les déficits publics. Il s’agissait de contraindre chaque État à recourir aux marchés financiers pour financer son déficit, par ailleurs croissant du fait de la baisse des recettes fiscales. Tant que les taux d’intérêt exigés sur les dettes des différents États membres ont été presque identiques et faibles, cela ne posait pas de problème. Mais à partir du moment où les marchés financiers ont fait des différences entre les pays, le financement du déficit est devenu explosif pour certains.
Cinquièmement,toujours de façon à garantir la prééminence des marchés, interdiction était faite aux États de s’entraider les uns les autres en cas de difficultés financière de l’un d’entre eux. Cela a contribué à aggraver la situation lorsque la Grèce est apparue en difficulté, car les autorités européennes ont tardé à admettre que l’Union européenne allait être dans l’obligation d’aider un de ses membres.
Mitterrand et Kohl ont décidé la création de l’euro pour des raisons purement politiques, au lendemain de l’unification allemande. Il s’agissait au départ d’un acte politique volontariste visant à approfondir par la voie monétaire la construction politique européenne. Mais les structures néolibérales imposées par Maastricht ont éradiqué toute possibilité de construction d’une souveraineté politique européenne à l’égard de la finance. L’euro réel a été d’emblée un instrument corrosif de l’État social qui ne pouvait que déboucher sur une crise majeure de l’intégration européenne.
Le révélateur de la crise financière
La crise financière de 2007/2008 a joué un rôle de déclencheur de la crise de l’euro en provoquant une récession profonde et des déficits publics colossaux dans la plupart des pays. L’inégalité des situations à l’intérieur de la zone euro est alors apparue clairement aux yeux des opérateurs financiers, qui se sont mis à exiger des taux d’intérêt très différents selon les pays. Les taux demandés à la Grèce, au Portugal et à l’Irlande sont devenus astronomiques, imposant une intervention de l’Union européenne par la création d’un Fonds européen de stabilité financière, rebaptisé maintenant Mécanisme Européen de Stabilité , qui emprunte sur les marchés financiers pour re-prêter aux États en difficulté sous conditions de plans draconiens d’austérité.
La politique des gouvernements allemands successifs porte elle aussi une responsabilité spécifique, trop souvent ignorée. Dans les années 2000 l’Allemagne a pratiqué une politique de baisse des salaires qui a ajouté de la compétitivité prix à la traditionnelle compétitivité qualité de ses productions. Cela a entrainé les déséquilibres commerciaux internes et les déficits des pays du sud de la zone, France incluse. La politique allemande ne peut être considérée comme l’exemple qu’il aurait fallu suivre. Si cela avait été le cas dans les années 2000, la zone euro aurait sombré beaucoup plus tôt dans une situation dépressive. Les « solutions » proposées par le Pacte budgétaire autour d’une gouvernance économique commune renforcée consistant à aller plus loin dans le sens de la réduction des dépenses publiques, des salaires et des droits sociaux, ne tirent pas les conclusions de l’échec actuel de la zone euro. Elles conduisent à son éclatement, du fait de leur impact récessif et des résistances sociales multiples et légitimes qu’elles provoquent.
La Grèce n’est de ce point de vue que la pointe avancée d’un processus de déconstruction de l’État social européen, organisé par les oligarchies politiques et financières, qui vise à réduire d’un quart ou d’un tiers les coûts de production en Europe afin de restaurer la compétitivité de la zone dans une mondialisation libérale déchaînée. La déclaration au Wall Street Journal de Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne – « le modèle social tant vanté de l’Europe est mort » - montre l’ampleur du projet, la zone euro et l’actuelle Union européenne dussent-elles ne pas y survivre.
Le « traité pour la stabilité la convergence et la gouvernance » (ou Pacte budgétaire) est à cet égard emblématique : il impose une règle d’équilibre permanent des finances publiques, avec un déficit « structurel » qui ne pourra plus jamais dépasser 0,5% du PIB. Les sanctions contre les pays contrevenants seront désormais quasi automatiques, coupant court à tout débat. La Commission et tout Etat qui le souhaitera pourront traîner un autre Etat devant la Cour européenne de justice pour le contraindre à réduire plus vite ses déficits. La troïka – Commission, BCE, FMI - pourra imposer ses « conditionnalités » à tout pays en difficulté et, comme en Grèce, au Portugal et en Espagne, réduire les salaires, institutionnaliser la précarité et abolir la négociation collective. Cette radicalisation absurde de la logique de Maastricht, dont l’échec est pourtant manifeste, ne peut qu’accélérer l’éclatement de l’euro.
Seuls les peuples européens pourront sauver l’euro
Mais si l’euro était dès le départ une construction tournée contre les peuples européens, il leur donne aujourd’hui, par une sorte de ruse de l’Histoire, un fort intérêt à agir ensemble qui pourrait contribuer à ce que l’architecture bancale de l’euro voulait à tout prix empêcher : l’émergence d’une communauté politique européenne. Le mouvement syndical européen, avec la CES, s’est pour la première fois de son histoire positionné fortement contre un projet de traité. Les mouvements d’Indignés sont solidement ancrés dans plusieurs pays et seront sans doute amenés à se développer dans nombre d’autres. Des audits citoyens de la dette publique sont en cours d’émergence dans plusieurs pays également. Pour l’instant, le mouvement écologiste n’a pas pris à bras le corps la crise européenne, alors que les politiques d’austérité sont pourtant en train de laminer les ambitions écologiques et les investissements publics nécessaires ; mais cela peut et doit changer. En tout état de cause on ne pourra sauver la monnaie unique que par un sursaut politique commun des mouvements et des peuples européens visant à la refonder sur d’autres bases : une autonomie vis-à-vis de la pression des marchés financiers, une banque centrale soucieuse de solidarité et d’emploi, une harmonisation fiscale et un budget européen permettant une convergence des économies vers le mieux-disant social, un programme de financement de la transition écologique…
Bien sûr, ce sursaut n’entraînera pas forcément d’un coup les 17 pays de la zone euro, et on assistera sans doute à des tensions entre un groupe de pays engagés dans cette refondation et d’autres s’obstinant dans le néolibéralisme. Certains pays – ceux d’Europe du Sud sont aujourd’hui en première ligne – pourront être amenés à quitter la zone euro les premiers, ce qui précipitera le débat et obligera à des choix stratégiques dans les autres pays. Mais nul ne peut prédire aujourd’hui les contours de ces fractures ni leur rythme. Tout dépendra de la capacité des mouvement sociaux européens à construire une vision commune de leur avenir et à coordonner leurs actions.
Ensemble contre la ratification du Pacte
A cet égard la fenêtre ouverte par le processus de ratification du Pacte budgétaire, qui s’étend jusqu’à la fin 2012, offre une opportunité immédiate. L’Irlande doit tenir un référendum le 31 mai. Mais la nécessité de l’intervention des citoyens dans le débat est partout posée. Une manifestation européenne est organisée à Francfort par les mouvement sociaux allemands les 18 et 19 mai autour de la BCE, pour s’opposer à l’austérité et à la ratification du traité : le symbole est fort, car ce sera la première grande manifestation européenne en Allemagne contre les politiques néolibérales extrémistes impulsées par le gouvernement Merkel. Les rencontres et appels européens commencent à se multiplier. Des initiatives coordonnées de demande de consultation populaire, voire de réalisation de votations citoyennes dans plusieurs pays, montreraient qu’émerge une aspiration à une vraie démocratie européenne et pourraient peser sur la situation.
En France, l’élection maintenant probable de François Hollande ouvrirait une phase d’intense débat autour de la « renégociation » du Pacte promise par le candidat socialiste. Les marchés financiers font déjà savoir qu’ils sanctionneront toute hésitation du nouveau gouvernement à ratifier le traité d’austérité. Mais l’exigence d’un vaste débat démocratique, tranché par un référendum, pour décider de la ratification du traité éventuellement renégocié ou complété, est susceptible de recevoir un large soutien populaire. Si le gouvernement se refusait à organiser ce débat, les mouvements sociaux auraient toute légitimité pour le provoquer eux-mêmes par l’auto-organisation d’un référendum d’initiative citoyenne sur le traité. Cette initiative serait d’autant plus crédible et porteuse d’une dynamique européenne qu’elle serait menée en lien avec d’autres initiatives similaires dans d’autres pays européens. C’est maintenant que les citoyens doivent s’emparer d’un débat trop souvent confisqué par les élites politiques et financières, et poser les jalons d’une refondation européenne.
source : blog médiapart de thomas coutrot
http://blogs.mediapart.fr/blog/thomas-coutrot/160412/qui-peut-sauver-leuro